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14/08/2007
Questions Internationales (1)
Les survivants de la Shoah se sentent oublis en Isral


(MFI) De nombreux rescaps de lHolocauste vivent dans la misre en Isral. Le gouvernement ne leur accorde que de faibles allocations. Ils ont organis plusieurs manifestations ces dernires semaines, et la presse les soutient activement. Cette affaire suscite un malaise certain dans lopinion car les survivants de la Shoah renvoient aussi aux circonstances de la cration de lEtat hbreu.

Combien de survivants de la Shoah se sont installs en Isral ?

On estime 240 000 le nombre de rescaps de lHolocauste qui vivent aujourdhui en Isral. Leur moyenne dge est de quatre-vingt-un ans. Les autorits israliennes reconnaissent comme survivants non seulement les personnes qui ont t internes dans des camps de concentration, mais aussi celles qui vivaient dans un pays sous occupation nazie. A en croire Noah Flug, prsident dun collectif dassociations de rescaps : 30% de ces survivants, soit 80 000 personnes, vivent en dessous du seuil de pauvret, dfini 320 euros mensuels. Beaucoup nont pas de quoi payer leurs mdicaments alors quils souffrent de pathologies lies leur situation de survivants. Certains ont t victimes dexprimentations mdicales Dachau ou Buchenwald ; dautres sont paralyss aprs avoir t torturs ; dautres encore nont jamais rcupr psychologiquement. Les plus pauvres nont pas les moyens daller chez le dentiste ou lopticien. Un tmoignage confirm par un responsable de Mir Panim, une organisation caritative, interview par le Jerusalem Post : Sur les 8 500 personnes qui nous servons des repas quotidiennement, 2 000 sont des survivants de la Shoah. Ils sont vieux, isols, et vivent dans une terrible misre.
Une tude ralise en 2005 par lUniversit hbraque de Jrusalem rvle que sur ces 80 000 rescaps de lHolocauste vivant dans la prcarit, 30 000 ont t interns dans des camps de la mort. Les autres ont d fuir le nazisme ou ont t perscuts en tant que juifs dans des pays de lex-URSS, notamment en Ukraine.

Pourquoi aujourdhui ces mouvements de protestation des survivants de la Shoah ?

Humiliant, insultant, honteux, scandaleux Les qualificatifs nont pas manqu, tant dans la presse isralienne quau sein des associations de rescaps, pour dnoncer le plan daide aux victimes de lHolocauste prsent le 30 juillet dernier par le gouvernement dEhoud Olmert. Ce plan prvoit en effet de verser une allocation de 83 shekels, soit peine 15 euros par mois, chacun des 80 000 rescaps vivant en dessous du seuil de pauvret. Cette somme devrait tre progressivement rvalue pour atteindre 44 euros mensuels en 2011. Nous ne demandons pas laumne. Nous voulons juste vivre dignement jusqu la fin de nos jours. Cette offre de 83 shekels illustre le peu de considration notre gard des autorits israliennes semporte Dubi Arbel, le directeur du Fonds isralien pour les survivants de la Shoah. En avril dernier, une commission parlementaire avait recommand une allocation de 1 000 shekels (180 euros) par mois, et non par an comme la dcid le gouvernement. A lpoque, le ministre des affaires sociales, Yitzhak Herzog, avait pourtant dclar : Isral a une dette morale et financire lgard de ceux dont le temps est dsormais compt. Pour Colette Avital, une dpute travailliste qui dfend depuis longtemps la cause des survivants de la Shoah : Dans cette affaire, le gouvernement na obi qu des considrations budgtaires. Il a fait un raisonnement de petit comptable sans tenir compte de la ralit quotidienne de ces survivants, et surtout de ce quils reprsentent dans lhistoire de lEtat hbreu, de tout ce que le pays leur doit. Ce ne sont pas des citoyens comme les autres.
Les manifestations contre ce plan gouvernemental ont runi plusieurs milliers de personnes dans les rues de Tel Aviv. Des sit-in ont t organiss devant la Knesset - le Parlement isralien - et devant le bureau du Premier ministre. Le dimanche 5 aot, une marche des vivants a t organise dans la capitale isralienne, au cours de laquelle des rescaps ont arbor ltoile jaune que les nazis les avaient obligs porter pendant la Seconde Guerre mondiale. Le terme de marche des vivants est hautement symbolique puisque cest le nom des crmonies organises chaque anne Auschwitz la mmoire des victimes de la Shoah. Lutilisation de ltoile jaune dans ce qui reste un conflit conomique et social a cependant choqu en Isral.
Conscient de lmotion suscite par ce dossier, tant ltranger que dans lEtat hbreu, Ehoud Olmert a promis un rexamen rapide des allocations. Sans toutefois fixer de calendrier ni sengager sur des hausses prcises. Le Premier ministre a galement dnonc ceux qui exploitent la Shoah pour se livrer des intrigues politiciennes. Publier la photo dune vieille femme avec un pyjama ray et une toile jaune pour appeler manifester ravale le dbat un niveau intolrable.

Comment cette affaire est-elle vcue en Isral ?

