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12/06/2007
Questions internationales (1)
La vie sans espoir des Palestiniens du Liban


(MFI) Les combats entre larme libanaise et le groupe islamiste Fatah Al-Islam sont venus rappeler lexistence de camps de rfugis palestiniens au pays du Cdre. Plus de 400 000 Palestiniens vivent en effet au Liban dans des conditions misrables, sans possibilit de travailler, dpendants de laide internationale. Les dirigeants libanais ne veulent pas quils simplantent l dfinitivement, les accusant dtre lune des principales causes de linstabilit du pays. Mais les rfugis palestiniens nont gure despoir de retour.

Comment sexplique historiquement la prsence palestinienne au Liban ?

Cest la cration de lEtat dIsral, en 1948, qui a contraint les Palestiniens fuir leur terre. Cet exil forc est appel la nakba, la catastrophe. Certains ont migr en Syrie, dautres en Jordanie ou en Egypte voire en Arabie saoudite, dautres encore au Liban. A lpoque, lEtat libanais leur a fait don de terrains sur lesquels ont t dresss 12 camps, la priphrie de Beyrouth ainsi que dans le Nord et le Sud du pays. Il ne faut pas imaginer des camps de toile, mme si officiellement toute construction y est interdite ; il sagit aujourdhui de vritables villes, certes sans plan durbanisme.
Ces premiers rfugis et leurs descendants ont t rejoints en 1967 par une seconde vague dexils lorsque la guerre des Six jours a contraint les habitants de Gaza et de Cisjordanie fuir. Dautres Palestiniens se sont installs au Liban aprs la guerre du Golfe en 1991, prfrant quitter les Emirats. Au total, selon lagence onusienne pour les rfugis palestiniens (lUNRWA), on compte 406 300 Palestiniens au Liban, soit 10 % de la population du pays du Cdre. Ils reprsentent galement 11 % de lensemble des exils palestiniens. Sur ces 406 300 rfugis, 230 000 vivent dans des camps. Les autres sont installs dans les grandes villes du pays ou dans des ghettos illgaux, sans assistance de lUNRWA.
Quel que soit leur ge, les Palestiniens ne sont pas intgrs au Liban. Ils ne le veulent pas dailleurs, qui tous se prsentent comme originaires de Safad, Ramallah, Naplouse ou dailleurs. Selon les observateurs, les parents sont soucieux dentretenir chez les enfants ce sentiment dexil. Le droit au retour affirm par la rsolution 194 des Nations unies reste prsent dans tous les esprits. De leur ct, les autorits libanaises sont hostiles une implantation dfinitive des Palestiniens, considrs comme lun des principaux facteurs de linstabilit du pays.

Quelles sont les conditions de vie des Palestiniens au Liban ?

De lavis unanime des observateurs, leurs conditions de vie sont misrables, et cela cinquante-huit ans aprs larrive des premiers rfugis. Les 12 camps sont un ddale de ruelles troites qui se transforment en torrents de boue malodorante aprs des pluies abondantes ; les immeubles sont dlabrs ; des cbles lectriques et des gaines dgouts tranent partout ; les infrastructures (accs leau, tlphone, voirie) sont dans un tat dplorable. Un tremblement de terre ici serait une catastrophe. Quoique les immeubles sont si colls les uns aux autres quils se soutiendraient peut-tre , commente avec cynisme un membre dune Ong. LUNRWA na pas reu des autorits libanaises lautorisation de conduire des travaux de rnovation. Elle manque en outre de moyens : en 2006, il lui a manqu 117 millions de dollars pour boucler le budget de 406 millions quelle avait dfini ; la cause palestinienne nest pas populaire auprs des donateurs. Quant lAutorit palestinienne qui, un temps, a financ laide aux rfugis, ses caisses sont vides.
Comme le racontait au quotidien Le Monde le Dr Saleh Maarouf, qui travaille pour le Croissant-Rouge dans le camp de Chatila : Les habitations ne voient pas le soleil, et les gouts percs sont des nids microbes. Rsultat, les gens souffrent de tuberculose, de pneumonie, dasthme. La mauvaise alimentation est source de diabte et danmie. Evidemment, nous manquons de moyens mme pour soigner les pathologies bnignes. Une animatrice de lOng franaise Enfants rfugis du monde souligne pour sa part les situations de stress lorigine de nombreux troubles psychologiques ; les gens sont mins par la nostalgie, enferms dans leur pass, sans espoir pour lavenir ; ils rvent dun retour dans une Palestine idalise tout en sachant que cest de plus en plus hypothtique, et touffent dans une vie immobile quils nont pas choisi, sans emploi, sans espoir, sans libert .
Seuls 20 % des enfants palestiniens vont dans une cole libanaise. LUNRWA gre 86 tablissements accueillant 41 000 lves, mais les classes sont surcharges et le niveau trs faible. A quoi bon suivre des tudes suprieures puisque les emplois qualifis nous sont interdits et que nous sommes privs de passeport , se lamente une adolescente du camp de Baddaoui, dans le nord du pays.
Selon lUNRWA, 60 % des Palestiniens du Liban vivent en-dessous du seuil de pauvret ; 70 % sont au chmage ; 20 % des enfants des rues Beyrouth viennent des camps. Leur sort est pire que celui des rfugis palestiniens dans dautres pays. En effet, les autorits libanaises ne leur accordent aucun droit : interdiction davoir un passeport ; interdiction de bnficier de prestations sociales ; interdiction dexercer de nombreux mtiers ; interdiction dtre propritaire dun logement ; interdiction dtre membre dune association Comme le dnonce Amnesty International : Les discriminations lencontre des Palestiniens leur interdisent de mener une vie dcente. On ne leur reconnat aucun droit citoyen. Cest ce que racontait un rfugi au quotidien italien Corriere della Sera : La plupart dentre nous travaillons au noir, totalement la merci des employeurs. Les ingnieurs se retrouvent maons et les mdecins infirmiers. Moi, je suis chauffeur de taxi, mais cest illgal. Si la police mattrape, elle confisquera ma voiture.
Souhaitant le dsarmement des milices palestiniennes et soucieux en outre de combattre linscurit qui rgne dans les camps, le gouvernement de Fouad Siniora a entam en juin 2005 des ngociations avec les reprsentants des rfugis pour amliorer leurs conditions de vie ; les professions interdites sont ainsi passes de 73 20, et des promesses de rnovation des immeubles ont t faites. Mais le conflit entre Isral et le Hezbollah au Sud-Liban lt 2006, et la crise politique qui sen est suivie Beyrouth, ont interrompu ces discussions. Au quotidien, le sort des Palestiniens ne sest pas amlior.

