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09/10/2007
Questions internationales (2)
Philippe Chapleau : En Irak, la coalition ne peut plus se passer des armes prives


(MFI) Auteur de Socits militaires prives, enqute sur les soldats sans armes (d. Le Rocher), le journaliste Philippe Chapleau estime que les mercenaires vont jouer un rle croissant en Irak, mais pas au point dentretenir le conflit comme certains le suggrent. Si elles prsentent dsormais une faade respectable, ces armes prives ne suivent toujours pas des rgles dengagement claires. Elles ont par contre des ambitions plantaires.

MFI : Les socits militaires prives sont-elles des entreprises bien structures ou des officines plus ou moins louches ?
Philippe Chapleau : La situation a beaucoup volu depuis les annes soixante-dix. On nen est plus du tout Bob Denard et ses barbouzes faisant le coup de force en Afrique. Au dbut des annes quatre-vingt, on a vu se constituer, en Grande-Bretagne puis aux Etats-Unis, des socits lgales, payant des impts, enregistres au registre du commerce, dont lactivit consistait mener diverses missions pour le compte darmes rgulires. Ces socits taient et sont toujours cres par danciens militaires, le plus souvent issus des troupes dlite. Dans les annes qautre-vingt-dix, on a assist une seconde volution : ces socits ont t rachetes par des groupes industriels souvent proches du secteur de larmement, voire par des compagnies financires disposant de gros moyens. Ces groupes ont exig des SMP plus de transparence, plus defficacit conomique et, dune manire gnrale, plus de respectabilit. En tant quentreprises, les SMP se sont civilises depuis les annes soixante-dix.

MFI : Cette volution en tant quentreprise sest-elle accompagne dune volution de leurs missions ?
P.C. : Certainement. Dans les annes soixante-dix et quatre-vingt, les mercenaires taient recruts pour renverser ou dstabiliser des gouvernements. Aujourdhui, les SMP interviennent plutt pour assurer la stabilit des pouvoirs en place. Pour employer une comparaison image, on est pass des pirates dtrousseurs des ocans aux corsaires effectuant une mission officielle pour le roi. Ce sont dsormais des prestataires de services militaires ou scuritaires. Ces SMP sont employes comme shrifs dans des espaces chaotiques o les troupes rgulires ne veulent plus aller. Ce ne sont pas que des portes-flingues . Une large part de leur activit consiste en de la formation, du dminage, du renseignement, voire de laide mdicale dans des zones dangereuses.
Certes, cette plus grande respectabilit apparente ne rsout pas les problmes dthique, de lgitimit de leurs actions, de respect des droits humains. Les SMP sefforcent dsormais de recruter des soldats responsables et comptents. Mais leur comptence est de savoir utiliser une arme, de savoir faire la guerre. Dans leur contrat, les rgles dengagement sont rarement dfinies, la diffrence de ce qui se fait dans une arme rgulire. Si leur mission est de protger une personnalit, ils vont tirer ds quils sentent une menace relle ou suppose , pas seulement en cas de lgitime dfense. Ils tirent donc souvent les premiers, sans faire de dtail. A Bagdad, ils nhsitent pas tirer pour dgager la route si leur convoi est pris dans un encombrement. Car tre bloqu au milieu dautres vhicules constitue en soi une menace.

MFI : En Irak, ces socits militaires prives mnent-elles des actions offensives, secrtes, l o larme amricaine ne veut pas se salir les mains ?
P.C. : Les soldats privs en Irak ne sont pas uniquement des gardes du corps, ou du moins pas tous. Beaucoup effectuent des missions qui dpassent le cadre de la scurit pour tre des missions de guerre. Cest le cas du dminage ou du renseignement. Cela ne signifie pas quils partent lassaut dune ville ou dun quartier. Larme amricaine ne le fait pas non plus ; on nest plus dans une guerre frontale en Irak. Personnellement, je nai pas entendu parler dactions secrtes, disons inavouables, menes par des mercenaires pour le compte de la coalition. Mais on ne peut pas lexclure. Ce type dactions a eu lieu en Colombie et en Afghanistan, alors pourquoi pas en Irak ? La certitude est que les SMP rempliront des missions toujours plus proches de celles des armes rgulires. Aujourdhui, cinq SMP amricaines possdent chacune entre cinq et trente avions de chasse, dont des F-16 rachets larme hollandaise. Ils nont pas encore t utiliss sur le terrain, mais videmment ce le sera pour mener des missions de guerre. Une opration est galement en cours au Kurdistan irakien o danciens soldats des forces spciales amricaines assurent la formation de peshmergas au service du Premier ministre kurde. Les troupes amricaines leur apportent un soutien logistique, mais officiellement le Pentagone nest pas au courant.

MFI : Certains observateurs estiment que les armes prives entretiennent le conflit en Irak. Partagez-vous cette analyse ?
P.C. : Non, elle me parat excessive. Si un jour un accord est trouv entre les diffrents acteurs politiques irakiens et larme amricaine, si celle-ci quitte Bagdad et que le pays se pacifie, les SMP ne vont pas mettre de lhuile sur le feu. Par contre, il est certain que leur prsence et leurs abus attisent la haine anti-occidentale, et ce titre favorisent la guerre civile. Il est vrai aussi que les troupes de la coalition ne peuvent plus se passer des armes prives. Les SMP sont un peu comme le lichen ; elles ont besoin dun milieu dfini pour se dvelopper. Ce milieu, cest la guerre. Elles ne prosprent que dans le chaos. La paix ne les intresse pas. Actuellement, le contingent britannique veut se dsengager dIrak, et les Amricains aimeraient rduire leur prsence. Or le pays est loin dtre pacifi. On peut donc sattendre ce que les SMP jouent un rle croissant Bagdad. Le dpartement dEtat amricain a dailleurs sign, avec Blackwater, Triple Canopy et DynCorp, des contrats qui courent jusquen 2009.
Mais les SMP pensent dj laprs-Irak. Elles sintressent notamment lAfrique. Trois de ces armes prives sont dj prsentes au Darfour, certes uniquement pour de la logistique. Mais quelle sera la prochaine tape ? Des dirigeants de grandes compagnies de scurit font un lobbying intense pour intervenir au Darfour. Ils estiment que leurs troupes sont moins chres et plus efficaces que les casques bleus, quelles pourraient pacifier la rgion rapidement. Selon ces dirigeants de SMP, il est inluctable que leurs quipes remplacent un jour les forces de maintien de la paix de lOnu partout dans le monde. A leurs yeux, les casques bleus ne sont ni comptents ni motivs. Evidemment, ils raisonnent sur un plan strictement militaire, sans prendre en considration les aspects politiques et diplomatiques de telles missions.

Propos recueillis par Jean Piel

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