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28/08/2007
Questions internationales (2)
Cuba : Une coopration mdicale parfois trs politique


(MFI) Laide mdicale cubaine est-elle un outil de propagande du rgime castriste ? Exporter la rvolution est aujourdhui illusoire. Lenvoi de mdecins permet plutt lobtention dun vote de soutien lOnu. Plus que des gains politiques, cette coopration est source de retombes conomiques alors que La Havane connat de graves difficults financires.

Lorsquen 1963 La Havane dpche 58 mdecins en Algrie la premire intervention humanitaire de la Grande le il sagit dun geste de solidarit envers un pays nouvellement indpendant. Et donc indirectement dune condamnation du colonialisme. Huit ans aprs la confrence de Bandung qui a vu la naissance du Mouvement des non-aligns, Cuba affiche ainsi sa volont dune fraternit entre les pays du Sud. Un geste politique qui, en outre, ne lui cote rien puisque Moscou est lpoque le grand argentier du rgime castriste. En pleine confrontation Est-Ouest, exporter la rvolution est dailleurs un objectif proclam de La Havane. Plusieurs pays asiatiques et africains sen souviennent commencer par lAngola. Aujourdhui encore, Cuba aime se prsenter comme le dfenseur des damns de la terre , des pays pauvres victimes du grand capital. Ainsi, lors dune visite au Mali en 2003, le ministre cubain de la Sant, Damodar Pena, dclarait : La mdecine cubaine est la fille de la Rvolution. Pour nous, le bien-tre de lhomme prime sur les rgles du profit. Je veux dire ici le sentiment de reconnaissance de Cuba envers les peuples africains pour avoir reu leurs anctres qui y ont t dports et qui sont aujourdhui partie intgrante de la nation cubaine avec les immigrs espagnols .

Mdecin ou avocat du rgime ?

A en croire Rafael Huici, un ancien officier de larme cubaine aujourdhui rfugi Miami : La mdecine est un outil politique Cuba, tout comme lducation. Cest un moyen daffirmer que le communisme amliore la vie du peuple. Cest aussi un outil de rayonnement international du rgime, soumis de vives critiques pour son manque de respect des droits de lhomme . Un avis partag par les opposants Hugo Chavez au Venezuela, pour qui les praticiens cubains sont avant tout des propagandistes. En avril 2005, le Brsil a, pour sa part, ordonn le renvoi de 96 gnralistes cubains qui exeraient dans la province du Nordeste, estimant quils avaient outrepass leurs droits en matire dexpression politique. Un renvoi regrett cependant par les habitants de la rgion.
Auteur de Sur un air de Cuba (Ed. Epo), lcrivain colombien Hernando Calvo Ospina conteste cette ide de la politisation de laide humanitaire cubaine : Sous prtexte quil sagit dun rgime communiste, certains voient dans cette coopration mdicale une manuvre idologique pour diffuser en sous-main les ides du Grand soir. Souponne-t-on lUnion europenne de desseins secrets lorsquelle se vante dtre le premier contributeur laide au dveloppement dans le monde ? Le rgime cubain peut faire preuve de solidarit sans arrire-penses politiques . En effet, les 64 pays o exercent des mdecins cubains ont des gouvernements divers et ne sont pas tous devenus des laudateurs du rgime castriste. Au demeurant, ces mdecins sont-ils les meilleurs avocats du pays ? Beaucoup sont avant tout motivs par la perspective dun meilleur salaire ltranger et dun climat politique moins oppressant qu La Havane. Chaque anne, un certain nombre dentre eux rclame lasile politique aux Etats-Unis ou dans lUnion europenne ; et cela malgr la rigoureuse slection dont ils font lobjet et le fait que leur famille est contrainte de rester Cuba.

