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16/04/2007
Questions internationales (1)
La communaut internationale face lexode massif des Irakiens


(MFI) Depuis linvasion amricaine, 4 millions dIrakiens ont fui leur domicile pour trouver refuge soit ltranger, soit dans une autre rgion du pays. Un exil surtout d aux violences sectaires entre chiites et sunnites plus quaux combats contre les troupes amricano-britanniques. Laccueil des Irakiens par les pays voisins, jusque-l trs gnreux, devient difficile. Ni les Etats-Unis ni lUnion europenne nouvrent leurs frontires. Le Haut Commissariat aux Rfugis (HCR) organise une confrence internationale sur ce sujet les 17 et 18 avril 2007 Genve.

Combien compte-t-on de rfugis irakiens ?

De nombreux Irakiens ont fui leur pays bien avant la guerre en cours pour chapper la dictature de Saddam Hussein. Cet exode sest acclr, non pas lors du dclenchement du conflit actuel en mars 2003, mais depuis la multiplication des violences inter-communautaires entre chiites et sunnites. Lattentat contre le mausole chiite de Samarra, en fvrier 2006, a sonn le dbut des dparts en masse. La brutalit croissante de groupes fondamentalistes qui sen prennent non seulement ceux souponns de collaborer avec les Amricains, mais aussi aux intellectuels, aux chrtiens, aux femmes non-voiles, aux propritaires dantennes satellites a jet des milliers de familles sur les routes. Les tmoignages abondent. Jtais mdecin et ma femme professeur. Nous sommes sunnites et vivions au cur dun quartier multiconfessionnel de Bagdad sans aucun problme avec nos voisins. La chute de Saddam Hussein a t suivie dune grande impression de libert. Mais trs vite, le climat est devenu oppressant avec la multiplication des attentats. Ma femme, qui ne porte pas le hidjab, a plusieurs fois t insulte dans la rue. Nous nosions plus envoyer nos enfants lcole de peur quils soient enlevs ; tout le monde savait que nous avions de largent. Un soir, des hommes cagouls ont pntr dans notre maison. Ils nous ont ordonn de quitter les lieux car le quartier devenait devenir 100% chiite. Ils ont aussi exig que nous adoptions un comportement plus conforme lislam. Puis ils ont abattu mon frre dune balle dans la tte et sont partis sans un mot. Nous avons fui la nuit mme en emportant seulement une valise , racontait au quotidien saoudien Al-Hayat, Assad Jumaa, aujourdhui install Damas.
Deux millions dIrakiens sont ainsi rfugis ltranger. Tout en restant en Irak, 1,8 autre million ont fui leur ville pour sinstaller dans des conditions souvent prcaires dans des quartiers religieusement homognes. Cela signifie quun Irakien sur six a t contraint de sexiler depuis linvasion amricaine.
Le Haut Commissariat aux Rfugis (HCR) stait prpar un exil massif qui nest jamais venu, au dbut du conflit. Il a par contre t pris de court par lampleur de lexode depuis 18 mois. Un exode qui nest pas prt de se tarir, lIrak senfonant dans la guerre civile. Rien quen 2006, 34 500 Irakiens ont t tus, et depuis dbut 2007 on compte en moyenne 1047 attentats par mois. Le HCR manque de moyens pour venir en aide aux rfugis ; il na reu des pays donateurs que la moiti des 60 millions de dollars quil rclame. La communaut internationale na pas pris conscience de la gravit de cet exode et de ses consquences. Depuis un an, 50 000 Irakiens fuient leur domicile chaque mois , salarme Astrid Van Genderen, la porte-parole du HCR (voir interview ci-contre). Il sagit du plus large dplacement de population au Moyen-Orient depuis la fuite des rfugis palestiniens dIsral en 1948.

Vers quels pays fuient ces rfugis irakiens ?

