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21/08/2007
Questions Internationales (2)
LAfrique aime toujours trop les armes


(MFI) Prs de 13 milliards de dollars : cest le montant des dpenses militaires en Afrique. Un chiffre relativement faible dans un continent o le nombre de conflits tend diminuer. Mais les organisations humanitaires le trouvent encore trop lev, au regard des difficults conomiques et sociales de la rgion. Si les ventes de chars ou davions de combat restent limites en Afrique, les armes lgres y font par contre des ravages.

Un excellent lve ou le pire des cancres : le continent africain mrite ces deux apprciations diamtralement opposes en matire de dpenses militaires, selon le pays considr ou la faon dont on aborde la question. Un excellent lve, lAfrique lest puisquil sagit du continent o les dpenses militaires sont les plus faibles : 12,7 milliards de dollars en 2005 (5,5 milliards en Afrique du Nord ; 7,2 milliards en Afrique subsaharienne), en croire lInstitut international de recherche pour la paix de Stockholm (Sipri). A titre de comparaison, 63 milliards ont t investis dans la dfense au Moyen-Orient, 157 milliards en Asie, 256 milliards en Europe et 529 milliards rien quaux Etats-Unis. Mais le pire des cancres, le continent lest galement puisque ses dpenses militaires ont progress de 47,7 % ces dix dernires annes, contre 37 % en moyenne dans le monde.

Des dpenses militaires difficiles interprter

Rapports au PIB, les budgets de dfense des Etats oscillent en moyenne entre 2 % et 3,5 % en Afrique. Certains pays sont conomes sur leurs forces armes, tels le Sngal (1,5 % du PIB), le Kenya (1,6 %) ou le Ghana (0,49 %). Le budget de la dfense du Rwanda est pass de 3,8 % du PIB en 2000 2,4 % en 2005, alors que paralllement la part des dpenses sociales grimpait de 4,1 % 6,9 %. A contrario, lErythre consacre 19,9 % de son revenu national la dfense, mais seulement 2,8 % lducation. Son voisin thiopien ne fait gure mieux : 9,8 % du PIB pour larme et seulement 3,6 % pour les coles. Experte auprs du Sipri, Elisabeth Skns relativise la pertinence de ces calculs : En Afrique, les dpenses militaires sont parfois dissimules dans dautres postes budgtaires, apparemment civils. Elles sont donc souvent minores. En outre, dans un pays instable politiquement, les 3 % du PIB allous la dfense ont vraiment une utilisation offensive, ce qui nest pas le cas dans un pays dmocratique. Enfin, je ne suis pas certaine quun pays o le taux dalphabtisation est faible peut se vanter de consacrer 2 % de son budget la dfense et 2,5 % lducation . De son ct, John Flynn, chercheur auprs de lInstitut international des tudes stratgiques (Londres) rappelle que LAfrique connat encore des mouvements sparatistes, des conflits ethniques, bref des troubles intra-tatiques et non inter-tatiques. Un faible budget militaire ny est donc pas synonyme de paix .

Moins de guerres quavant

Nanmoins, le continent sest pacifi ces dernires annes. Des longues annes de guerre ont laiss la place une paix - certes parfois fragile - au Mozambique, en Sierra Leone, en Angola, en Ouganda, au Libria. La rgion des Grands Lacs na pas connu daffrontements majeurs depuis bientt trois ans. Il en va de mme en Casamance. La situation retourne la normale en Cte dIvoire. Le processus lectoral en Rpublique dmocratique du Congo suscite un nouvel espoir. Autant dlments qui devraient entraner une baisse des dpenses militaires ; le Mozambique consacrait un temps la moiti de son revenu national larme, tandis que les budgets de la dfense avaient doubl en RDC, au Rwanda, au Botswana et en Ouganda entre 1985 et 2000. Nanmoins, il reste des points noirs : la tension est croissante dans le delta du Niger. Le conflit se poursuit au Soudan, et la situation reste extrmement volatile dans la corne de lAfrique (Somalie, Ethiopie, Erythre). Selon John Flynn : La Somalie pourrait mme devenir le troisime foyer majeur dinstabilit internationale, aprs lIrak et lAfghanistan .

