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09/10/2007
Questions internationales (1)
Guerre prive en Irak


(MFI) Prs de 50 000 mercenaires travaillent en Irak, soit pour des entreprises prives soit au service des troupes de la coalition. Cela fait deux la seconde arme trangre dans le pays. Anciens soldats, ces hommes prennent des risques importants et sont trs bien pays. Mais on les accuse davoir la gchette facile et de bnficier dune totale impunit.

Que reprsentent les armes prives en Irak ?

Dimanche 16 septembre 2007, un convoi de diplomates amricains, escort par des gardes du corps de la socit Blackwater, traverse vive allure le quartier de Mansour Bagdad. Soudain, un taxi fait une embarde et sapproche trop prs du convoi. Sans hsitation, les agents de scurit ouvrent le feu. Bilan : au moins 17 passants tus, dont trois enfants. Laccident provoque la fureur du Premier ministre irakien, Nouri Al-Maliki. Il ne se passe pas un jour sans que des Irakiens innocents soient tus par ces mercenaires trangers qui ne respectent personne et se croient en terrain conquis , semporte-t-il, avant dannoncer lexpulsion de tous les employs de Blackwater. Un coup de tlphone de la secrtaire dEtat amricaine, Condoleeza Rice, et une promesse denqute indpendante suffiront pour que, vingt-quatre heures plus tard, Nouri Al-Maliki revienne sur sa dcision.
Ce drame illustre lomniprsence des socits militaires prives les SMP, comme on les surnomme en Irak. Elles seraient 177, employant 48 000 personnes. Un effectif qui fait des SMP la deuxime arme trangre dans lancienne Msopotamie, aprs les Etats-Unis. Ancien membre des SAS
le service action de larme britannique , aujourdhui la tte de Control Risk Group, Richard Fenning expliquait au quotidien Le Monde le pourquoi de cette situation : Aprs linvasion amricano-britannique, des milliers dtrangers sont arrivs en Irak pour participer la reconstruction. Mais linsurrection a trs vite pris de lampleur. Or les troupes de la coalition ont refus de protger les entrepreneurs privs qui, du coup, ont embauch des gardes du corps. Un norme march sest cr du jour au lendemain. Mais il ne sagit l que de la premire tape de la monte en puissance des socits militaires prives. La suite, toujours raconte par Richard Fenning : Quand ils ont rouvert leurs ambassades Bagdad, les pays ont compris que ni leurs gendarmes ni larme irakienne ne pourraient les protger. Do un nouveau march pour les SMP. Ensuite, larme amricaine a ralis quelle navait pas les moyens de dfendre ses propres installations ni de mener toutes ses missions. On a alors vu une arme rgulire faire appel des armes prives. Cest une vritable rvolution qui aura des consquences sur la conduite des futures guerres. Tant que la guerre civile se poursuivra en Irak, les groupes militaires prives y prospreront.

Quelles missions les armes prives mnent-elles en Irak ?

Protection de btiments officiels, surveillance rapproche de personnalits, scurisation de convois routiers Les gros bras des SMP assurent toutes les missions traditionnelles dvolues des gardes du corps. Mais en Irak, ils en font davantage. Ce sont eux qui forment larme et la police irakienne ; ils protgent laroport de Bagdad, la zone verte , les installations nergtiques (centrales lectriques, puits de ptrole, gazoducs) et mme certaines casernes de troupes de la coalition qui manquent de sentinelles. Des missions despionnage leur ont t confies par larme amricaine, notamment Falloujah et Nadjaf, ainsi que linterrogatoire de prisonniers. Des mercenaires taient ainsi prsents la prison dAbou Ghraib, de sinistre rputation. Comme le souligne Jeremy Scahill, auteur dun livre sur Blackwater : Le danger aujourdhui en Irak est quil y a une confusion croissante entre les armes rgulires et les armes prives. Les secondes sont devenues les sous-traitantes des premires. Elles sont aussi bien armes, disposent de vhicules blinds et dhlicoptres. La frontire entre les missions dfensives des agents privs et les oprations de combat des soldats sestompe puisquils interviennent ensemble face aux insurgs. Or il ne sagit pas dindustries, mais dune guerre et de lavenir politique dune rgion. Une analyse confirme par Hamid Hussein, un Bagdadi de 60 ans, interview par le New York Times : Physiquement, il est impossible de faire la diffrence entre des GIs et les gardes de Blackwater. Mme leurs hlicoptres se ressemblent. Le mieux est de ne jamais les croiser.
Reste que les affaires sont bonnes pour les SMP en Irak. Le ministre de la Dfense amricain
qui emploie 8000 mercenaires Bagdad a provisionn un milliard de dollars sur cinq ans pour la protection de son personnel et de ses btiments. Blackwater la plus grande arme prive du monde avec ses 20 000 soldats , ses 30 avions et ses 6000 hectares de terrain dentranement en Caroline du Nord a dj gagn 832 millions de dollars en Irak. Sans surprise, son patron Erik Prince, un ancien des forces spciales de la Navy, est un chrtien conservateur proche de George Bush et gros contributeur du Parti rpublicain. Son principal concurrent, Triple Canopy cr en 2003 par trois pilotes de chasse fait dj partie des 100 premires entreprises de la rgion de Washington.

