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31/07/2007
Questions internationales (1)
Mexique : la colre gronde Oaxaca


(MFI) En 2006, cette ville du sud du Mexique, capitale dune rgion trs pauvre, a connu six mois dune insurrection brutalement rprime par larme. Un an aprs, le calme est revenu, mais le mcontentement des habitants nest pas apais. A quelques jours des lections rgionales prvues mi-aot 2007, ils dnoncent les abus de pouvoir du gouverneur, les atteintes aux liberts, les ingalits sociales. Cette rvolte qui rappelle celle du Chiapas tmoigne des difficults politiques et sociales du Mexique.

Un an aprs linsurrection, quelle est la situation Oaxaca ?

Sur le Zocalo, la grande place dOaxaca avec ses arcades anciennes de couleur ocre, les bars attirent de nombreux clients qui discutent sans fin, un verre de mezcal la main. Dans les patios ombrags, les restaurants proposent les plats locaux aux sept sauces, tandis que les touristes dambulent dans la vieille ville coloniale en admirant lglise Santo-Domingo. Un peu plus loin, lAmricain Ford prsente sa gamme 2007 dans sa nouvelle concession.
Difficile dimaginer que la ville, situe dans le sud du Mexique, a connu de mai dcembre 2006 une insurrection. La rbellion tait partie dun banal mouvement social : la grve de 40 000 enseignants pour de meilleurs salaires. Mais la violente rpression dune manifestation, le 14 juin, va enflammer la ville. Les enseignants sont rejoints par des ouvriers, des paysans sans terres, des intellectuels, des reprsentants des tribus indiennes. Ensemble, ils crent lAPPO, lAssemble populaire des peuples dOaxaca, rassemblement htroclite de syndicalistes, dtudiants, de dfenseurs des droits de lHomme, de militants dextrme-gauche Les femmes sont aussi en premire ligne. Tous dfendent alors une seule revendication : la dmission du gouverneur de la province, Ulises Ruiz, rput violent, corrompu, avec un got affich pour le npotisme et la fraude lectorale. Pendant six mois, Oaxaca est en tat de sige : grve gnrale, transports larrt, btiments publics occups, barricades enflammes dans les rues, quartiers qui proclament leur indpendance En rfrence aux vnements parisiens de 1871, certains voquent la Commune dOaxaca . Le Mexique est alors en campagne pour llection prsidentielle et les hommes politiques ne ragissent gure. Mais le scrutin termin, les ngociations dans limpasse, les tentatives dintimidation avortes, le gouvernement mexicain change de tactique ; le 29 octobre, larme envahit Oaxaca. La rpression est violente : treize personnes sont tues par des hommes de main du gouverneur ; les dirigeants de lAPPO sont arrts, linsurrection prend fin.

Le calme actuel cache-t-il de graves rancurs ?

Aujourdhui, la ville a retrouv son allure nonchalante de destination touristique niche au cur dune magnifique sierra. Tout du moins dans le centre historique et les quartiers rsidentiels. Car selon les observateurs, dans les quartiers populaires la colre gronde. A quelques jours des lections rgionales (prvues mi-aot), la tension est palpable. Le 17 juillet, une manifestation de lAPPO a dgnr ; plusieurs bus ont t incendis. Comme le dcrit un reportage du quotidien Milenio : Dans le quartier Figueroa, l o il y a quelques mois les manifestants avaient dress des barricades, les riverains discutent dans la rue, crachant sur le gouverneur, la vie chre, la presse musele. Un vhicule militaire passe faible allure ; tous disparaissent comme une vole de moineaux, avant de revenir quelques minutes plus tard, le juron aux lvres. Sur les murs, des affiches de Che Guevara voisinent avec le sigle de lAPPO ; partout des graffitis La rbellion continue ; 14 juin, ni pardon ni oubli .
De nombreux habitants dOaxaca ont svrement critiqu une insurrection juge excessive, incontrle, qui a mis mal lconomie locale, entran des licenciements Mais ils sont encore plus svres contre Ulises Ruiz, leurs yeux responsable des morts, des disparitions et des arrestations. Oaxaca nest plus en flammes, mais elle brle intrieurement. Il y a des blessures encore ouvertes ; cest un foyer qui peut exploser tout moment , avertit Genaro Gongora, lancien prsident de la Cour suprme.

Linsurrection dOaxaca a-t-elle dbouch sur des rsultats concrets pour les manifestants ?

