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12/06/2007
Questions internationales (2)
Des camps de rfugis sous influence


(MFI) La direction politique des camps de rfugis palestiniens au Liban est loin dtre bien tablie et gure dmocratique. Les diffrents mouvements palestiniens sy disputent le leadership. Fruits de la misre et du dsespoir, des groupes fondamentalistes, parfois proches dAl-Qada, y ont une influence croissante. Un moyen de ressouder lalliance entre les dirigeants libanais et lAutorit palestinienne face ce nouvel ennemi commun.

Qui dirige les 12 camps de rfugis palestiniens au Liban et leurs 406 000 habitants ? Les rponses sont gnralement confuses, vasives, incertaines. Quelques lments cependant : lUNRWA est uniquement charge des questions humanitaires (sant, scolarisation, logement, aide la cration dentreprises). En rien, elle nintervient dans la direction politique des camps de rfugis, ni au Liban ni ailleurs. Longtemps, lOrganisation de libration de la Palestine (OLP) a supervis lensemble des camps. Elle assurait mme des emplois 65 % des rfugis et finanait une partie de laide humanitaire. Mais en juin 1982, lentre de larme isralienne au Liban lopration Paix en Galile va contraindre lOLP fuir le pays du Cdre. De l date laggravation de la situation humanitaire dans les camps : la majorit des hommes perdent leur emploi, les distributions de vivres cessent et lUNRWA naura pas les moyens financiers de combler ce dpart. Officiellement, les camps sont dirigs par des Comits populaires (un par ville), mais leur lgitimit est discutable, et leur pouvoir rel trs variable.
A en croire Bernard Rougier, auteur du Jihad au quotidien (d. PUF), les camps ne sont dirigs par personne ; ils sont lenjeu dune lutte entre les diffrents mouvements palestiniens . Ce que confirme Souheil Natour, le reprsentant au Liban du Front dmocratique de libration de la Palestine : Tous les mouvements politiques palestiniens sont reprsents dans les camps, soit une vingtaine dorganisations. Certains camps sont contrls par le Hamas, dautres par le Fatah, dautres encore par le FPLP. La culture dmocratique a certainement des progrs faire. Les leaders locaux sont rarement lus, ils peuvent avoir des mthodes muscles, la justice est parfois expditive et il ne fait pas bon partout tre un opposant. Mais les choses voluent. En mai 2006, des lections dmocratiques ont eu lieu Chatila pour le renouvellement des Comits populaires. Cest un premier pas quil reste dvelopper.

Des enclaves de non-droit

En 1969, un accord entre les autorits libanaises et lOLP dit accord du Caire a confr un statut dextraterritorialit aux camps de rfugis. Ni larme ni la police libanaises navaient le droit dy pntrer, et les lois nationales ne sy appliquaient pas. Lordre tait assur par les organisations palestiniennes. Laccord du Caire prvoyait, en outre, que les Palestiniens pouvaient poursuivre leur lutte contre Isral depuis ces camps. Cet accord a videmment autoris tous les abus et largement contribu au dclenchement de la guerre civile en 1975. Officiellement, il a t abrog en 1987 ; en ralit, rien na chang. Les camps restent des enclaves de non-droit, chappant tout contrle, particulirement celui des autorits libanaises. Un phnomne accentu par le dpart de lOLP du Liban et les luttes exacerbes entre mouvements palestiniens.
Les spcialistes de la rgion ont tous not, ds la fin des annes quatre-vingt, une aggravation de la situation scuritaire dans les camps : le trafic darmes y est florissant ; des criminels de droit commun profitent de lextraterritorialit pour sy installer. Surtout, des groupes fondamentalistes y ont une influence croissante. Cest particulirement le cas An El-Hlou, prs de la ville de Sada, o svissent le Jound Al-Cham (les Soldats de la Grande Syrie) et le Usbat Al-Ansar, deux groupes jihadistes qui revendiquent leur proximit idologique avec Al-Qada. Un rapport de lOnu du 14 mars 2007 sinquitait dailleurs du danger croissant pos par des extrmistes islamistes abrits dans les camps palestiniens du Liban . Un reportage An El-Hlou publi lanne dernire dans le quotidien Libration illustrait dj cette drive. Pour nous, la Palestine nest plus la priorit. Toutes les terres musulmanes attaques doivent tre dfendues. Nous en avons marre dtre traits comme des esclaves. Ni le Fatah ni le Hamas napporteront rien aux Palestiniens. Ce sont des faibles qui ont choisi la voix de la ngociation. Les Etats-Unis et Isral ne comprennent que le langage de la force. Al-Qada la prouv. Lislamisme mondial est dsormais la juste voix , racontait ainsi un homme dune trentaine dannes, se prsentant comme le cheikh Abdallah.
Chercheur lInstitut franais du Proche-Orient, Mohammed Kamal Dora modre la force du sentiment jihadiste dans les camps de rfugis palestiniens. Selon lui, les facteurs conomiques et sociaux sont primordiaux : Cest une islamisation de la misre et du dsespoir. Les jeunes nont pas demploi, pas de perspective. Les frustrations augmentent au fur et mesure que le conflit isralo-palestinien apparat sans issue, et le droit au retour un vu pieu. LAutorit palestinienne ne suscite plus ni la confiance ni le respect. Par contre, des mouvements qui saffirment tort ou raison proches dAl Qada semblent plus combatifs. Enfin, ils offrent de laction !

