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19/06/2007
Questions internationales (1)
Tony Blair : un destin bris par le conflit irakien


(MFI) Aprs dix ans la tte du Royaume-Uni, Tony Blair quittera le pouvoir le 27 juin, 54 ans. Rput ouvert et pragmatique, lhomme incarne le dynamisme retrouv de lconomie britannique et la modernisation de la socit. Mais le conflit irakien assombrit son bilan.

Quelle marque Tony Blair laissera-t-il dans la vie politique britannique ?

Lorsque Tony Blair est lu dput en 1983 il a alors tout juste trente ans , il affiche son ambition : moderniser le Labour pour en faire un parti en phase avec la mondialisation, loin de son image de formation des syndicats et des dpenses incontrles. Ses rencontres avec les dmocrates amricains
Bill Clinton en particulier le convainquent de deux choses : une lection se gagne au centre ; la bonne sant de lconomie prime sur toute autre considration pour les lecteurs. Cest sur cette base qui choque laile gauche du parti que Tony Blair amne le Labour la victoire en 1997, aprs dix-huit ans passs dans lopposition. Il devient alors, 44 ans, le plus jeune Premier ministre de lhistoire du Royaume-Uni.
Fils de bonne famille et avocat de formation, le nouveau locataire du 10, Downing Street va semployer rconcilier les contraires : dfense de linitiative prive et justice sociale, privatisation de lconomie et promotion des services publics, lutte contre linscurit et respect des liberts, contrle de limmigration et socit multiculturelle Il chasse sur les terres jusque l rserves aux conservateurs : discipline lcole, lutte contre le terrorisme, libralisation du march du travail Tony Blair est un mtis, politiquement. Il pique toutes les ides qui lui semblent bonnes, peu importe do elles viennent , commente Christopher Pissarides, professeur la London School of Economics. Ce qui compte, cest ce qui marche , rpond lintress, au grand dam des idologues de tout bord.
Charismatique, sducteur, magicien du verbe, Tony Blair est avant tout un pragmatique, adepte de cette troisime voie chre Bill Clinton. Cest un social-dmocrate moderne qui a rconcili efficacit et quit , ajoute Christopher Pissarides. On le dit aussi obsd par les sondages au point de changer son discours en fonction de son auditoire. Une anecdote veut que, rpondant au journal du Parti travailliste sur son plat prfr, il rponde sans hsiter : Fish and chips . Un mois plus tard, la mme question, mais pose par le journaliste dune revue branche londonienne, il rpond avec aplomb : Des fettucines fraches, arroses dhuile dolive et accompagnes de tomates et de cpres . Tony dsaronne souvent, si bien que, dans le langage des adolescents To be blairing up signifie semer la confusion. Tony Blur ; Tony, le pas clair le surnomment ses dtracteurs. Plusieurs affaires de corruption et de trafics dinfluence au sein du Labour et dans lentourage de sa femme, Cherrie, aggravent cette rputation dopportuniste qui abuse du pouvoir.
Sur le plan socital, Tony Blair qui rvait de devenir guitariste de rock et admire toujours les Rolling Stones a su moderniser son pays. Les droits des homosexuels ont t amliors ; les minorits ethniques sont plus visibles ; les lois sur la drogue et leuthanasie ont t rvises ; un effort important a t men en faveur de lenfance et des handicaps ; le salaire minimum a t institu. Mme la Couronne se flicite de cet homme connu pour sa force de travail et sa dtermination. On se rappelle comment, la mort de Lady Diana, il avait su capter lmotion du pays en voquant la Princesse du peuple .

Les bons rsultats de lconomie britannique sont-ils mettre son crdit ?

Un chmage 4,6 %, un dficit public infrieur 3 % du PIB, une croissance suprieure celle de la zone Euro, la plus faible inflation depuis trente ans, 3 millions demplois et 300 000 entreprises cres depuis 1997 Les chiffres de lconomie britannique donnent le tournis . Le rsultat sans conteste de la politique librale conduit par Tony Blair et son ministre des Finances, Gordon Brown, en poste depuis 1997 et vritable vice-Premier ministre. Cest dailleurs lui qui succdera Tony Blair le 27 juin (voir article ci-joint). Leur credo : encourager lesprit dentreprise, rduire le cot du travail, redfinir un contrat social o lEtat naide que les plus dfavoriss. LEtat na pas pour vocation de crer des richesses, mais lenvironnement qui les gnre. Leur principale victoire est la baisse du chmage. Les entreprises peuvent recruter et licencier aisment ; elles payent peu de cotisations sociales. Tout est fait pour que le statut de chmeur ne soit pas enviable : les indemnits sont faibles et courtes, les contraintes lgales svres. Par contre, les programmes de formation sont dvelopps, les aides fiscales et familiales la reprise du travail revalorises. Il faut rhabiliter lthique du travail. Lemploi est le plus sr moyen dchapper lexclusion , martle le Premier ministre.
La baisse du chmage et la croissance durable expliquent la rlection de Tony Blair en 2001 puis en 2005. Mais lhomme nest pas quun libral pur et dur. Certes, son premier mandat est marqu par une rigueur budgtaire qui permet dassainir les finances publiques et dinstaller la confiance des entrepreneurs. Mais ds son deuxime mandat, lhomme de la troisime voie investit massivement dans les services publics, tout en poursuivant sa politique librale lgard des entreprises : 200 000 enseignants, 20 000 mdecins et 70 000 infirmires sont recruts. Le budget de la sant est tripl. La moiti des emplois crs depuis 1997 lont t dans les administrations. Cr en 1999, le salaire minimum a dj augment de 40 %.
Tony Blair et Gordon Brown ont rinvent lEtat-providence. Cela na pas t sans mal, mais le rsultat est l. Le Parti travailliste a retrouv une rputation de bonne gestion. Tony Blair na jamais cach son admiration pour Margaret Thatcher. Il a su mettre une dose de social et renforcer lEtat en prime , analyse Nick Pearce, de lInstitute for public policy research. Rponse irrite de Neal Lawson, membre de laile gauche du Labour : Mme si leur nombre a diminu, on compte encore 13 millions de pauvres en Grande-Bretagne. Les transports publics sont dplorables et les frais universitaires parmi les plus levs dEurope. Certes des emplois ont t crs, mais souvent pour des salaires de misre. Il ny a qu Londres quon rencontre autant dhommes-sandwichs. Dans le monde de Tony Blair, lchec est interdit ; cela cre une pression terrible sur les gens.
Reste que les dix annes la tte du Royaume-Uni du gentleman politicien , comme le surnomme la presse populaire, ont dteint sur les conservateurs. Leur leader, David Cameron, ne remet pas en cause la politique conomique mene depuis 1997.