Apparemment, les rsultats sont maigres. Ulises Ruiz occupe toujours le poste de gouverneur, et il sera difficile dloger. Lintress est en effet un cacique du PRI, le Parti rvolutionnaire institutionnel (class droite) qui a dirig sans discontinuer dune main de fer le Mexique de 1929 2000. Aujourdhui, le PRI est en perte de vitesse ; il ne contrle plus que deux provinces. Mais Felipe Calderon, lu prsident avec seulement 250 000 voix davance, a imprativement besoin de son soutien pour conserver son poste. En change, le PRI a exig le maintien dUlises Ruiz, malgr ses abus de pouvoir, ses mthodes brutales, sa corruption. Aucun de ses nervis qui ont tu 13 manifestants na t arrt. A contrario, si la plupart des militants de lAPPO ont t librs, ses principaux dirigeants sont toujours derrire les barreaux ou exils au Canada.
Les motifs de satisfaction ne sont pas nuls cependant. Le 24 mai 2007, la Commission nationale des droits de lHomme du Mexique a dnonc les nombreux cas dagressions, dhomicides, de dtentions arbitraires, de tortures commis principalement par les forces de lordre . Elle a soulign la responsabilit directe dUlises Ruiz et regrett la raction disproportionne de larme. Un avis sur lequel des centaines de familles sappuient pour se pourvoir en justice. Prcisment, la Cour suprme la plus haute instance judiciaire du pays a accept, le 18 juin, dexaminer la requte de plusieurs syndicats et reprsentants de la socit civile qui accusent les pouvoirs publics dtre responsables de la rpression dOaxaca au mpris de la Constitution. Cest une preuve dindpendance de la justice, nouvelle au Mexique, lgard de llite politique et conomique. La Cour va peut-tre enfin fixer une limite aux pouvoirs des gouverneurs , se flicitait dans Le Monde le politologue Sergio Aguayo.
Au-del du volet judiciaire, linsurrection dOaxaca a permis lAPPO mouvement qui nexistait pas il y a seulement un an dincarner un renouveau de la gauche mexicaine. Le Parti de la rvolution dmocratique est une formation de gauche trs institutionnelle, davantage compose dintellectuels et de membres de la classe suprieure que de syndicalistes et de paysans. Il est loign des proccupations du peuple. LAPPO, au contraire, est un vrai mouvement populaire, qui dfend les intrts des ouvriers, des minorits ethniques, des paysans sans terres, des chmeurs, de tous les laisss-pour-compte de la socit mexicaine. Il reprsente une gauche la fois sociale, culturelle et syndicale , veut croire Sergio Aguayo. Chercheur lInstitut des relations internationales et stratgiques (Iris), Paris, Jean-Jacques Kourliandsky modre cet enthousiasme : LAPPO reste un mouvement local dont la dynamique a du mal durer. Pour simposer comme une formation nationale, il devra mieux sorganiser et dfendre des problmatiques qui dpassent celle du seul Oaxaca (voir interview ci-joint). Dans une Amrique latine de plus en plus oriente gauche politiquement, le Mexique a lu, en juillet 2006, un prsident de droite, mais avec moins de 0,6 % davance sur son adversaire. Pour certains, linsurrection dOaxaca tmoigne de lvolution du pays. Oaxaca, cest notre Venezuela nous , crit Luis Hernandez Navarro, lditorialiste du quotidien La Jornada, faisant l rfrence la politique mene Caracas par le bouillant prsident Hugo Chavez. Les lections rgionales qui doivent se tenir dans les prochains jours confirmeront ou non la justesse de cette analyse.

Linsurrection dOaxaca illustre-t-elle les divisions de la socit mexicaine ?

A en croire lcrivain mexicain Jorge Volpi, qui signait rcemment une chronique dans le magazine Proceso, Oaxaca est le reflet du Mexique, le concentr de tous les maux qui dchirent notre nation . Il sagit dune des provinces les plus pauvres du pays, mais elle est dirige par une petite lite politique et conomique qui ne reprsente en rien les citoyens ; 65 % des foyers de la rgion nont pas leau courante, 55 % des femmes souffrent de malnutrition et 20 % des enfants ne sont pas scolariss (alors que le taux de scolarisation est de 92 % au niveau national) ; 460 des 570 municipalits ne disposent pas des infrastructures de base (eau, route, lectricit). Mais le pouvoir appartient au PRI, le parti historique du Mexique qui dfend ses seuls intrts de classe et ne jure que par le libralisme, tout en recourant la fraude lectorale pour se maintenir aux affaires. La capitale rgionale elle-mme, paradis touristique la riche architecture coloniale, est incroyablement plus dveloppe que le reste de la province.
La moiti des 3,4 millions dhabitants de la rgion appartient aux populations indignes, mais ces dernires ne sont jamais associes au pouvoir ; ni Oaxaca ni dans le reste du pays dailleurs. Elles rclament sans succs jusqu prsent des droits sur leurs terres ancestrales. Cela dautant que la province dOaxaca abrite une biodiversit particulirement riche : forts, plantes rares, littoral aux larges ressources halieutiques Autant de richesses naturelles que les Indiens veulent pouvoir grer. Oaxaca illustre la polarisation croissante des relations entre la grande masse des exclus et une classe privilgie qui confisque les richesses et le pouvoir. Cette classe a conscience que ses jours sont compts, mais les plus pauvres ne savent pas comment se dbarrasser de sa tutelle , explique Neil Harvey, professeur de sciences politiques luniversit du Nouveau Mexique. Le pays qui suit une stricte orthodoxie librale est en effet la 12 conomie mondiale en terme de PIB, mais sa structure sociale est celle dun pays en dveloppement. Les 20 % dhabitants les plus pauvres ne reoivent que 5 % du revenu national, alors que les 20 % les plus riches sen partagent la moiti. Lindice de dveloppement humain est mdiocre, lcart de niveau de vie entre la capitale et les provinces abyssal. Selon certains, linsurrection dOaxaca rgion traditionnellement rebelle prfigure lingouvernabilit que pourrait connatre le pays aprs llection serre de Felipe Calderon la magistrature suprme.
Si dans sa chronique lcrivain Jorge Volpi na pas de mots assez durs contre les abus de la classe dirigeante, il fustige aussi un syndicalisme autoritaire et monolithique, une gurilla sans programme et souvent fanatique qui exploite le mcontentement populaire sans penser aux consquences de ses actions sur lconomie et la vie quotidienne des habitants . Beaucoup comparent linsurrection du second semestre 2006 Oaxaca insurrection qui pourrait redmarrer du jour au lendemain avec le soulvement de lArme zapatiste de libration nationale, dirige par le clbre sous-commandant Marcos, au Chiapas en 1994. De quoi inquiter srieusement les dirigeants mexicains.

Jean Piel

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