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22/05/2007 | |||
Questions internationales (1) La folie des mgapoles | |||
(MFI) La plante est de plus en plus urbanise. Aujourdhui, plus de la moiti des terriens vivent en ville. Cela reprsente la fois de formidables opportunits en terme de scolarisation, daccs aux soins ou dchanges culturels, mais aussi de redoutables dfis pour lenvironnement, la scurit ou les relations sociales. Dmographes et urbanistes regrettent que les dcideurs politiques ne se soucient pas davantage de la planification des grandes villes. | |||
O en est lurbanisation de la plante ? 2007 restera grav comme lanne o, pour la premire fois dans lhistoire de lhumanit, la population urbaine a dpass la population rurale. Selon les estimations de lOrganisation des Nations unies (Onu), on compte dsormais 3,2 milliards de citadins pour 3,1 milliards dhabitants des campagnes. La population urbaine a quadrupl en cinquante ans. Les projections montrent que ce phnomne va samplifier. En 2030, 62 % de la population mondiale soit alors 5 milliards dindividus vivra en ville, et 68 % en 2050. En 1950, seuls 29 % des terriens vivaient en ville, et on ne comptait que deux mgapoles de plus de 10 millions dhabitants : New York et Tokyo. Aujourdhui, on en compte 20 dont 15 dans des pays en dveloppement (et 11 en Asie). La capitale nippone et sa proche banlieue abritent 35 millions dmes, soit plus que la population totale du Canada. De mme est-on pass de 17 29 villes entre 5 et 10 millions dhabitants depuis 1975. De 70 % 80 % des Europens et des Amricains vivent en zone urbaine. Dans ces deux continents, laccroissement de la population citadine ne devrait pas excder 1 % par an dici 2030. Le scnario est diffrent en Asie et en Afrique. Les deux rgions restent majoritairement rurales ( 58 % pour lAsie et 64 % pour lAfrique), mais ce sont elles qui vont connatre la plus forte urbanisation dans les vingt prochaines annes : +3,8 % par an en Asie et +4,5 % par an en Afrique (voir article ci-aprs). Comme le souligne lconomiste Jean-Marie Cour : Cela signifie que 95 % de la croissance urbaine aura lieu dans des pays en dveloppement. Des pays qui ont dj du mal grer les problmes daccs leau, de sant, de traitement de la pollution, dhabitat prcaire, de transport public On sait que Bombay, Shanghai, Lagos, Mexico vont devenir des monstres urbains. Dans vingt-cinq ans, les villes des pays en dveloppement abriteront quatre milliards dhabitants, soit 80 % des citadins du monde. Le dfi est immense pour que la plante reste vivable. Et Anna Tibaijuka, la directrice dOnu-Habitat, dajouter : Lurbanisation est irrversible. Il est illusoire desprer dvelopper les campagnes pour rduire la population des villes. Il est impratif par contre que les gouvernements investissent largement pour bien grer leurs cits. Il en va de lavenir de lespce humaine. Il faut penser une urbanisation durable comme on envisage un dveloppement durable. La ville peut tre une chance pour lhumanit ou le pire des piges. Lurbanisation lchelle plantaire est-elle un fardeau ou une opportunit ? Cest avant tout un dfi, car la gestion dun nombre lev de personnes sur un espace limit est plus difficile techniquement, plus lourde financirement et plus exigeante politiquement que la gestion de zones rurales. Auteur de Lurbanisation du monde (Ed. La Dcouverte), le dmographe Jacques Veron rappelle que tout au long de lHistoire, les grandes cits ont t la marque de socits qui russissaient. Cest vrai de Rome, dAthnes, mais aussi du Pkin de la dynastie Ming. Plus prs de nous, New York illustre le triomphe de lAmrique post-industrielle. Economiquement, les experts soulignent que les pays riches sont aussi des pays urbaniss. Comme lcrit Nefise Bazoglu, auteur dun rapport sur Ltat des villes dans le monde : Les agglomrations offrent plus de chances de trouver du travail. Migrer vers la ville est le premier pas pour sortir de la pauvret. En terme de soins, de scolarisation, de progrs social, les villes offrent bien plus dopportunits que les campagnes. Les villes sont aussi le lieu dchanges culturels, dinteraction sociale, de crativit Les cinmas, les thtres, les bibliothques, les laboratoires de recherche se trouvent en ville. Enfin, les citadins affirment mieux leurs revendications ; ils ont un meilleur accs linformation et aux associations humanitaires. Cest ce quexplique le sociologue indien Ashish Nandy : Les gens des basses castes qui habitent en ville, mme dans des taudis, dfendent mieux leurs droits face aux patrons et ladministration que ceux des campagnes. Ce sont eux qui bnficient des emplois qui leur sont rservs dans la fonction publique car ils savent que la loi existe. Ils sont organiss, ont des leaders influents. En Inde, la promotion sociale des basses castes passe par la ville. Les mgapoles ne reprsentent-elles pas des menaces autant que des avantages ? Cest ce que pense Eduardo Moreno. Le chef de lobservatoire urbain dOnu-Habitat ne conteste pas les analyses prcdentes, mais il en modre loptimisme : La croissance conomique ne mne pas automatiquement la fin des bidonvilles. Certes, le taux durbanisation des pays riches est suprieur celui des pays en dveloppement. Mais la majorit des citadins vivent dans le tiers-monde, deux milliards contre 1,2 milliard dans les pays du Nord. Urbanisation et dveloppement ne vont plus de pair. Avant, on sexilait vers la ville car celle-ci offrait des emplois et de meilleures