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04/09/2007
Questions internationales (1)
Les islamistes favoris pour les lgislatives au Maroc


(MFI) Les Marocains vont lire leurs dputs le 7 septembre 2007. Selon les sondages, les islamistes modrs du Parti de la justice et du dveloppement devraient sortir vainqueurs de ce scrutin. Cette dsaffection lgard des partis traditionnels serait due la persistance de fortes ingalits sociales, la corruption et limportance croissante de la religion dans le royaume. Toutefois, cette probable victoire ne devrait pas bouleverser un pays o la ralit du pouvoir appartient avant tout au roi Mohammed VI.

Dans quel contexte politique se droulent ces lections lgislatives au Maroc ?

Le pril vert aux portes de Rabat . Cest lexpression parfois utilise pour dcrire la probable victoire aux lections lgislatives marocaines du Parti de la justice et du dveloppement (PJD), une formation islamiste modre. Avec 42 dputs sur 325, le PJD tait dj la premire force dopposition au Parlement depuis 2002. Un rcent sondage lui accorde 21 % des intentions de vote, contre 15 % pour le parti de lIstiqlal (droite nationaliste) et 14 % pour lUnion socialiste des forces de progrs tous deux membres de lactuelle coalition gouvernementale.
Le parti islamiste nobtiendra sans doute pas la majorit absolue au Parlement. Notre objectif est de compter au moins 80 dputs et dtre ainsi la premire force politique du pays , dclarait, lors dun meeting Casablanca, son secrtaire gnral, Sad Eddine Othmani. En effet, 33 partis sont en lice, et le scrutin proportionnel au plus fort reste favorise la reprsentation des petites formations.
Lmergence dun parti religieux dans un Maroc qui aspire tre la vitrine de la modernit du monde arabe inquite les dirigeants europens et amricains. Elle na cependant pas suffi rveiller le peu dintrt des 15 millions dlecteurs pour leur campagne. De leur ct, les autorits du Royaume nont pas lsin sur les moyens pour inciter les jeunes sinscrire sur les listes lectorales : clips tlviss, affichage, sites Internet En vain. Selon un sondage LCS-CSA, 73 % des Marocains disent ne pas sintresser la vie politique. Les hommes politiques vivent dans leur monde et ne se proccupent pas du sort du peuple. Ils nont jamais rien fait pour moi, pourquoi alors irais-je voter ? Les Marocains nont plus confiance en leurs lus. Ils nous ont promis tellement de choses qui nont jamais vu le jour , tmoignait ainsi le serveur dun restaurant de Rabat, interview sur le site dinformation Rue89.
Toutefois, le mme sondage avance que 44 % des 25-29 ans jugent ces lections lgislatives trs importantes et que 69 % des lecteurs iront voter le 7 septembre. En 2002, le taux de participation navait t que de 52 %. Pour sa part, le roi Mohammed VI entend faire de ce second scrutin depuis son accession au trne en 1999 un modle irrprochable de transparence . Une dizaine dobservateurs internationaux seront dailleurs prsents sur le terrain.

Le PJD est-il un parti fondamentaliste ?

Ce nest pas lavis de la majorit des observateurs de la vie politique au Maroc. Le Parti de la justice et du dveloppement est un parti conservateur musulman. Il prne un islam modr et rcuse la violence. Il entend moraliser la vie publique et replacer la religion au cur des relations sociales , explique Mohamed Darif, un spcialiste des mouvements islamistes en Afrique du Nord. Le PJD est dailleurs un parti de cadres et dintellectuels. Rien voir avec Al-Qaeda ou les barbus des groupes salafistes.
Psychiatre de formation, un style dynamique et dcontract derrire ses petites lunettes rectangulaires, Sad Eddine Othmani dit avoir pour modle lAKP, qui signifie aussi Parti de la justice et du dveloppement, le parti islamiste modr au pouvoir en Turquie depuis 2002. Jai conscience quun parti politique rfrentiel islamique suscite des craintes. Mais jentend prouver quon peut concilier islam et modernit, expliquait-il lors dune rcente visite Paris: Je dfend une conomie librale et solidaire, un islamisme gestionnaire, ouvert sur le monde. Je respecte la dmocratie parlementaire. Les Marocains sont plus proccups par le chmage, laccs leau, la sant et lducation que par la hauteur des minarets. Nous leur donnerons satisfaction .
Dfense des valeurs familiales, lutte contre la corruption et le clientlisme, transparence de la vie publique, intgrit de la justice, respect des valeurs morales, r-islamisation de la socit et dfense du libralisme conomique : un tel programme sduit au Maroc, tant dans les quartiers populaires que dans la bourgeoisie des villes. Dautant que le PJD affirme son respect de la monarchie. Son objectif : mettre la population en adquation avec son identit arabo-musulmane , souligne Khadija Mohsen-Finan, charge de recherche lInstitut franais des relations internationales (voir interview).