Pourquoi Beyrouth adopte-t-elle une politique si dure envers les rfugis palestiniens ?

En menant depuis des dcennies une politique aussi stricte, les dirigeants libanais quels quils soient visent dcourager toute vellit des Palestiniens de simplanter dfinitivement au pays du Cdre. Leur rve serait mme de les expulser, mais ils nen ont pas la possibilit. En effet, selon Mohammed Kamel Dora, chercheur auprs de lInstitut franais du Proche-Orient, Damas : Dans un pays caisse de rsonance des crises rgionales, qui a connu une longue guerre civile, occup il y a peu encore par la Syrie, dont linstabilit politique est largement due aux divisions entre chiites, sunnites et chrtiens, la prsence des rfugis palestiniens exacerbe les tensions. Cest un problme de plus grer pour un pays qui lutte dj pour sa survie. Un problme dautant plus sensible que les factions palestiniennes restent actives au sein des camps et que les armes y circulent librement (voir article ci-joint). Comme le reconnaissait un rfugi du camp de Dbayeh cit par Le Monde : Nous sommes un peuple en droute, mais nous sommes aussi une arme en guerre. Et cela sera ainsi tant que nous naurons pas recouvr notre terre.
Les Libanais noublient pas que cest la prsence palestinienne qui est lorigine du dclenchement de la guerre civile en 1975, guerre qui a fait plus de 150 000 morts et dtruit les infrastructures du pays. Ils savent aussi que la Syrie manipule des groupes fondamentalistes palestiniens, parfois proches dAl-Qada, pour dstabiliser le pays du Cdre. Les combats actuels mens par le Fatah Al-Islam dans le camp de Nahr Al-Bared en sont une vibrante illustration. Les mouvements islamistes ont une influence croissante dans les camps. Le jihadisme sduit des jeunes sans espoir, dcourags par la misre. Le discours nationaliste palestinien cde progressivement la place un discours religieux mondialiste , souligne Bernard Rougier, auteur de Jihad au quotidien (voir interview ci-joint) .De leur ct, les Palestiniens nignorent pas que, sans protection, la situation peut tre trs dangereuse pour eux. Les massacres de Sabra et Chatila commis par les Phalanges chrtiennes libanaises en septembre 1982 et qui ont fait entre 700 et 3500 morts selon les sources sont l pour le leur rappeler.

Des compromis sont-ils possibles ?

Agence onusienne, lUNRWA na pas les moyens dimposer ses souhaits au gouvernement libanais. Elle reste un organisme qui gre laide humanitaire aux rfugis palestiniens, au Liban comme dans les pays voisins. Et on la vu, les discussions entames par le gouvernement de Fouad Siniora en 2005 pour amliorer les conditions de vie des rfugis discussions trs intresses de la part des autorits libanaises nont pas abouti du fait de la dtrioration de la situation intrieure et rgionale.
Les autorits libanaises doivent faire la distinction entre le tawtin une implantation dfinitive impose par la communaut internationale et le tahil, le droit des conditions de vie matrielles et morales dcentes. Certes, lhistoire palestinienne est complexe ; cest une pope et nous resterons un peuple en lutte tant que nous naurons pas reconquis notre terre. Mais les Palestiniens sont aussi des gens normaux, qui aiment faire la fte, ont des ambitions professionnelles, se soucient de la sant de leurs enfants. Ils ont droit des conditions de vie dignes , plaide Souheil Natour, le reprsentant du Front dmocratique de libration de la Palestine (FDLP) au Liban.
Le comble est que, relevant de lUNRWA, les Palestiniens ne peuvent pas revendiquer les droits prvus en faveur des rfugis par la convention de Genve de 1951, notamment la possibilit de stablir dans un pays o leur vie nest pas en danger. Ils ont donc moins de droits que les rfugis dautres nationalits. Leur statut juridique est quasi-inexistant. Nous navons que le droit de respirer et rester l sans bouger , se lamente un habitant du camp de Rashidieh. Les Palestiniens du Liban cristallisent donc les enjeux politiques les plus exacerbs tant lchelle libanaise qu lchelle du Proche-Orient. Ils viennent rappeler que la rsolution du conflit isralo-arabe exige aussi une solution pour les rfugis.

Jean Piel

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