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28/05/2007 | |||
Questions internationales (2) Bruno Gruselle : Un symbole trop voyant de la diffrence entre les armes amricaine et russe | |||
(MFI) Bruno Gruselle est chercheur la Fondation pour la recherche stratgique. Selon lui, le clivage entre Washington et Moscou sur le bouclier antimissile est au fond moins fort quil ny parat. Le problme, cest que ce bouclier affiche la suprmatie des Etats-Unis. | |||
MFI : Invoquer une menace de lIran ou de la Core du Nord pour dployer un bouclier antimissile en Europe, est-ce bien crdible de la part des Etats-Unis? Bruno Gruselle : Oui certainement. Avec ce projet de bouclier antimissile, les Etats-Unis poursuivent la fois un objectif politique et technique. Au plan politique, George Bush a toujours soutenu la ncessit dune dfense du territoire amricain contre une attaque par des Etats voyous quips de missiles balistiques. Les attentats du 11 septembre ont renforc sa conviction. Le bouclier entre dans ce cadre ; il est conforme la logique mme de la politique de dfense des Etats-Unis. Au demeurant, il ny a rien de nouveau dans ce dossier. George Bush dfendait cette ide lors de sa campagne lectorale pour son premier mandat, ds 1999 donc. Le choix des pays daccueil ne doit rien au hasard non plus. Washington na pas fait cette offre lIrlande ou lAllemagne. Le choix de la Pologne et de la Rpublique tchque correspond la volont de la Maison Blanche dattirer dans son orbite les anciens pays de lEst qui taient membres du Pacte de Varsovie. Au plan technique, il est vrai que ni Thran ni Pyongyang ne possdent actuellement de missiles capables datteindre les Etats-Unis. Mais au rythme de leurs recherches balistiques, il nest pas impossible que dici quinze ans, ces deux pays disposent de vecteurs pouvant ainsi voler plus de 8 000 kilomtres. Or pour atteindre la cte Est des Etats-Unis, ils devront imprativement passer au-dessus de lEurope. Reste savoir si le bouclier antimissile sera efficace pour dtruire ces engins en vol. Sur le plan technologique, cest possible. Il sagit quun missile en intercepte un autre. Les essais mens par larme amricaine ces dernires annes montrent des progrs spectaculaires. Lors de la premire guerre du Golfe en 1991, aucun missile amricain navait russi stopper des tirs irakiens. Au point que Bill Clinton avait envisag dabandonner le programme de bouclier antimissile, dont le cot au moins 12 milliards de dollars par an tait jug faramineux pour des rsultats alatoires. Mais aujourdhui, le taux de russite des interceptions avoisine les 90 %. Cela dit, cela reste une opration trs difficile. Schmatiquement, il sagit darrter une balle avec une autre balle. Un missile vole plus de 7 kilomtres par seconde. Si le missile est de conception simple et que lagresseur nen tire que quelques-uns, les chances dinterception sont leves. Par contre, sil sagit de missiles sophistiqus et que le pays agresseur en tire des rafales, alors le bouclier antimissile sera vite dpass. MFI : La Russie redoute-t-elle vraiment une rupture de lquilibre des forces sur la plante ? B.G. : Les Russes ne sont pas nafs. Ils savent bien que les Etats-Unis ont depuis longtemps dploy des stations radars en Norvge et au Royaume-Uni qui leur permettent de suivre prcisment les essais de missiles russes, au moins dans la partie occidentale du pays. A ce niveau, le futur radar install en Rpublique tchque ne changera rien ; la Russie ne sera ni plus ni moins espionne quavant par les Etats-Unis. De mme, le Kremlin a parfaitement conscience de la suprmatie mondiale de larme amricaine. Larme russe nest plus ce quelle tait au temps de lURSS. Son arsenal, ses soldats, son entranement sont nettement moins performants que par le pass. Mais la nostalgie a la vie dure. Moscou souffre sincrement de voir ses anciens satellites se rapprocher des Etats-Unis. En outre, larme russe aime entretenir lillusion quelle est aussi puissante que sa rivale amricaine, mme si cest faux. Or le bouclier antimissile affiche cette suprmatie des Etats-Unis. Son principal dfaut est dtre trop visible. Plus quun diffrend de fond, cest un problme de symbole de la puissance. MFI : Le dploiement futur de ce bouclier antimissile nillustre-t-il pas lchec de lEurope de la dfense ? B.G. : Le terme dchec est trop fort. Mais sans conteste, cela complique la construction de lEurope de la dfense. Que deux pays membres de lUE concluent ainsi une alliance militaire avec les Etats-Unis est une claque pour les partisans dune solidarit militaire europenne. Cela ne casse pas la dynamique, mais a la ralentit et la complique. La Pologne et la Rpublique tchque hsitent encore entre leur allgeance Washington et les avantages quelles retirent de lUE. Il est certain que de facto elles sengagent moins dans la construction europenne que ne lont fait les pays fondateurs. Ce bouclier antimissile montre aussi que lEurope a toujours besoin des Etats-Unis pour assurer sa dfense. Son retard technologique sur lOncle Sam est abyssal. Il nexiste pas de bouclier antimissile europen, il nen existe pas au sein de lOtan, et il nen existera probablement jamais pour des raisons techniques et financires. Un tel programme cote au moins dix milliards de dollars par an ; aucun pays europen ne veut raliser un tel investissement. En outre, la coopration technologique dans le domaine militaire entre Etats europens fonctionne dj difficilement pour des projets assez simples. Alors pour un bouclier antimissile Cela dit, lEurope de la dfense est une ralit dans dautres domaines. Il ne faut donc pas la condamner mort trop rapidement. | |||
Propos recueillis par Jean Piel | |||
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