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24/07/2007
Questions internationales (2)
Au cur du Talibanistan pakistanais


(MFI) Situes le long de la frontire afghane, les zones tribales pakistanaises obissent un islam rigoureux. Cest l que seraient rfugis Oussama Ben Laden et les principaux dirigeants dAl-Qada. Les autorits pakistanaises narrivent pas imposer leur loi dans ces rgions de montagnes isoles. Les Etats-Unis veulent en reprendre le contrle au nom de la lutte contre le terrorisme.

Sous un soleil de plomb lt et un froid pierre fendre lhiver, la route, troite et poussireuse, court de Peshawar la frontire afghane entre des montagnes ocres formant un magnifique paysage lunaire. Nous sommes dans la rgion de la Khyber Pass, la frontire du Pakistan et de lAfghanistan, lieu de toutes les contrebandes et fief des tribus Afridi et Shinwari. Lune des sept zones tribales pakistanaises galement, qui ne se sont jamais soumises ni au pouvoir de Gengis Khan ni celui des colons anglais, et qui aujourdhui bnficient dune large autonomie. La loi ordinaire ny a pas cours -cest la charia qui sapplique et nul noserait contester lautorit ancestrale des grandes familles dominantes.


Le fief des soldats de lislam

Stendant sur 27 220 km, les sept zones tribales abritent 3,2 millions dhabitants, tous dethnie pachtoune. Ils ne reconnaissent pas les frontires, mais uniquement le territoire pachtoune qui stend entre le Pakistan et lAfghanistan. Depuis le plus jeune ge et quelle que soit la saison, tous arpentent sans jamais se perdre les nombreux sentiers de montagnes qui passent dun pays lautre. Un savoir qui en fait des guides prcieux. Les zones tribales pakistanaises constituent un monde part : isol du reste du pays, soumis ses propres codes, trs pauvre, soucieux de respecter la solidarit due aux musulmans et la loi du silence, o seuls 17 % des hommes et 3 % des femmes sont alphabtiss. Il ny a quau Wazisristan, Bajaur ou dans la Khyber Pass quon peut voir des villages en pierres grises entirement ceint dun mur, ouverts sur lextrieur par une seule porte dont seul le chef du village dtient la cl.
Cest donc naturellement dans ces rgions taiseuses et difficiles daccs que se sont rfugis des milliers de Talibans et de membres dAl-Qada aprs la perte de Kaboul par les tudiants en thologie en novembre 2001. Ils ont gnralement t bien accueillis : comme doivent ltre les combattants de la guerre sainte. Dautant que les tribus pachtounes ont une longue tradition dhospitalit. En effet, cest elles qui abritaient les camps dentranement et les dpts darmes des combattants moudjahidins, qui guidaient les espions, les journalistes et les membres dONG lors de linvasion sovitique de lAfghanistan. A lpoque, les Etats-Unis chantaient leurs louanges et les armaient sans hsiter. Cette exprience a laiss des traces ; les habitants des zones tribales se sont persuads quils taient les soldats de lislam. La multiplication des madrassas a greff sur cette pratique guerrire une rhtorique islamiste , analyse Ahmed Rashi, lun des meilleurs spcialistes pakistanais du mouvement taliban. Autre consquence : les mollahs et les chefs jihadistes ont vu leur influence progresser au dtriment des chefs tribaux traditionnels.

Des chefs tribaux opposs Al-Qada

Aujourdhui, les combattants dAl-Qada et les Talibans ont donc remplac les moudjahidins anti-sovitiques dans ces zones tribales, en particulier dans les districts du nord et du sud Waziristan. La majorit des experts est persuade que cest l que se cachent Oussama Ben Laden et son n2, lEgyptien Ayman Al-Zawahiri. Bien protgs, ils auraient russi reconstituer la force oprationnelle dAl-Qada, un temps mise mal par linvasion amricaine de lAfghanistan. Cest dans les zones tribales pakistanaises quont t organiss les attentats de Londres et Madrid , accuse lAcadmie britannique de dfense. Sous la pression amricaine, 80 000 soldats pakistanais se sont dploys dans la rgion en 2004. Des soldats bien accueillis au dpart par les chefs des grandes familles, outrs de voir leur pouvoir menac par de jeunes commandants dbraills, par la population aussi, lasse des exactions de jihadistes venus de Tchtchnie, de Bosnie, du Ymen, dArabie saoudite Comme le racontait un chef local dans le Frontier Post, le quotidien de Peshawar : Moins de 10 % des Pachtounes pakistanais soutiennent les Talibans, mais les gens ont peur. Certains villages isols sont tombs sous la coupe de combattants sanguinaires qui font rgner la terreur en dcapitant ceux qui ne leur plaisent pas, sans respecter les femmes. Nous sommes des gens fiers, des dfenseurs de lislam, nous possdons tous une arme et nhsitons pas nous en servir. Mais nous avons un code de lhonneur aussi ; notre justice est rude mais jamais expditive. Avec ces nouveaux venus par contre, cest le rgne de larbitraire. Ils peuvent tuer un homme sans sommation juste parce quil coute de la musique ou a achet une revue au bourg voisin.

Le retrait de larme pakistanaise

Mais larme pakistanaise, son tour, a fini par se faire dtester cause de ses bavures contre les civils, de ses destructions arbitraires de btiments et pour avoir dsorganis une contrebande de la drogue aux 4x4 en passant par les tlviseurs qui fait vivre toute la rgion. La fiert traditionnelle de ne pas se laisser conqurir a aussi radicalis la population. Aprs avoir perdu 800 hommes en deux ans, larme pakistanaise sest retire des zones tribales en septembre 2006 suite un accord de paix qui prvoit prcisment la fin des patrouilles de larme, en change de quoi les combattants locaux sengagent ne plus lattaquer et ne plus soutenir les Talibans afghans. Un accord videmment impossible contrler, qui sonne comme un aveu dchec pour Islamabad. Le retrait de larme pakistanaise des zones tribales a permis aux groupes islamistes dy imposer leur loi. On a tout simplement donn un territoire aux Talibans , regrette lancien chef dEtat-major, le gnral Assad Durani. Il est vrai cependant que les oprations de larme navaient dbouch sur aucun rsultat. A contrario, le jihad contre les infidles est de plus en plus populaire, en particulier chez les jeunes endoctrins dans les madrassas, sans ressource, fascins par la perspective de combats au sein dun groupe et lillusion de puissance que donne la possession dune grosse voiture et dun fusil-mitrailleur.

Une prochaine intervention amricaine ?

Un rapport publi le 17 juillet 2007 par 16 agences de renseignements amricaines affirme quAl-Qada a reconstitu ses rseaux et dirige toutes ses oprations depuis les zones tribales pakistanaises. Sans reprendre le contrle de celles-ci, il sera impossible de pacifier lAfghanistan et de lutter efficacement contre le terrorisme international , veulent croire les Etats-Unis. Au passage, le rapport dresse un constat dchec de la politique mene par le prsident pakistanais Pervez Musharraf. Des rumeurs croissantes voquent des oprations militaires amricaines denvergure contre ces zones tribales. Paralllement, le Congrs amricain a vot un budget de 750 millions de dollars pour amliorer les infrastructures dans cette rgion et y construire des coles, des routes et des hpitaux. Une politique de dveloppement qui ne peut avoir des effets qu long terme. En attendant, la talibanisation des zones tribales pakistanaises gagne les rgions voisines.

Jean Piel

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