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24/07/2007 | |||
Questions internationales (1) Le Pakistan entre islamisme et soutien aux Etats-Unis | |||
(MFI) Les mouvements fondamentalistes ont une influence croissante au Pakistan, bien que le prsident Pervez Musharraf, alli de Washington, leur ait dclar la guerre. Mais isol politiquement, celui qui est aussi le commandant en chef de larme doit composer avec des islamistes qui, parfois, servent ses intrts. Alors quAl-Qada serait en train de se rorganiser, les Etats-Unis sont dsormais lasss de ce double jeu dIslamabad. | |||
Quelle est limportance des mouvements islamistes au Pakistan ? Les dix jours de prise dotages la Mosque Rouge la plus ancienne mosque dIslamabad ont mis en vidence la dtermination croissante des mouvements fondamentalistes au Pakistan. Lassaut lanc par les forces de lordre, le 11 juillet, a fait au moins 86 morts. Dans la semaine qui a suivi, les reprsailles de ceux qui se prsentent comme les Talibans pakistanais attaques de convois militaires, attentats-suicides, assassinats cibls ont fait prs de 200 victimes. Limite il y a peu encore aux zones tribales frontalires de lAfghanistan notamment le Waziristan (voir article ci-joint) , cette prsence de groupes islamistes stend dsormais toutes les provinces, et mme Islamabad, la capitale aux allures de belle endormie, habite par llite politique, conomique et militaire. Ces groupes ne se contentent plus de coups dclat ; leur influence croissante, mais aussi la peur quils suscitent contraignent les boutiques vido fermer, les barbiers changer dactivit, les femmes porter la burqa, les libraux se taire Alors quon ne comptait que 200 madrassas (coles coraniques) lindpendance en 1947, elles sont aujourdhui plus de 30 000. Comme lexplique le journaliste Arif Jawad : Les lves des madrassas nont aucune comptence sur le march du travail. Leur seule perspective est la guerre sainte. Les plus jeunes sont des candidats idaux pour les attentats-suicides car ils sont influenables. Nombre de jihadistes en Afghanistan sont en ralit des Pakistanais qui sont mme dagir contre leur pays sils en reoivent lordre. Historiquement, les partis religieux nont jamais connu de bons rsultats lectoraux au pays des purs , mme si lislam y est religion dEtat. Majoritairement sunnites dinspiration soufie, les Pakistanais ne gotent gure lextrmisme. Mais la lutte pour le Cachemire mene contre lInde au nom de lislam, les difficults socio-conomiques du pays et la dsaffection pour les partis politiques traditionnels accuss de corruption ont fait le lit des mouvements islamistes. Aux lections lgislatives doctobre 2002, le Muttahida Majlis-e-Amal (MMA), une alliance de sept partis religieux, a remport 20 % des siges et dirige dsormais deux des cinq provinces du pays. Paralllement, linfluence des Talibans voisins et le sentiment anti-amricain ont parachev la monte en puissance des groupes islamistes. Comment ragissent les autorits pakistanaises cette nouvelle donne politique ? Nous sommes rsolus radiquer lextrmisme et le terrorisme du moindre recoin du pays. Ainsi sexprimait le prsident Pervez Musharraf au lendemain de lassaut contre la Mosque Rouge. Celui qui sest empar du pouvoir par un coup dEtat sans effusion de sang en octobre 1999, et qui est toujours chef dEtat-major des Armes, na jamais fait mystre de son aversion pour les intgristes, ces obscurantistes qui souillent limage de lislam et du Pakistan . Il aime le whisky et sa famille comme la majorit des membres de llite pakistanaise est titulaire dun passeport amricain. Au-del du folklore, Pervez Musharraf a choisi comme ministres des technocrates connus pour leur ouverture desprit. Surtout, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, le gnral-prsident a ralli les Etats-Unis dans leur lutte contre le terrorisme. Certes, Washington lui a forc la main puisque le secrtaire dEtat de lpoque lui aurait dclar : Soyez prts tre bombards, revenir lge de pierre si vous ne cooprez pas avec nous. En change, les Etats-Unis ont pong lnorme dette pakistanaise, financ 10 milliards de dollars de projets de dveloppement et modernis larsenal de larme. Sans le soutien de la Maison blanche, lesprance de