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22/05/2007
Questions internationales (2)
Des bidonvilles toujours plus peupls


(MFI) Un milliard de personnes dans le monde vivent dans des bidonvilles aux conditions dhygine et de scurit dsastreuses. Si rien nest fait, leur nombre pourrait doubler dici 2020. Lagence Onu-Habitat regrette que la communaut internationale ne sengage pas davantage contre le logement prcaire, consacrant toujours lessentiel de son aide aux campagnes.

Le spectacle est le mme de Rio Bombay en passant par Johannesburg ou Jakarta : des quartiers entiers de masures faites de bric et de broc, un rseau lectrique bricol, des montagnes dordures lodeur pestilentielle, des labyrinthes de ruelles transformes en cloaque chaque mousson, des enfants en guenilles, quelques choppes mal achalandes
Dans les pays du Sud, les bidonvilles apparaissent comme lexcroissance monstrueuse dune urbanisation mal matrise. Comment pourrait-il en tre autrement dailleurs lorsque Delhi, par exemple, accueille chaque jour un millier de nouveaux migrants venus des campagnes, alors que la ville narrive dj pas fournir eau, lectricit et ramassage des ordures aux quartiers anciennement construits ?

Une urbanisation synonyme de bidonvilles

Dici 2020, 95 % de la croissance urbaine aura lieu dans des pays en dveloppement. Ces quinze dernires annes dj, ce sont les pays les plus pauvres qui ont connu la plus forte hausse de leur population citadine, en Afrique (Rwanda, Tanzanie, Mozambique) comme en Asie (Afghanistan, Cambodge). Cette urbanisation galopante concerne surtout des villes mal prpares une telle volution. Rsultat, comme lcrit Onu-Habitat : Dans les pays du Sud, lurbanisation est devenue synonyme de formation de bidonvilles. On compte aujourdhui un milliard dhabitants dans des bidonvilles, soit un citadin sur trois. Un chiffre qui devrait passer 1,6 milliard en 2020 autant que la population chinoise si rien nest fait pour inverser la tendance. Les estimations plus lointaines voquent 3,5 milliards de bidonvillois en 2050. Aujourdhui, 72 % des citadins en Afrique, 59 % en Asie et 32 % en Amrique latine vivent dans des logements prcaires sans le confort minimum : eau, sanitaire, lectricit, toujours avec la peur du lendemain.

Un slum de trois milliards de dollars

Certains cependant refusent dassocier bidonville avec misre et violence. Ils rappellent que des communauts se recrent au cur des slums, que la solidarit y existe aussi. Les habitants des bidonvilles ont plus facilement accs que les ruraux aux Ong, aux associations de dfense des droits humains ; les opportunits de formation et demploi sont meilleures en ville que dans les campagnes. Dans certains bidonvilles, les habitants ont des emplois stables, mais ils nont pas dautres choix que de vivre l cause des prix dlirants de limmobilier en centre-ville. Cest le cas Bangkok ou Bombay. Au cur de la capitale conomique de lInde, le bidonville de Dharavi 600 000 habitants est divis en quartier tamoul, pendjabi, cachemiri, chrtien, hindou, musulman Mais plus surprenant, il a aussi ses quartiers pauvres o des familles misrables logent dans des masures en bois, et ses quartiers riches habits par des enseignants, des employs voire des mdecins ou des avocats, disposant dun titre de proprit sur une maison en dur , avec deux pices, llectricit, le tlphone Comme lexplique Jokin Arputham, un travailleur social : Habiter Dharavi, cest avoir un toit, donc presque un luxe dans une ville o un million de personnes vivent dans la rue. Ici tout le monde a un emploi. Les petites entreprises au cur de Dahravi potiers, tailleurs, bijoutiers, couturiers gnrent trois milliards de dollars de chiffre daffaires par an. A Bangkok, une tude a montr que les mnages de Klong Toey possdaient tous une tlvision couleur, un tlphone portable et un lave-linge.