Existe-t-il un risque de drive avec le PJD ?

Depuis 2002, le PJD a bnfici dune forte popularit. Jusquaux attentats du 16 mai 2003 qui ont fait 45 morts Casablanca. Revendiqus par un groupe salafiste, ils ont immdiatement t condamns par le parti de Sad Eddine Othmani. Peine perdue. On a aussitt vu de nombreuses femmes cesser de porter le voile. La preuve que les Marocains nont aucune sympathie pour les fondamentalistes. Mais la classe politique a accus le PJD dtre moralement responsable des attentats , se souvient le sociologue Mohsine el-Hamadi. Depuis, le PJD tient un discours de plus en plus modr, parvenant remonter son image dans lopinion. Mais quun nouvel attentat secoue le royaume chrifien avant le scrutin, et le parti islamiste en fera les frais.
Cette popularit du PJD tmoigne dun enracinement de lislam politique au Maroc. Certes, le parti se veut pragmatique et moderniste. Certains estiment mme que lassocier au pouvoir serait le meilleur moyen de contrer les groupes jihadistes. Mais on ne sait jamais comment volue lislam politique. Regardez lAlgrie avec le Front islamique du salut , avertit Mohammed el-Ayadi. Ce professeur de Sciences politiques luniversit de Rabat rappelle que le journal des islamistes, Attajdid, a plusieurs fois rclam linterdiction de la vente dalcool, lannulation de concerts et dexpositions, un contrle renforc de la tlvision, lobligation du port du voile De mme, des lus du PJD tiennent des discours populistes et antismites, voire des propos ambigs sur Al-Qaeda, loin de limage de rigueur gestionnaire que veut se donner le parti. Des lus qui ont t rappels lordre mais qui nont pas t exclus. Quel sera leur rle si le PJD remporte les lections lgislatives ?

Comment expliquer ce succs annonc du PJD ?

Malgr sa rputation de modernit, le Maroc reste un pays profondment conservateur et religieux. Vouloir moraliser la vie publique, mettre lislam au-cur de la socit, dfendre la famille rencontre inluctablement ladhsion dune frange importante de la population , explique Khadija Mohsen-Finan. Le PJD profite de lusure des partis qui, comme lIstiqlal ou lUSFP, occupent le devant de la scne politique depuis des dcennies, et souffrent dune rputation dinefficacit, de corruption et de npotisme. A contrario, le PJD jouit dune image de parti neuf, intgre, mme sil est aussi travers par des guerres de clans , ajoute Mohamed Darif.
Le parti de Sad Eddine Othmani est en effet bien organis, avec des permanences dans tous les quartiers, des militants dvous, des lus au contact de la population. Il mne des actions caritatives dans les bidonvilles et les quartiers populaires, offrant des repas la fin du Ramadan, organisant du soutien scolaire, distribuant des vtements Mais il sest aussi alli avec Forces citoyennes, un mouvement libral dirig par lancien patron des patrons , afin de rassurer les cercles dirigeants et les investisseurs. En outre, le PJD respecte le roi ; il ne conteste pas la monarchie. Il ne reprsente donc pas un risque dinstabilit politique. Cest trs important , insiste Mohamed Darif.
La situation de lconomie marocaine explique aussi la popularit du parti religieux. Les ingalits sociales sont en effet criantes dans le royaume chrifien. Certes, une nouvelle classe moyenne occidentalise voit le jour ; des entreprises de hautes technologies enregistrent dexcellents rsultats ; des villes comme Tanger, Rabat ou Casablanca se modernisent rapidement. Mais selon la Banque mondiale, six millions de Marocains vivent avec moins dun dollar par jour et douze millions avec moins de deux dollars soit au total 40 % de la population qui vit en-dessous du seuil de pauvret alors que les 20 % les plus riches soctroient 55 % du revenu national. De mme, 49 % des plus de quinze ans ne savent ni lire ni crire. Quant au chmage des diplms, il saggrave tous les jours. Des manifestations contre la vie chre ont eu lieu en octobre dernier.
Casablanca illustre cette fracture sociale. Sur le front de mer, des maisons et des immeubles modernes rservs une minorit dont les enfants tudient en France. Mais Sidi Moumen le plus grand bidonville du pays dont venaient les kamikazes du 16 mai 2003 est un labyrinthe de ruelles boueuses lodeur pestilentielle o se serrent des milliers de cabanes faites de bric et de broc, hrisses dantennes paraboliques. Tout autour, un terrain vague jonch dordures sur lesquelles tranent des chvres et des nes. Les pauvres sont de plus en plus pauvres, et les riches de plus en plus riches. Les jeunes constituent la moiti de la population marocaine. Il y a chez eux une dsesprance, une frustration, qui pousse certains vers lislam radical, voire le terrorisme. Cest un moyen dexister, surtout lorsquAl-Qaeda semble capable de faire trembler les Etats-Unis , fulmine Ahmed Bennaji, lanimateur dune association caritative de Sidi Moumen.
Enfin, le conflit isralo-palestinien, comme la guerre en Irak, renforcent lappartenance lumma, la communaut des croyants, et le sentiment que les musulmans sont attaqus.

