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15/05/2007
Questions internationales (3)
Jean-Claude Bajeux : Ce que veulent les Hatiens, cest du travail


(MFI) Jean-Claude Bajeux est le prsident du Centre cumnique des droits de lHomme, Port-au-Prince. Pour lui, Hati peut encore sortir du chaos, mais la voie est troite.

MFI : Un an aprs linvestiture de Ren Prval, la situation sest-elle amliore en Hati ?

Jean-Claude Bajeux : Certainement. Nous assistons enfin la mise en place dun cadre institutionnel. Des lections ont eu lieu ; le pays a un Parlement, des conseils municipaux, un gouvernement qui travaille et ne se heurte aucune relle opposition. Ces progrs sont lents et la population peut tre frustre de ne pas voir sa vie quotidienne samliorer aussi vite quelle le souhaiterait. Mais nous partons de tellement loin ! Autre motif de satisfaction : la lutte contre linscurit est dsormais engage par la Minustah. Au dbut, celle-ci semblait tolrer une criminalit qui a fait plus de 2000 morts entre 2004 et dbut 2007. La population tait prise en otage sans que les Casques bleus ne ragissent. Ctait incomprhensible et source de biens des colres. Certainement lOnu ne voulait-elle vexer personne, or les chefs des gangs taient proches du pouvoir. Ce nest plus le cas. La police hatienne collabore avec la Minustah. Les chefs des gangs apparaissent pour ce quils sont, des criminels, et ne peuvent plus se prtendre les leaders dune gurilla de libration.
Il est impratif que Ren Prval puisse poursuivre le travail commenc. Hati ne peut pas se permettre de nouvelles aventures politiques, ou nous sombrerons compltement. Le pays a eu son lot de dictatures, de coups dEtat, de misres. Il a dsormais besoin de se pacifier et de se reconstruire. La population soutient le prsident cest un homme accessible mme si elle aimerait que les choses aillent plus vite. Mais limpossible nul nest tenu. Hlas lancien prsident, aujourdhui en exil, Jean-Bertrand Aristide, na pas dit son dernier mot. Il anime toujours des rseaux dargent, darmes, daide des bandes criminelles. Son pouvoir de nuisance demeure, mme sil na plus le moindre soutien populaire.

MFI : La situation conomique autorise-t-elle tre confiant pour lavenir dHati ?

J.-C. B. : Cest l que le bt blesse. Hati paye encore la politique dsastreuse des Duvalier (qui ont dirig le pays de faon dictatoriale de 1957 1986, NdA). Ils ont dtruit ladministration et nont jamais men le moindre projet de dveloppement. Ils ont enferm le pays dans la misre alors que nos voisins des Carabes enregistraient des progrs conomiques et sociaux. Au plan conomique, notre descente aux enfers nest pas termine. Cela prouve quune fois atteint un certain niveau de sous-dveloppement, on nen sort plus.
Ren Prval est un excellent VRP pour Hati ltranger. Il sduit aussi bien George Bush quHugo Chavez. La communaut internationale reconnat unanimement quelle doit nous aider sortir de la misre dans laquelle nos anciens dirigeants nous ont prcipit. Mais malgr les millions investis par les bailleurs de fonds, le pays ne dcolle pas car les infrastructures sont obsoltes et la main duvre peu qualifie. Les investisseurs trangers ont toujours des doutes sur la stabilit politique du pays et sont effrays par linscurit qui y rgne. Mme lorsque la Banque mondiale finance la construction dune route, celle-ci ne se fait pas car il ny a ni les ouvriers ni les outils. Certes la diaspora nous aide, puisquelle envoie environ 1,6 milliard de dollars par an. Cela permet de nombreuses familles de manger. Sans la diaspora, nous serions morts de faim. Nanmoins cela reste de lassistance ; il ny a toujours pas de dynamique interne. On maintient le malade en vie, mais on ne le gurit pas. Or ce que veulent les Hatiens, cest du travail. Economiquement, Hati nexiste plus.

MFI : Quen est-il de la situation des droits de lHomme ?

J.-C. B. : On ne peut pas attendre des droits de lHomme quils soient en Hati ce quils sont en Europe. Cest ainsi dans tous les pays o la pauvret et lanalphabtisme sont aussi rpandus. En Hati, 500 000 enfants ne vont pas lcole ; cest dj une atteinte aux droits humains car cela interdit tout espoir de progression. Nous sommes plusieurs associations lutter contre la corruption dans la police et dans lappareil judiciaire. Nous voulons remettre la justice en marche. Nous recevons un bon accueil des autorits, mais cela ne dbouche sur aucun rsultat concret. Au moins la volont est-elle l. Rcemment, un ancien dput a t libr aprs seulement trois ans de prison alors quil est responsable de multiples crimes. Mais avec de largent et des relations, on obtient tout ici. Ce culte de limpunit doit absolument disparatre, sinon aucun progrs ne sera possible en matire de droits de lHomme, en matire de construction dune socit juste. Les droits de lHomme en Hati restent un idal qui ne se concrtise pas dans la vie quotidienne. Il est remarquable que la population ait toujours soif de justice et quelle ne soit pas tombe dans le populisme aprs toutes ces annes de dictature et de corruption.
Il en va des droits humains en Hati comme de tous les domaines : la volont existe mais les moyens ne suivent pas. Les Hatiens sont contents que le nouveau prsident rebtisse les institutions ; ils apprcient la baisse de la criminalit ; ils veulent croire au potentiel conomique du pays. Mais ils trouvent que tout va trop lentement, que les progrs ne sont pas visibles, que leur vie reste trop dure. Le temps joue contre nous. Hati nest toujours pas un Etat de droit, et il ne faudrait pas que la population se dcourage au moment o nous apercevons la fin du tunnel, mme un horizon si lointain.

Propos recueillis par Jean Piel

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