conditions de vie. Aujourdhui, au moins dans les pays du Sud, on fuit la guerre ou la misre des campagnes, plus quon est attir vers des agglomrations dont on ne sait rien. Cest ce que jappelle lurbanisation de la pauvret. Dun pays lautre, lurbanisation pose des problmes spcifiques. Mais les dfis sont toujours globalement les mmes : gestion des dchets, infrastructures (eau, lectricit, tlphone), scurit, transport du lieu de rsidence au lieu de travail, habitat, loisir Une bonne gestion des villes suppose un fort volontarisme politique et des moyens financiers importants. Cest pourquoi lurbanisation des pays du Nord est moins problmatique que celle des pays du Sud. La ville ne fait quexacerber, en les concentrant sur un espace rduit et peupl, les difficults que connat une nation , rsume Jacques Veron. Ainsi les bidonvilles sont une tare de lurbanisation spcifique des pays du Sud. En 2007, un milliard de personnes dans le monde, soit un citadin sur trois, vit dans un bidonville. Si rien nest fait, elles seront 1,6 milliard en 2020 (voir article ci-aprs). Mais les pays du Nord ne sont pas pargns par les problmes de sgrgation sociale ou raciale, dingalit dans laccs aux lumires de la ville, pouvant dboucher sur une forte dlinquance, une dgradation du tissu urbain ou des mouvements sociaux. Les meutes que la banlieue parisienne a connues en dcembre 2006 en sont un exemple. New York aussi o les 20 % dhabitants les plus riches ont des revenus 15 fois suprieur aux 20 % les plus pauvres. Quen est-il de lenvironnement ? Les villes produisent 80 % des gaz effet de serre responsables du rchauffement climatique alors quelles ne couvrent que 1 % du globe. Ce sont de grosses consommatrices de ressources naturelles et de grosses productrices de dchets. Ainsi, Londres a besoin de 60 fois sa propre superficie pour approvisionner ses 9 millions dhabitants en alimentation. Autre exemple : Delhi 14 millions dhabitants dont la moiti dans des bidonvilles produit 9000 tonnes de dchets mnagers par jour dont 80 % ne sont pas recycls ; 3,5 milliards de litres deaux uses sont rejetes quotidiennement dans la Yamuna, le fleuve sacr qui traverse la capitale indienne. Dans le mme registre, on dit que respirer Bombay ou Mexico quivaut fumer deux paquets de cigarettes. A en croire Rob Dejon, le directeur de la division Environnement urbain auprs du Pnud, la pollution urbaine tue 800 000 personnes chaque anne. Les habitants de neuf mgapoles Mexico, Pkin, Le Caire, Jakarta, Bombay, Los Angeles, Sao Paulo, Moscou et Shanghai respirent un air charg de quatre fois plus de particules polluantes que la limite fixe par lOrganisation mondiale de la sant . Lexode rural induit par le dveloppement conomique en Chine a multipli par dix depuis 2002 les dchets mnagers dans les grandes villes, sans que leur retraitement se soit amlior. Quant leau, la nappe phratique de Bangkok se salinise force dtre sur-exploite, et Johannesburg doit puiser son or bleu 500 km, dans les hauts-plateaux. Cela ne signifie pas que toutes les mgapoles soient pollues. La qualit de leau et de lair est satisfaisante Paris, Londres ou Tokyo. Au demeurant, les campagnes via les pesticides ou llevage industriel polluent aussi , insiste Rob Dejon. Toutes les villes du Sud ne sont pas non plus de mauvais exemples. Malgr lopposition violente des syndicats, le gouvernement rgional de Delhi a impos aux bus, taxis et rickshaws de rouler au gaz naturel, amliorant la qualit de lair. De leur ct, les autorits de Caracas ont fait construire 300 km de piste cyclable. Enfin, linauguration du mtro de Bangkok a permis de rduire la pollution et dallger les clbres encombrements de la capitale thalandaise, do une hausse de la productivit de lconomie. En cours de construction en Chine, Dongtan sera, en 2010, la premire ville au monde 100 % cologique. Les dirigeants politiques grent-ils suffisamment cette urbanisation rapide ? Les maires des 46 plus grandes villes du monde se sont retrouvs du 15 au 17 mai 2007 New York pour rflchir aux moyens dagir contre le rchauffement climatique. Ils se sont engags rduire de 20 % dans les vingt-cinq prochaines annes leurs missions de gaz effet de serre ; certains en investissant dans lefficacit nergtique de leurs buildings, dautres dans le dveloppement des transports en commun, dautres encore dans la plantation de milliers darbres. Comme le souligne Anna Tibaijuka : Les villes font partie du problme du rchauffement climatique, mais aussi de sa solution. Et la directrice dOnu-Habitat dajouter : Certes, crer des villes respectueuses de lenvironnement est une gageure, mais les technologies et les comptences existent. Ce quil faut, cest la volont des dcideurs. La protection de lenvironnement peut tre un secteur conomique trs lucratif. Dune manire gnrale, tout en reconnaissant que lurbanisation de la plante dpasse ses capacits dabsorption, les urbanistes et les dmographes regrettent que les autorits politiques ne se soucient pas davantage de la planification des grandes villes, alors quil sagit dun enjeu davenir majeur. Suite un questionnaire envoy par Onu-Habitat, les maires de 200 villes du Sud ont reconnu tre incapables de dfinir et de chiffrer les besoins de leurs concitoyens. Pourtant, comme lcrit Jorge Wilheim, larchitecte de Sao Paulo : Selon ce que nous en ferons, les villes seront divises et violentes, ou humaines et pacifiques. | |||
Jean Piel | |||
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