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12/06/2007
Questions internationales (3)
Bernard Rougier : Les jihadistes disposent de moyens importants dans les camps palestiniens "


(MFI) Ancien matre de recherche lInstitut franais du Proche-Orient, Bernard Rougier est lauteur de Jihad au quotidien (ditions PUF). Il insiste sur linfluence croissante des mouvements fondamentalistes dans les camps de rfugis au Liban.

MFI : Qui dirige les camps de rfugis palestiniens au Liban ?

Bernard Rougier : Cest l tout le problme, ils ne sont dirigs par personne, mais sont lenjeu dune lutte entre les diffrents mouvements palestiniens. Depuis la fin de la guerre civile au Liban, lOLP a perdu son contrle sur les rfugis. Loccupation du pays du Cdre par la Syrie qui a toujours t hostile Yasser Arafat a largi ce foss entre les rfugis et le mouvement historique palestinien. Les camps sont devenus des espaces in-gouverns, soumis des influences diverses. En outre, la fin de la guerre a t synonyme de dsuvrement pour les combattants palestiniens qui se sont alors cherch une nouvelle cause. Cest cette poque, au dbut des annes quatre-vingt-dix donc, que des mouvements religieux fondamentalistes vont simplanter dans les camps et y avoir une influence croissante. Le discours nationaliste palestinien va progressivement cder la place un discours religieux mondialiste. LOLP nest plus l pour fournir des emplois et assurer une aide sociale ; ce rle de soutien et de socialisation va tre pris en charge par les mouvements religieux extrmistes, certes pas dans les mmes dimensions. La rupture nest pas brutale car les nouveaux prdicateurs sont palestiniens. Dans leurs prches, ils dfendent donc le droit au retour. Mais la Palestine nest plus quun front parmi dautres, comme le sont aussi la Tchtchnie ou lAfghanistan. Le plus important nest plus la Palestine, mais lUmma, la communaut des croyants.
Le contexte est essentiel. Les institutions palestiniennes ne fonctionnent plus, la perspective de la cration dun Etat sloigne toujours plus, la vie dans les camps est misrable. Les mouvements religieux qui disposent de gros moyens financiers grce aux pays du Golfe vont dvelopper une conomie islamiste et proposer aux jeunes dchapper au statut peu valorisant de rfugi pour celui plus glorieux de combattant de Dieu, de moudjahidin. Cest la raison premire du succs de ces groupes fondamentalistes auprs des rfugis palestiniens du Liban. Il existe ainsi dans les camps deux mondes parallles : celui des organisations palestiniennes classiques, des Ong, de lUNRWA dun ct, et celui des groupes islamistes dgags du discours nationaliste palestinien de lautre. Ce phnomne dislamisation est surtout vrai pour les camps les plus pauvres, ceux qui ressemblent des bidonvilles. On ne peut pas dire que tous les Palestiniens du Liban soient tombs sous la coupe des salafistes.

MFI : Cet mergence du Fatah Al-Islam sinscrit-elle uniquement dans un contexte libanais ou plus gnralement proche-oriental ?

B. R. : Les deux sont dterminants. Au niveau libanais, la perspective dun tribunal onusien pour juger les auteurs de lassassinat de lancien Premier ministre Rafic Hariri provoque la colre de la Syrie qui, du coup, essaie de dstabiliser le pays via le Fatah Al-Islam. Que lon retrouve dans ce mouvement des combattants saoudiens, syriens, maghrbins aux cts de quelques Palestiniens est rvlateur.
Mais mon avis, un lment dterminant cette fois-ci au niveau rgional est le discours, lt 2006, du n2 dAl-Qada, Ayman Al-Zawihiri, qui a appel faire du Liban une terre de jihad. En effet, lexprience libanaise o des sunnites sont intgrs au jeu politique et discutent, loccidentale pourrait-on dire, de la rpartition des pouvoirs entre sunnites, chiites et chrtiens est insupportable pour Al-Qada. Lide dun pays multiconfessionnel, o des musulmans discutent dans le calme dun plan de paix propos par la France et les Etats-Unis, est inacceptable pour les fondamentalistes. Al-Qada redoute que le Liban puisse servir de modle aux sunnites irakiens dans leur recherche dun partage des pouvoirs. Par ailleurs, Al-Qada veut casser le prestige du Hezbollah chiite depuis son offensive contre Isral en juillet 2006. Le but du mouvement dOusamma Ben Laden est de montrer que lon peut tre sunnite et jihadiste. Enfin, mettre feu et sang un camp de rfugis au Liban est un moyen pour Al-Qada de rcuprer la cause palestinienne.

MFI : Cette influence croissante des mouvements fondamentalistes peut-elle stendre galement dans les Territoires occups ?

B. R. : On ne peut pas lexclure. Les mmes causes produisent les mmes effets. Dans la bande de Gaza et en Cisjordanie aussi, on croise de nombreux jeunes sans emploi, sans espoir pour lavenir, dcourags par labsence davances dans le conflit isralo-arabe, dus par les partis traditionnels comme le Fatah et le Hamas. Pour eux aussi, la religion et le terrorisme peuvent reprsenter une alternative sduisante. On peut imaginer des bandits car cela commence souvent ainsi prendre le contrle dun quartier dfavoris, puis dfendre un agenda jihadiste et se confronter aux forces de scurit palestiniennes. La coupure gnrationnelle est nette chez les Palestiniens entre des parents souvent diplms de luniversit, qui ont vcu les grandes heures de la cause nationaliste, et des enfants contraints de quitter lcole jeunes, qui nont connu que la rpression et labsence davenir. Au demeurant, les jeunes Palestiniens sont plus conservateurs que leurs ans sur des questions comme les droits des femmes ou la tolrance religieuse, car ils ont eu pour professeurs dans les coles de lUNRWA des prdicateurs fondamentalistes. Sur ce plan, lAutorit palestinienne et le gouvernement libanais partagent la mme proccupation ; ils sont confronts la mme menace.

Propos recueillis par Jean Piel

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