Les combats pourraient rapprocher dirigeants libanais et partis palestiniens institus

Les observateurs nont donc gure t surpris des offensives du Fatah Al-Islam dans le camp de Nahr Al-Bared depuis le 20 mai. Pour le quotidien libanais LOrient-Le Jour, ces combats sont mme presque une chance : Enfin le mythe de linviolabilit des camps palestiniens est bris. Pour la premire fois depuis quarante ans, larme libanaise bnficie dun vaste soutien populaire dans un combat men pour dfendre la souverainet de lEtat libanais face des organisations se rclamant de la cause palestinienne. Avant, une offensive des troupes contre un camp palestinien tait inconcevable et nul nosait envisager une telle ventualit. Aujourdhui, larme libanaise a bris cette barrire psychologique , se flicite Michel Touma, lditorialiste du quotidien beyrouthin. Les combats pourraient rapprocher les dirigeants libanais et les partis palestiniens institus comme le Fatah et le Hamas, car les groupuscules fondamentalistes (tels que le Fatah Al-Islam) dont le caractre palestinien reste dmontrer reprsentent un ennemi commun.
LAutorit palestinienne avait tendance snober le gouvernement de Beyrouth dans ses relations avec les rfugis. Aujourdhui, le Fatah Al-Islam et le Usbat Al-Ansar constituent une menace pour lautorit des leaders palestiniens dans les camps. Ils ont donc besoin du soutien des dirigeants libanais pour remettre de lordre. Quant aux dirigeants libanais, ils ne peuvent pas accepter lmergence de mouvements sunnites extrmistes, qui donc dtestent les chiites, alors que lquilibre confessionnel du Liban reste si fragile , analyse le journaliste dAl-Hayat Hazem Amin. Beyrouth accepte encore moins que la Syrie ancienne puissance occupante manipule ces groupes fondamentalistes palestiniens, voire les cre de toutes pices. Comme par hasard au moment o lOnu approuve la cration dun tribunal international pour juger les auteurs du meurtre de lancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri. Meurtre dont Damas serait le commanditaire.

Bien loin dAl-Qada

Certes, tous les Palestiniens rfugis au Liban ne sont pas des fondamentalistes. La fuite de la grande majorit des habitants de Nahr Al-Bared devant les combats mens par le Fatah Al-Islam lillustrent dailleurs. Tout comme lillustre ce tmoignage dun jeune Palestinien du camp de Chatila, interview par le Corriere della Sera : Notre vie ici est dj terriblement difficile. Alors nous ne voulons pas que 200 personnes, qui ne sont pas toutes palestiniennes, la compliquent davantage en faisant rgner la terreur. Qui sont-ils pour me dire comment je dois prier, comment je dois mener ma vie et qui sont mes ennemis ? Je suis un Palestinien de Nazareth, mme si je suis n dans ce camp. Je rve dun Etat palestinien indpendant ; cest notre droit. Mais je suis aussi passionn dinformatique. Jespre un jour migrer aux Etats-Unis et travailler avec Bill Gates. On est loin dAl-Qada.

Jean Piel

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