La majorit dentre eux sinstallent dans les pays voisins. On compte ainsi un million dIrakiens en Syrie, 750 000 en Jordanie, 150 000 en Egypte et 40 000 au Liban. Certains faubourgs de Damas comme Sada Zeinab ou Jaramana sont surnomms le petit Bagdad. Les commerces appartiennent des Irakiens et dans les rues, laccent qui domine est celui de lancienne Msopotamie. En Jordanie, de nombreux Irakiens ont rejoint les camps de rfugis jusque-l rservs aux Palestiniens (voir article ci-contre). Les exils de Bagdad reprsentent aujourdhui 5 % de la population syrienne et 18 % des habitants du royaume hachmite. On atteint la limite de la capacit daccueil de la Syrie et de la Jordanie. Des tensions se font sentir. Eux ne se considrent pas comme des rfugis, mais comme des gens de passage. Ils esprent repartir en Irak ou sinstaller dans un pays plus prospre comme les Etats-Unis ou les Emirats arabes unis , explique Laurens Jolles, le directeur du HCR Damas.
Nombre de ces rfugis irakiens sont issus des classes moyenne ou suprieure : mdecins, avocats, hommes daffaires, ingnieurs Comme le soulignait dans une interview au quotidien Le Monde le sociologue Faleh Abdeljabbar : Cest dramatique car cela hypothque encore plus la reconstruction de lIrak. Ces classes moyennes reprsentent une culture, un art de vivre, une tolrance ignors de ceux qui restent. Les plus pauvres sont les plus enclins au clanisme, au confessionnalisme, lacceptation de la violence. Cet exil des classes moyennes menace les perspectives conomiques de lIrak, mais aussi son intelligence et son ouverture sur le monde.

Quen est-il de laccueil des rfugis dans les pays occidentaux ?

Ni les Etats-Unis ni lUnion europenne naccueillent avec enthousiasme les Irakiens en exil. Washington dlivre aujourdhui moins de visas aux Irakiens qu lpoque de Saddam Hussein. Depuis 2003, seuls 466 Bagdadis ont t admis lgalement aux Etats-Unis. Accueillir des rfugis reviendrait, pour les autorits amricaines, avouer leur dfaite en Irak et dans la lutte contre le terrorisme , crit lditorialiste du New York Times. Les traducteurs de larme amricaine doivent travailler six ans pour se voir accorder un visa. Cest impossible. Nous ne respectons pas nos obligations morales envers les Irakiens qui mettent leur vie et celle de leur famille en danger pour nous aider, alors que sans eux nous ne pourrions rien faire , tempte Kirk Johnson qui a travaill Falloujah pour lAgence amricaine daide au dveloppement. Sous la pression du Congrs dmocrate, Washington vient dannoncer quil dlivrerait 7000 visas des Irakiens en 2007. Il a galement promis une aide durgence de 68 millions de dollars aux Irakiens contraints de quitter leur ville pour sinstaller ailleurs dans le pays.
LUnion europenne entrouvre un peu plus ses portes. Mais on ne peut pas parler daccueil bras ouverts. En 2006, 20 000 Irakiens se sont installs en Europe, dont plus de la moiti en Sude. Stockholm est en effet la seule capitale accorder quasi-systmatiquement un permis de sjour aux Irakiens. Elle aimerait cependant voir ses efforts partags par les autres pays. Les Irakiens sont aujourdhui les premiers demandeurs dasile dans lUE, mais leurs dmarches naboutissent en moyenne que dans 10 % des cas. Pire : depuis 2003, lAllemagne a expuls 18 000 Irakiens dont le statut tait prcaire sous prtexte que, depuis la chute de Saddam Hussein, le pays nest plus une dictature.
A en croire le HCR, le nombre de rfugis irakiens dans lUE devrait doubler en 2007 pour atteindre 40 000 personnes. Les pays europens vivent dans un dni lamentable du danger pos par la guerre en Irak. Or cette guerre ne prendra pas fin demain et elle va crer encore plus de rfugis. LUE doit dsormais adopter une approche plus cohrente et gnreuse des besoins des rfugis. Jespre que la confrence internationale des 17 et 18 avril va permettre une meilleure comprhension du problme , avertit Astrid Van Genderen.

Jean Piel

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