Pas de bombe H mais des millions de Kalachnikov

Autre lment qui fait de lAfrique un bon lve en matire militaire : aucun pays ny dtient larme atomique. LAfrique du Sud avait dvelopp des ogives nuclaires dans les annes 80, mais sans jamais possder de vecteurs adapts. Elle a renonc son programme au dbut des annes 90. De mme, la Libye a annonc la fin de ses recherches atomiques en 2003. Seule lEgypte est souponne de vouloir un jour se doter de larme atomique. Mais elle en est encore trs loin. On enregistre galement peu de transferts darmes conventionnelles (chars, avions, navires de combat..) vers lAfrique.
Mais mauvais point pour le continent : les armes lgres (pistolets, mitraillettes, lance-missiles, grenades) y constituent un vritable flau. Des armes faciles dutilisation, exigeant peu dentretien et gure onreuses. Selon la disponibilit, une Kalachnikov se ngocie autour de 80 dollars. Leur petite taille, la facilit les cacher et les dmonter en font des objets de contrebande privilgis. Ainsi des fusils AK-47, utiliss lgalement par larme chinoise dans les annes 80, ont t retrouvs en 2005 en RDC aprs avoir transit par la police anti-meute en Roumanie. Au Ghana, les forces de lordre ont rcemment dcouvert un atelier clandestin qui fabriquait des pistolets en fonction des munitions disponibles, et non linverse. Autant de trafics difficiles contrler ; lAfrique apparat comme le dernier continent o dautres recyclent sans scrupule leurs armes usages.
Le Rseau daction internationale contre les armes lgres (Raial) estime au moins 30 millions le nombre darmes lgres en circulation en Afrique. Certains experts pensent que le chiffre rel est plus prs de 100 millions. Des armes lgres utilises dans tous les conflits de par le monde, mais proportionnellement plus nombreuses dans les guerres civiles, les insurrections, les mouvements sparatistes Il sagit de guerres sans fronts, souvent sans commandements structurs ; l o les combattants sont le plus laisss eux-mmes, abusant du pouvoir que leur confre une mitraillette pour tuer, piller, violer, terroriser. Comme lcrit un rapport du Raial : Aucun lien nest tabli entre prolifration des armes lgres et dclenchement dun conflit. Mais leur multiplication rend les combats plus meurtriers, et complique terriblement le retour la paix et la rhabilitation des zones de combat . Toujours selon le Raial, de 70 90 % des victimes de guerre en Afrique sont tues par une arme lgre, la majorit sont des civils. Il faudrait aussi compter les blesss qui ne pourront plus jamais travailler, les rfugis qui fuient les rgions sous la mitraille, les champs abandonns, les maladies bgnines impossibles soigner Le Kenya a initi, avec la Finlande et le Royaume-Uni, une campagne en faveur dun trait international sur le contrle du commerce des armes lgres. Premire victoire : lOnu a adopt une rsolution en ce sens le 26 octobre 2006. Mais ni la Chine ni la Russie ni les Etats-Unis ne lont approuve.

Une entrave au dveloppement

Si les dpenses militaires sont globalement faibles en Afrique, les graves difficults conomiques et sociales du continent les rendent cependant plus difficiles accepter. Treize milliards de dollars consacrs aux armes, cest autant dargent qui ne va pas laide au dveloppement , dnonce lOng britannique Oxfam. Un mdecin kenyan raconte avoir opr un adolescent de graves blessures par balle. Lopration a cot 6000 dollars, soit un an dcole primaire pour 100 lves ou la vaccination de 250 enfants. A en croire lorganisation des Nations unies pour lagriculture et lalimentation (FAO), la guerre est dsormais la premire cause des famines dans le monde. En Afrique, les guerres de tout type ont caus 25 milliards de dollars de perte lagriculture ces trente dernires annes, soit le montant de laide internationale sur la mme priode.

Jean Piel

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