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02/10/2007 | |||
Questions internationales (2) Les illusions africaines de Che Guevara | |||
(MFI) En 1965, Che Guevara se rend secrètement au Congo pour aider les rebelles du mouvement marxiste Simba, en lutte contre l’armée du président Mobutu. L’opération est un fiasco. Pour les historiens, elle illustre l’incapacité de Che Guevara à s’adapter à d’autres contextes politiques et culturels du fait de son jusqu’au-boutisme révolutionnaire. | |||
« La révolution, c’est comme une bicyclette ; si elle ne roule pas, elle tombe » Che Guevara a certainement voulu respecter l’une de ses phrases les plus célèbres. Après la victoire de la révolution cubaine en 1959, le compagnon de route de Fidel Castro est nommé procureur du tribunal révolutionnaire, puis gouverneur de la Banque centrale et ministre de l’Industrie. Mais le pouvoir et la bureaucratie l’ennuient. Il devient très critique contre l’URSS, en particulier après la crise des missiles en 1962. Quant à Fidel Castro, il se méfie de ce jeune lieutenant, trop populaire à son goût. En 1964, Che Guevara effectue donc une tournée internationale qui le conduit en Chine, en Irlande, en Tchécoslovaquie, en France, mais aussi en Egypte, en Algérie, au Ghana, en Guinée, au Mali, au Bénin, au Congo et en Tanzanie. C’est d’Alger qu’il lancera son célèbre « Créer deux, trois… de nombreux Vietnam », soutien à tous les mouvements de guérilla dans les pays en développement. Comme l’écrit Loïc Abrassart, auteur de Che Guevara, itinéraire d’un révolutionnaire : « Che Guevara a toujours été tiers-mondiste. Pour lui, l’hémisphère Nord, mené tant par les Etats-Unis que par l’URSS, exploite l’hémisphère Sud. Il encourage donc les peuples des pays en développement à prendre les armes et à créer un front anti-impérialiste uni. » L’Afrique, maillon faible de l’impérialisme En 1965, Che Guevara abandonne toute fonction officielle à Cuba, et décide – avec la bénédiction de Fidel Castro – d’aller « exporter la révolution à-travers le monde ». L’Amérique latine ne lui semble pas réunir les conditions voulues pour y établir des focos, des foyers de guérilla. Par contre, selon lui, « la situation en Afrique présente un énorme potentiel révolutionnaire. Le continent est le maillon faible de l’impérialisme. C’est là qu’il faut concentrer nos efforts ». C’est sur la jeune République du Congo (ex Congo belge et actuelle RDC) que le Che jette son dévolu. Le pays est indépendant depuis 1960, et l’assassinat en 1961 de Patrice Lumumba – éphémère Premier ministre supposé proche de Moscou – a profondément indigné Che Guevara. Les velléités sécessionnistes du Katanga ont en outre entraîné l’intervention militaire de la Belgique. Che Guevara débarque donc au Congo le 12 avril 1965 avec une douzaine de soldats, dans le secret le plus absolu. Un contingent d’une centaine de Cubains d’origine africaine les rejoint peu après. L’objectif est d’apporter une aide militaire au mouvement marxiste Simba. « Je voulais les former à l’idéologie communiste et aux stratégies de la guérilla », écrira Che Guevara dans son livre Journal du Congo. La colère de Tatu Muganga L’Argentin rencontre l’opposant Laurent-Désiré Kabila avec qui il organise le maquis d’Hewa Bora. Mais le courant ne passe pas entre les deux combattants. « Cet homme est insignifiant. Rien ne m’amène à penser qu’il soit l’homme providentiel », écrit Che Guevara. Face aux soldats cubains et aux guérilleros du Simba, l’armée du président congolais Joseph-Désiré Mobutu, secondée par des mercenaires sud-africains, est d’une redoutable efficacité, interceptant les communications des rebelles, coupant leurs lignes d’approvisionnement, les attaquant sans cesse. Bien que le Che dissimule sa présence au Congo, le gouvernement américain est informé de ses moindres gestes grâce au matériel de transmission de l’USNS Valdez, un navire d’écoute qui croise dans l’Océan indien. Le nom de code de Che Guevara au Congo est Tatu, ce qui signifie Trois en swahili. On le surnommait Tatu Muganga car il est médecin, et muganga se traduit en swahili par « celui qui soulage le mal ». Mais Che Guevara peste contre l’indiscipline des rebelles congolais, leur violence contre les populations civiles, leur goût du pillage, leur faible motivation idéologique. A le lire, les guérilleros sont incompétents, drogués, divisés en de multiples clans, surtout préoccupés de voler l’argent et les biens des habitants. Ils croient plus en la sorcellerie qu’à l’instruction militaire des Cubains, d’où des défaites à répétition. Après sept mois de frustration, malade de la dysenterie et souffrant de fréquentes crises d’asthme, débordé aussi par les troupes de Mobutu, Che Guevara quitte le Congo. Son Journal du Congo commence par ces mots : « Ceci est l’histoire d’un échec. » Pour nombre d’observateurs, cette épopée africaine est à la fois pathétique et héroïque, une sorte de tragi-comédie. Le président égyptien Gamal Abdel Nasser a d’ailleurs raconté son entrevue avec Che Guevara : « Il me dit vouloir aller au Congo car c’est le point le plus chaud de la planète ; c’est au Katanga qu’il pense pouvoir, selon ses propres mots, “frapper les impérialistes au cœur de leurs intérêts”. Je lui ai alors prédit un désastre, et l’ai exhorté à ne pas devenir une sorte de Tarzan, un blanc parmi les noirs, prétendant les conduire et les protéger. » L’inévitable malentendu entre le Che et les Africains Officiellement, Che Guevara n’est plus revenu en Afrique. Mais des représentants du mouvement indépendantiste du Mozambique disent l’avoir rencontré en 1966 à Dar-es-Salaam, où ils auraient rejeté son offre d’assistance à leur révolution. Pour les historiens, le caractère entier de Che Guevara, son aspiration à une révolution absolue, sans compromis, son exigence idéologique têtue entraînent son incapacité à comprendre d’autres contextes sociaux et culturels, d’où l’échec de l’expédition du Congo. Il a voulu projeter sans recul en Afrique son expérience en Amérique latine. Les malentendus étaient inévitables entre des Congolais sans histoire ni organisation révolutionnaires, sans idéologie, et des Cubains, guérilleros professionnels endurcis par des années de luttes et de clandestinité. Dans les années soixante-dix, les troupes cubaines retourneront en Afrique, mais dans le cadre d’opérations militaires à grande échelle. Avec de claires arrières-pensées politiques et sans Che Guevara. | |||
Jean Piel | |||
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