vie politique de Pervez Musharraf aurait t limite. Lintress a cependant respect sa part du contrat : des centaines de militants et responsables dAl-Qada ont t arrts, notamment Khalid Cheik Mohammed, lorganisateur des attentats du 11 septembre. Des raids de grande envergure ont permis de dmanteler des cellules jihadistes. Enfin, 80 000 soldats pakistanais ont investi en 2004 les zones tribales souponnes de servir de sanctuaire Al-Qada. Cest l que seraient rfugis Oussama Ben-Laden et son bras droit, Ayman Al-Zawahiri. Bnficiant dune large autonomie, les zones tribales chappent normalement au contrle de larme. Ordonner le dploiement de soldats supposait donc un rel courage politique Ou dnormes pressions. Musharraf est donc le parfait partenaire des Etats-Unis dans leur lutte anti- terrorisme ? Certainement pas. Lhomme est en effet mis en porte--faux par, dune part, sa dfense dun islam modr et le soutien indispensable de Washington, et dautre part le sentiment anti-amricain de ses concitoyens, ses calculs de politique intrieure et les intrts de son pays lchelon rgional. Il nignore pas non plus que lISI, les services secrets pakistanais, ont toujours soutenu les Talibans. Rsultat : sa formation, le PML-Q, est allie au Parlement avec les islamistes du MMA. Ces derniers, il est vrai, ont approuv une rforme constitutionnelle qui lautorise rester en mme temps prsident de la Rpublique et chef dEtat-major des Armes. A contrario, les partis progressistes ne veulent plus dialoguer avec lui. Ils dnoncent cette double casquette civile et militaire, tout comme les atteintes rptes la libert dopinion. Mais lvnement qui a scell le divorce entre Pervez Musharraf et les partis progressistes est le limogeage, en mars dernier, du prsident de la Cour suprme pour abus de pouvoir. En ralit, lobjectif du chef de lEtat tait de reprendre en main le systme judiciaire, trop indpendant son got. Plusieurs manifestations de soutien au magistrat se sont transformes en rassemblement anti-Musharraf et ont t violemment rprimes. A quelques mois de llection prsidentielle, Pervez Musharraf est donc isol politiquement et ne peut plus se passer du soutien des islamistes du MMA qui, eux, ont loreille de lopinion. Alliance de la carpe et du lapin, Pervez Musharraf au verbe et laction parfois muscle contre les jihadistes, ami de George Bush a besoin de Fazlur Rahman, le leader du MMA, sympathisant dclar des Talibans, qui dclarait il y a peu : Nous soutenons le Jihad partout dans le monde. Nous abreuverons lesprit des jeunes musulmans de haine pour les Amricains. Va-t-on vers une talibanisation du Pakistan ? Cela nest pas sans consquences concrtes. Ces trois dernires annes, le gouvernement pakistanais, sous la pression des partis religieux, a fait marche arrire sur plusieurs projets de lois, notamment ceux modernisant lenseignement dans les madrassas, rvisant la dfinition de ladultre ou contrlant la construction des mosques. De mme, Quetta, Peshawar ou Karachi, de nombreux Talibans pakistanais, de retour dAfghanistan, sont soigns dans les hpitaux ou enterrs avec les honneurs dus aux martyrs de la guerre sainte. Des mollahs recrutent ouvertement des jeunes pour aller combattre Kaboul. Les madrassas enseignent un islam sectaire et guerrier. Des quartiers entiers ne sont habits que par des jihadistes. Tout cela se fait la vue des autorits. Mais personne nintervient , raconte le journaliste Arif Jawad. On assiste une talibanisation du Pakistan, dnonait rcemment un ditorial du quotidien The Post. Pas un jour ne se passe sans que le fanatisme ne se fasse ressentir, que ce soit la lapidation dune femme non-voile ou un imam qui dcrte la vaccination anti-islamique. En cdant aux exigences des fondamentalistes qui ont pris la nation toute entire en otage de leurs lubies, le gouvernement devient complice de leurs actes. En septembre 2006, Islamabad a conclu un accord de paix avec les chefs tribaux du Waziristan, au terme duquel larme sest retire de la rgion et y a cess toute patrouille, en change de quoi les combattants locaux se sont engags ne plus lattaquer et cesser toute coopration avec les Talibans afghans. Un march de dupes videmment car on voit mal ce qui pourrait les en