Tony Blair a-t-il rencontr le mme succs en politique trangre ?

Les certitudes politiques du Premier ministre britannique se nourrissent en partie de ses convictions religieuses. Pratiquant fervent, il ne porte pas sa foi en sautoir, la diffrence de George Bush. Mais, comme il la lui-mme crit : Le catholicisme auquel jadhre est une religion dure. Elle implique de porter des jugements sur la condition humaine. Il y a le vrai et le faux, le bien et le mal. Le mal doit tre combattu . Cest pourquoi, comme Saint-Augustin, Tony Blair croit aux guerres justes , ajoute Christopher Pissarides.
Moraliste et internationaliste, Tony Blair est donc logiquement enclin linterventionnisme militaire quand cela lui semble ncessaire. On le voit en Bosnie, au Kosovo, en Sierra Leone, en Afghanistan, et videmment en Irak. Dans la mme logique, il est favorable une aide humanitaire accrue lAfrique, la reconnaissance rapide dun Etat palestinien il fait souvent pression sur George Bush ce sujet et un engagement actif des pays occidentaux contre le rchauffement climatique. Si lactuel conflit irakien la mis sur le devant de la scne, Tony Blair auparavant ne stait gure impos dans les forums internationaux : pas de discours mmorables la tribune de lOnu ni au G8. Sa priorit a toujours t la politique intrieure.
Anglais mais n et lev en Ecosse, Tony Blair a rat son rendez-vous avec lEurope. Il rvait de rconcilier avec lUE une opinion publique largement eurosceptique, lui qui est pro-europen dinstinct et de raison . Sans succs. Un temps, il a envisag de faire adopter la Constitution europenne par rfrendum. Mais les non franais et nerlandais len ont dissuad. Il ne russira jamais non plus gagner la confiance de ses partenaires europens, et encore moins des diplomates de Bruxelles pour qui le Royaume-Uni reste un adversaire de lUE. Enfin, il souhaitait que Londres adopte leuro afin dtre au cur de lEurope . Mais lopposition farouche de Gordon Brown qui a mis sa dmission dans la balance la contraint faire marche arrire.
Tony Blair a cependant connu un succs salu par tous les leaders europens, mme si, vu de Londres, il ne sagit pas de politique trangre : lIrlande du Nord. En 1998, sa tnacit et son optimisme permettront la signature dun premier accord de paix entre protestants et catholiques. Les neuf annes suivantes, de trve rompue en impasse, de rebondissement en rapprochement, le Premier ministre qui dteste les conflits personnels et recherche toujours le consensus passera des dizaines dheures avec les acteurs du conflit les convaincre de la ncessit de la paix. Mission accomplie : le 8 mai 2007, le premier gouvernement bipartite (protestant et catholique) a vu le jour en Ulster.

Pourquoi alors Tony Blair quitte-t-il prmaturment le pouvoir ?

Si le Premier ministre britannique a remport un grand succs en Ulster, a contrario le conflit irakien sonne sa perte (voir article ci-joint). Estimant que lapaisement ne marche pas envers les dictateurs, laction militaire est le seul moyen de dsarmer Saddam Hussein , Tony Blair engage son pays dans la guerre contre lavis de son opinion publique et de nombre de ses amis. Il y gagne le surnom de caniche de Bush et nvite pas les dclarations malencontreuses sur les armes de destruction massive. Au fur et mesure que lIrak senfonce dans la guerre civile et que le nombre dattentats meurtriers bat des records, sa cote de popularit dgringole.
En septembre 2006, une fronde au sein du Parti travailliste loblige annoncer son prochain dpart. Depuis, il na plus gure dautorit. Une nouvelle affaire de corruption dans les rangs du Labour, puis la rcente dfaite du parti aux lections rgionales parachvent sa descente aux enfers. Le sducteur jovial, toujours souriant, au contact facile, dont le 3 enfant est n au 10, Downing Street la joie du pays, a cd la place un homme nerveux, au visage marqu, aux discours peu assurs. Sans le conflit irakien, Tony Blair seul travailliste avoir remport trois lections conscutives aurait probablement achev son troisime mandat et battu le record de longvit la tte du Royaume, tabli par Margaret Thatcher (onze ans et demi).
A lheure du bilan, Tony Blair espre que les Britanniques ne resteront pas fixs sur lIrak, mais se rappelleront de lui lhomme dynamique et ouvert qui a su rveiller lconomie, enrichir le pays, moderniser la socit et rsoudre linterminable conflit nord-irlandais. LHistoire tranchera.

Jean Piel

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