Contrer linfluence amricaine

Reste que les considrations politiques ne sont pas toujours absentes de cette coopration mdicale. Ainsi, la mission Miracle si elle a permis des milliers de Sud-Amricains souffrant de cataracte dtre soigns par des ophtalmologistes cubains rentre nanmoins dans le cadre de lAlba, lAlternative bolivarienne pour lAmrique latine et les Carabes, un projet dintgration rgionale initi par Hugo Chavez dans le but de contrer linfluence des Etats-Unis et de lOrganisation des Etats amricains (OEA) dans le sous-continent. A ce jour, seuls le Venezuela, Cuba, le Nicaragua et la Bolivie sont membres de lAlba. Mais alors que Lima y est farouchement hostile, de nombreux Pruviens franchissent la frontire et vont se faire soigner pour la journe en Bolivie dans la cadre de la mission Miracle. Il sagit dune ingrence trangre dans notre politique de sant, de la part de la Bolivie videmment mais aussi du Venezuela et de Cuba puisque les mdecins sont cubains , dnonait dbut juillet dans Le Monde le Premier ministre pruvien, Jorge Del Castillo. Autre exemple de politisation de cette aide humanitaire : les appuis diplomatiques dont bnficie parfois La Havane lOnu. Comme en mars 2006, quand Cuba a t lu au nouveau Conseil des droits de lhomme des Nations unies avec le soutien de 96 pays. Mais le rgime castriste na pas le monopole loin sen faut de cette tactique dchanges de bons procds .

Stthoscope contre ptrole

Plus que des gains diplomatiques, lespoir de retombes financires motive parfois cette coopration mdicale. Depuis la chute de lURSS, Cuba connat de graves difficults conomiques. Or laide au dveloppement peut tre source de devises : blouses blanches contre dollars. Cela nest pas systmatiquement le cas. La Havane prend parfois tous les frais sa charge. Cela peut aussi tre un moyen demployer des mdecins, trop nombreux dans la Grande le, et en outre souvent rmunrs par le pays daccueil. Le rgime cubain prfre cependant les changes-marchandises : des minerais, des matires premires, des fruits et lgumes, en change dune coopration mdicale. LAlgrie fournit ainsi Cuba du gaz prix subventionn.
Lexemple le plus marquant est celui du Venezuela o travaillent 14 000 mdecins cubains. En change de cette aide, Caracas livre Cuba 53 000 barils de ptrole par jour, soit un tiers de ses besoins nergtiques, un tarif prfrentiel. Ce troc ptrole contre stthoscope correspond exactement laide financire quapportait nagure lURSS La Havane. Cest dire son importance pour Cuba. Mais il suscite de vifs mcontentements au Venezuela. Les discours violemment anti-amricains du prsident Hugo Chavez, son ambition de devenir prsident vie, son amiti affiche pour Fidel Castro, sa description de Cuba comme Une le nageant dans la mer du bonheur , inquitent profondment.
Ces mdecins ne sont pas toujours comptents, et ils occupent les postes que des Vnzuliens souhaitent parfois. Outre les professionnels de sant, on croise des conseillers cubains dans tous les domaines Caracas : les travaux publics, lagriculture, les questions militaires, le dveloppement durable, lurbanisme Ce qui nest pas cubain est dsormais suspect au Venezuela , dnonce Juan Arbeloa, un avocat de Caracas, dans une interview El Pais. Rplique de Teodoro Petkoff, le directeur de Tal Cual, un quotidien de gauche pourtant antichaviste : Le rgime politique ici ne ressemble en rien Cuba. Le Venezuela est encore un pays dmocratique, libral, mme si on ne peut exclure des drives chavistes. Certains critiquent la prsence de mdecins cubains car elle illustre le succs de la politique sociale dHugo Chavez, ce quon appelle les Missions bolivariennes. Les praticiens vnzuliens appartiennent la classe moyenne et pendant des annes ils nont soign les plus pauvres quavec rticence. Ils nont qu sen prendre eux-mmes aujourd'hui. Par contre, cette prsence de conseillers cubains dans tous les domaines y compris ceux o La Havane nest gure performante est en effet inquitante. Les provocations verbales de Chavez ajoutent au malaise . Mais comme le dclarait au Monde une habitante dun bidonville de Caracas : Cubain ou Vnzulien, lessentiel pour moi est quun mdecin soigne ma famille .

Jean Piel

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