Les revendications des survivants pauvres de la Shoah suscitent un profond malaise en Isral. Tous les ans, loccasion de Yom HaShoah, la journe de commmoration de lHolocauste, le pays se fige en effet pendant deux minutes : les passants se mettent au garde--vous, les automobilistes sarrtent et descendent de leur vhicule, les commerants et les coliers cessent toute activit, tandis que les sirnes retentissent dans toutes les villes en hommage aux six millions de juifs victimes de la barbarie nazie. On ne veut se souvenir que des morts car cela ne cote rien. Les survivants drangent soupire Peter Greenfeld, un habitant dAshkelon qui, encore enfant, a servi de cobaye au tristement clbre Dr Mengele. Aujourdhui, il ne peut soigner, faute dargent, ses nombreuses squelles.
La presse a pris fait et cause pour les manifestants, dtaillant longueur de colonnes leurs difficiles conditions de vie. La bureaucratie isralienne les promne dun bureau lautre pour nobtenir que des sommes misrables. Nous sommes paradoxalement le pays au monde o les survivants de la Shoah sont les moins bien traits dnoncent Guy Merose et Orly Vilna, auteurs dun documentaire sur le sujet. LEtat isralien nous a abandonns se lamente Dubi Arbel, le directeur du Fonds isralien pour les survivants de la Shoah. De son ct, Noah Plug accuse le gouvernement de vouloir rsoudre de faon biologique le calvaire des rescaps. Chaque anne en effet, prs de 15 000 dentre eux dcdent. Les autorits dmentent un tel cynisme. Il faut une solution rapide et honorable un dossier qui trane depuis trop longtemps. Nous devons tre attentifs la voix des survivants qui monte du trfonds de leur douleur a plaid le prsident Shimon Peres.
Si leurs manifestations ont un tel impact, cest aussi parce que les Israliens savent que ce sont les derniers survivants. Vu leur ge, dans dix ans ils seront tous morts. Leur dtresse interpelle donc encore plus les consciences. Ce sont les derniers tmoins dun vnement dterminant pour la cration de lEtat hbreu et lhistoire du peuple juif estime Jean-Yves Camus, chercheur lInstitut des relations internationales et stratgiques (voir interview ci-aprs).

Ce dossier ne tmoigne-t-il pas galement du poids de lHistoire en Isral ?

La faiblesse des allocations accordes aux survivants de la Shoah a t loccasion pour la presse isralienne de sinterroger sur lutilisation de certains fonds financiers. Comme lcrit le quotidien populaire Maariv : La Claims Conference rassemble les fonds provenant de la restitution des biens juifs confisqus pendant la guerre. Elle dtient dans ses caisses prs dun milliard de dollars. Cette somme pourrait en partie tre utilise pour venir en aide aux rescaps dmunis plutt que de dormir sur des comptes. De son ct, le Jrusalem Post met en cause le culte de la mmoire : Pourquoi des centaines de millions de dollars sont-ils dpenss, par des juifs amricains surtout mais aussi en Isral, pour des muses de la Shoah, pour des statues et autres monuments ? Certes, faire connatre aux nouvelles gnrations lextermination des juifs dEurope et garder en mmoire les vnements de cette priode sont des sujets importants, mais cela ne devrait pas empcher que certaines sommes soient destines aider les derniers survivants vivre plus dcemment. Pourquoi honorer la mmoire des morts, si on ne subvient pas dj aux besoins des survivants ? .
Comme lcrit dans le quotidien Haaretz lancien dput travailliste Yossi Sarid : Nul ne nie lHolocauste en Isral. Le ngationnisme na pas cours ici, mais loubli, si ! . Cette rfrence permanente un pass douloureux est difficile pour la jeune gnration, soucieuse de modernit et de normalit . Elle souhaite tourner la page, dautant quelle subit dj les consquences du conflit isralo-arabe. Cest tout le paradoxe dIsral , reconnat Emmanuel Navonne, professeur de sciences politiques lUniversit de Tel Aviv. Nous souhaitons tre un pays moderne, qui va de lavant, mais nous sommes aussi un pays rcent, fragile, toujours en guerre. Dans tout autre pays, la question se rsumerait celle du meilleur moment pour verser lallocation des vieillards ncessiteux. Ici, quils soient des survivants de la Shoah change tout car leur calvaire est pour partie lorigine de la cration dIsral. Ils reprsentent les fondements de la nation. Un avis que partage Zeev Factor, un survivant du ghetto de Lodz : Lexistence mme dIsral est conteste. Le pays ne peut donc pas vivre sans la mmoire de la Shoah. Il ne peut pas ngliger ceux dont la souffrance a contribu sa fondation. Bien sr, la revendication dun Etat hbreu tait antrieure, mais sans le gnocide, lOnu naurait probablement pas reconnu aussi vite sa cration en 1948 .
A leur arrive en Isral, les survivants de la Shoah se trouvrent en butte lindiffrence, puis ils furent utiliss pour renforcer le sentiment nationaliste. Aujourdhui, les plus pauvres sont mal indemniss, et cela cre un dbat douloureux dans le pays. Bien videmment se posent des questions budgtaires : notre conomie va mal actuellement, mais cela prouve aussi que la socit isralienne na pas encore rgl ses comptes avec les circonstances de la cration du pays rsume Yossi Sarid.

Jean Piel

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