Des conditions de vie pire que celles laisses derrire soi

Vision anglique des bidonvilles ? Peut-tre car, comme le rappelle Anna Tibaijuka, la directrice dOnu-Habitat, les bidonvilles sont avant tout un terreau de violence, de maladies, de misre conomique et sociale, de surmortalit infantile, de pollution, de dsocialisation . Au demeurant, contrairement aux ides reues, les habitants des zones urbaines dfavorises ne bnficient pas sauf exception de meilleures conditions de vie que les ruraux. De nombreuses tudes montrent ainsi que la malnutrition frappe aussi svrement les enfants des taudis que ceux des villages. La prvalence du sida et des maladies diarrhiques est plus leve en ville. Daprs lUnicef, le nombre de citadins sans accs leau potable est pass de 113 millions en 1990 200 millions aujourdhui. Et malgr leur pauvret, les habitants des bidonvilles payent leau jusqu 100 fois plus cher que ceux des beaux quartiers car ils doivent lacheter des oprateurs privs voire la mafia qui la livrent par camion-citerne. Une tude dOnu-Habitat rappelle que les mauvaises conditions dhygine dans les slums causent chaque anne la mort de 1,6 million de personnes.
On pourrait encore voquer les risques dexpulsion pour des gens qui bnficient rarement dun titre de proprit. Avec le dveloppement conomique, les grandes villes indiennes, chinoises et brsiliennes veulent se dbarrasser, en les rejetant toujours plus loin, de ces champignons vnneux qui dfigurent les centre-villes . Les destructions de taudis au bulldozer sans avertissement pralable sont frquentes. A Bombay, Dharavi pourrait ainsi cder la place des immeubles de luxe et des centres commerciaux. Aucun plan de relogement na t dfini.
Les catastrophes naturelles ne sont pas rares non plus dans les quartiers dfavoriss, souvent construits sur des pentes donc vulnrables aux glissements de terrain, ou dans des zones inondables, ou sur des sites rputs dangereux, ou encore trop prs de la mer. Les maisons en outre nont pas de fondations ; peu solides, elles sont les premires scrouler lors de cyclones. En Indonsie, au Sri Lanka ou en Inde, nombre des victimes du tsunami du 26 dcembre 2004 habitaient des logements prcaires. Or habiter un bidonville est souvent une exprience durable : la moiti des familles du plus grand bidonville de Calcutta y vivent depuis plus de trente ans. Comme le souligne Anna Tibaijuka, les gens viennent en ville dans lespoir dune vie meilleure. Et ils y trouvent des conditions pires que celle laisses derrire eux .

Peu despoirs de progrs

En septembre 2000, 137 chefs dEtat runis New York avaient promis de construire des villes sans taudis. Aujourdhui, Onu-Habitat espre plus modestement ramener la population des bidonvilles 700 millions en 2020. Le dfi est immense. Pour que les nouveaux migrants des villes dans les pays du Sud ne se retrouvent pas dans un slum, il faudrait construire chaque semaine jusquen 2030 lquivalent des prestations en terme de logement, dassainissement, de routes, de rseau lectrique dune ville dun million dhabitants. Mission impossible. Cela dautant plus que la construction dinfrastructures nest pas une priorit pour de nombreux gouvernements. La croissance conomique ne mne pas automatiquement la rsorption des bidonvilles. Il faut une politique volontariste damlioration de lhabitat. Or celle-ci fait souvent dfaut ou est impossible financirement. Les bidonvilles appauvrissent certaines capitales qui, du coup, ont encore moins les moyens de rsorber lhabitat prcaire. Cest un cercle vicieux , explique Eduardo Moreno, dOnu-Habitat. Pour sa part, Lindiwe Sisulu, la ministre sud-africaine de lHabitat, regrette que la communaut internationale ne consacre quenviron 6 % de son assistance aux zones urbaines, lessentiel restant affect aux campagnes . Sans pouvoir les raser, des autorits municipales cherchent au moins amliorer les conditions de vie et dhygine dans les bidonvilles. Mais les exemples sont encore trop peu nombreux.

Jean Piel

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