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14/08/2007
Questions Internationales (2)
Jean-Yves Camus : Leur dtresse interpelle les consciences


(MFI)Jean-Yves Camus est chercheur lInstitut des relations internationales et stratgiques (IRIS, Paris), et auteur de louvrage intitul Le monde juif, paru aux ditions Milan. Selon lui, les survivants de la Shoah sont respects car leur histoire est essentielle pour la cration dIsral. Leur misre marque dautant plus les esprits. Pour autant, leur parcours nest pas compris par tous les Israliens : au moment o leur pays connat dj tant de difficults, les jeunes notamment veulent oublier ce pass douloureux.

MFI : Comment expliquer quun tel nombre de survivants de la Shoah vivent sous le seuil de pauvret ?

Jean-Yves Camus : En effet, le pourcentage de personnes vivant dans la misre est proportionnellement plus important chez les rescaps de la Shoah - 30% - que dans lensemble de la population isralienne. Ce sont des personnes ges qui ont perdu tous leurs biens, qui ont t marques dans leur chair et qui nont pas toujours russi surmonter cette preuve. Ces survivants ne sont cependant pas les seuls descendre ainsi dans la rue pour dnoncer la dgradation de leurs conditions de vie. Ces derniers mois, on assiste en Isral des manifestations de retraits, de chmeurs, dhandicaps Leur mouvement sinscrit donc dans un cadre plus large : celui dun pays qui traverse une crise conomique et sociale majeure, en particulier depuis la seconde Intifada. Seule une minorit dIsraliens sen sort bien, surfant sur la vague des hautes technologies ou menant des carrires prospres dans le commerce. Sinon, lconomie nationale connat de graves difficults. Do la multiplication des mouvements de protestation catgoriels. Un Parti des retraits a mme t cr. Mme sil a un bon systme de protection sociale, Isral nest pas un pays riche.

MFI : Quelle est limage des rescaps de la Shoah dans la socit isralienne ? Sont-ils trs respects ?

J.-Y.C. : Il serait abusif de dire quils sont trs respects. Leur histoire est videmment connue, elle appartient lhistoire mme du pays et du peuple juif. Chaque Isralien a un membre de sa famille, un ami ou un voisin, qui est un survivant de lHolocauste. Nanmoins, ils ne sont pas considrs comme des pres fondateurs de lEtat hbreu. Le sionisme est antrieur au gnocide, et cest videmment le sionisme qui cimente la socit isralienne. La fondation de lEtat dIsral nest pas due au gnocide mais une revendication ancienne, mme si le gnocide a acclr la reconnaissance du pays en raison du sentiment de culpabilit des nations occidentales. Que beaucoup de gens dans le monde associent Holocauste et cration dIsral irrite profondment les militants sionistes, do leur mfiance lgard des rescaps.
En outre, la Shoah nest pas comprise de la mme manire par tous les Israliens. Dabord, il sagit dun vnement europen, et les Sfarades qui reprsentent la moiti de la population - se sentent moins concerns. Ensuite, les gens trs pieux voient dans la Shoah une punition divine pour ne pas avoir assez scrupuleusement suivi les rgles du judasme alors que les non pratiquants rfutent absolument cette explication thologique : pour eux, lHolocauste nest que le rsultat dune politique totalitaire. Enfin, les militants sionistes ne comprennent pas pourquoi les juifs dEurope, lpoque, ne se sont pas dfendus, pourquoi ils sont si peu nombreux avoir fui, alors que la menace tait connue. Do une certaine suspicion. Il existe une incomprhension originelle des militants sionistes envers les rescaps de la Shoah
Reste que si leurs manifestations ont un tel impact, cest aussi parce que les Israliens savent que ce sont les derniers survivants. Vu leur ge, dans dix ans, ils seront tous morts. Leur dtresse interpelle donc encore plus les consciences. Ce sont les derniers tmoins dun vnement dterminant pour la cration de lEtat hbreu et lhistoire du peuple juif. A dfaut de respect, on leur doit donc une certaine dfrence. Ce sont des monuments de lHistoire.

MFI : Prcisment, les jeunes israliens ne sont-ils pas las de cette rfrence permanente au pass ?

J.-Y.C. : Si, certainement. Pour les jeunes qui nont pas connu les luttes de leurs ans, le sionisme ne veut plus dire grand-chose. Leur pays existe, cest un fait. Ils vivent dans une socit moderne mais aussi trs divise, ils aspirent une vie normale. Pour eux, la Shoah est un fardeau. Cest un lment essentiel de lhistoire de leur peuple, mais li la mort, la guerre, la destruction, lhumiliation. Ils doivent dj vivre au quotidien le fardeau du conflit isralo-arabe, ils veulent donc passer autre chose. Le problme est que cest impossible. Beaucoup de critiques contre la politique isralienne dans les Territoires font rfrence lHolocauste. On accuse les Israliens de se comporter lgard des Palestiniens comme les Nazis lgard des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Tel Aviv a aussi us de cette tactique lorsquelle comparait Yasser Arafat Hitler.
On enseigne aux jeunes israliens ce quest lantismitisme. Ils ont conscience que lexistence mme de leur pays est conteste. Les ambitions nuclaires de lIran rendent plus crdible cette menace de la destruction dIsral. Sils taient menacs dans leur vie, les Israliens ne se laisseraient pas faire comme beaucoup de victimes de la Shoah se sont laisses faire. Ils se dfendraient, ils riposteraient. Do limportance de larme en Isral : tous les citoyens y vont, quils approuvent ou non la politique de leur gouvernement dans les Territoires. Cest aussi lune des grandes diffrences entre les survivants de la Shoah et les Israliens daujourdhui.

Jean Piel

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