empcher. Le retrait de larme pakistanaise des zones tribales a permis aux groupes islamistes dy imposer leur loi. On a tout simplement donn un territoire aux Talibans , soupire lancien chef dEtat-major, le gnral Assad Durani. Mais en deux ans, larme pakistanaise a perdu 800 hommes au Waziristan et sest heurte une population de plus en plus hostile du fait de ses nombreuses bavures contre des civils. Or ses oprations nont dbouch sur aucun rsultat probant. Les Etats-Unis vont-ils soutenir encore longtemps le rgime pakistanais ? Le Pakistan est notre partenaire dans la guerre contre la terreur et a captur plusieurs dirigeants dAl-Qada. Mais il est aussi une source majeure du terrorisme islamiste. Ce constat de John Negroponte, le prcdent directeur des services de renseignement amricains, rsume bien le malaise de Washington face Islamabad. De son ct, un rcent rapport de lAcadmie britannique de dfense dnonce le double jeu de larme pakistanaise qui combat les groupes islamistes et en mme temps soutient les Talibans, donc le terrorisme, via ses services secrets . Alors que le rseau Al-Qada semble se rorganiser dans les zones tribales pakistanaises et que des rumeurs font tat de risques dattentats aux Etats-Unis, les dirigeants amricains aimeraient que la rhtorique martiale de Pervez Musharraf se concrtise davantage en actes. Mais ils savent aussi qutre trop exigeant dstabiliserait encore davantage un prsident dj affaibli. Ds quils le pourront, les Etats-Unis provoqueront la chute de Pervez Musharraf. Mais pour linstant, ils nont pas de meilleur candidat , veut croire Christopher Langton, de lInstitut international des tudes stratgiques, Londres. La stratgie antiterroriste du prsident Musharraf a chou , a dclar le 20 juillet 2007 Frances Townsend, la conseillre de George Bush pour la scurit intrieure, sonnant la fin de la patience de Washington lgard du gnral-prsident. Des indiscrtions voquent une prochaine intervention militaire amricaine dans les zones tribales. Les convictions laques de Pervez Musharraf ne sont pas en question. Cest sa volont politique de dtruire les groupes extrmistes ou sa capacit le faire qui est sujette caution , crivait dans Le Monde le chercheur franais Jean-Luc Racine. Le chef de lEtat jouerait-il sciemment double jeu ? Ce nest pas impossible dans un pays o larme vritable Etat dans lEtat qui a directement dirig le pays pendant la moiti de ses soixante annes dexistence a souvent instrumentalis les mouvements fondamentalistes. Cest flagrant au Cachemire, o Islamabad a financ et arm jusquen 2002 la gurilla qui luttait au nom de lislam dans la province himalayenne contre lInde. Cest tout aussi flagrant en Afghanistan o lISI a soutenu ds 1996 les Talibans dans le but de faire de Kaboul un voisin dvou. Le problme est quil est difficile de ne faire de lislamisme quun produit dexportation. Particulirement dans un pays de 160 millions dhabitants, o le sentiment dappartenance nationale est faible, o les ingalits sociales sont criantes, o les provinces se plaignent dtre ngliges par la capitale, o lconomie et les indicateurs sociaux (pauvret, sant, analphabtisme) sont loin dtre performants. Les Pakistanais ne votent pas pour les partis religieux par idologie, mais parce quils ne croient plus dans les partis traditionnels corrompus. De mme envoient-ils leurs enfants dans les madrassas, non par choix mais parce quil ny pas dcoles publiques dans des milliers de villages , explique le journaliste Arif Jawad. Aujourdhui encore, certains se demandent si le soulvement de la Mosque Rouge na pas t dlibrment provoqu par le pouvoir afin de prouver la population que seul un gouvernement militaire peut combattre les groupes islamistes. Comment expliquer sinon quautant darmes aient pu tre stockes dans un difice situ moins de 500 mtres du sige de lISI ? Reste quaujourdhui lenjeu est lquilibre de toute lAsie du Sud. Si Pervez Musharraf cde toujours plus de terrain aux mouvements islamistes, le Pakistan risque de sombrer dans la violence, le terrorisme international de saggraver et les relations avec lInde, actuellement au beau fixe, de dangereusement se dtriorer. | |||
Jean Piel | |||
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