Quelles peuvent tre les consquences dune victoire du PJD sur la vie politique du royaume ?


Le roi Mohammed VI a la rputation de dtester les islamistes. Aprs les attentats de Casablanca, il avait envisag de faire adopter une loi interdisant la constitution de partis politiques sur des bases religieuses, ethniques, linguistiques ou rgionalistes . La svrit des jugements prononcs contre des membres de groupes salafistes ne laisse aucun doute sur la volont de Rabat de rprimer avec force toute menace fondamentaliste.
Mais le PJD ne partage gure de points communs avec ces groupuscules radicaux. Mohammed VI pourrait donc choisir le Premier ministre en son sein si la formation de Sad Eddine Othmani remportait les lections lgislatives. Pour le publicitaire Noureddine Ayouch, interview par LExpress : Larrive aux affaires du PJD serait une chance pour le royaume. Cela permettrait dintgrer laction gouvernementale un large pan de la population reste jusquici lcart de la gestion du pays. Ils apporteront la vie publique plus de rigueur et de moralit, sans menace dune drive la Saoudienne, sans tre en mesure dinfluer sur les choix fondamentaux qui, eux, relvent du seul souverain. Cela crdibiliserait enfin le processus dmocratique en cours au Maroc . Un avis que partage Mohamed Darif : Associer le PJD au pouvoir serait le meilleur moyen de neutraliser les islamistes les plus radicaux. Les lecteurs seront satisfaits de la prsence dun parti religieux au gouvernement, sans quil y ait pour autant une menace de talibanisation du royaume .
Mais cette analyse ne fait pas lunanimit. Si le PJD participe au prochain gouvernement, une partie de la jeunesse, frappe par le chmage et la pauvret, risque au contraire de trouver refuge auprs des islamistes radicaux, car elle va raliser que le PJD est un parti gestionnaire qui ne peut pas amliorer rapidement sa situation. Mais le tenir lcart du pouvoir malgr une victoire lectorale ternirait limage de la fragile dmocratie marocaine. Le choix est donc cornlien pour les autorits du royaume , estime Mohammed el-Ayadi.
En tout tat de cause, la prsence de ministres issus du PJD ne bouleverserait pas la vie politique du royaume chrifien. Comme le rappelle Khadija Mohsen-Finan : Le Maroc nest pas une monarchie constitutionnelle. Le gouvernement na pas de pouvoir, le Parlement en a peu et le roi en a beaucoup . Le pays est donc encore loin dtre une dmocratie. En effet, le roi nomme et renvoie les ministres ; il peut opposer son veto un projet de loi, et il est le commandant en chef des Armes. Il est aussi lAmir al-Mouminine, le Commandeur des croyants. La justice est rendue en son nom. Sa personne est inviolable et sacre. Sans changer la ralit du pouvoir au Maroc, cette ventuelle prsence dislamistes mme modrs- au gouvernement serait cependant un symbole fort dans un pays qui dfend une image de modernit et espre attirer toujours plus dinvestisseurs trangers.

Jean Piel

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