Qui sont les soldats de ces armes prives ?

Lunettes noires, couteur viss loreille, pistolet Glock sangl autour de la cuisse, fusil automatique M-4 la main (les mmes que ceux des troupes amricaines), gilet pare-balles en kevlar doubl de cramique, des gros bras tatous, 1,90 m de muscles et le crne ras : le portrait semble caricatural ; il nen est pas moins vrai.
Les chiens de guerre ainsi quon les surnommait sont tous danciens policiers ou militaires. Leurs motivations : le got de laction, lamour des combats peu rglements, lamiti virile, et surtout largent. Leur salaire oscille de 250 600 dollars par jour, selon le travail et le risque. Comme le racontait dans Le Monde Garret Miller, un ancien GI qui a servi au Kosovo et en Afghanistan, avant dtre recrut par DynCorp : Mes suprieurs ont cherch me convaincre de signer un nouveau contrat, mais les socits prives proposent beaucoup plus dargent, une vie plus confortable et plus de libert. Je choisis le pays o jinterviens, je peux dmissionner quand je veux et la hirarchie est moins contraignante. Sur les 40 GIs de mon ancienne unit, nous sommes 35 travailler dans le priv en Irak. Avec mon salaire actuel, dans trois ans je rentre en Californie, jachte une maison et cre ma socit. Garret Miller est charg de la protection dun btiment officiel amricain Bagdad, affirme gagner 500 dollars par jour et reconnat dormir avec son fusil dassaut charg.
La plupart des mercenaires en Irak sont amricains ou britanniques. Mais on croise aussi beaucoup dAustraliens, de Sud-Africains et de No-Zlandais, quelques Franais, Serbes et Croates, et danciens officiers sud-amricains et philippins. Ce besoin subit dagents de scurit a suscit des vocations. On a vu se crer dans limprovisation des petites socits qui ont dbauch danciens militaires en Amrique latine et en Asie pour rduire leurs cots , explique Richard Fenning. En effet, pour le mme travail, le salaire varie de un dix entre un Amricain, ancien des commandos Delta, et un Gurkha npalais. Au point quen septembre 2006, des employs colombiens de Blackwater ont cess le travail : ils gagnaient peine 1000 dollars par mois alors quon leur en avait promis 4000 et que leurs collgues amricains en empochaient plus de 10 000 !
Si les salaires des mercenaires en Irak sont levs, les risques le sont galement. Depuis 2003, 800 dentre eux ont t tus et 7800 blesss. Chacun se rappelle les images des corps dmembrs et carboniss de quatre Amricains lynchs par la foule Falloujah en mars 2004, avant dtre suspendus un pont ; il sagissait demploys de Blackwater. Evidemment, pas le droit aux honneurs militaires, ni une pension confortable pour leur veuve, ni un cercueil ceint du drapeau amricain dpos en terre au cimetire dArlington. Nous sommes trs critiqus, et pourtant bien pratiques. Larme amricaine nous confie des missions secrtes inavouables ; si elles tournent mal, personne ne nous connat. Quand des soldats se font tuer, lopinion est mue. Quand ce sont des agents privs, cela passe inaperu. Ou alors les gens disent quon la bien cherch car on se bat pour de largent , commentait avec amertume lun de ces chiens de guerre dans le New York Times.

Quelles sont les critiques adresses aux armes prives en Irak ?

Des chiens enrags qui tuent des innocents dans la rue ; ils roulent tombeau ouvert bord de vhicules blinds et ont le droit de tuer sur simple suspicion ; ce sont des occupants comme les soldats amricains. Il faut les expulser tout comme eux . Ce sont quelques-uns des commentaires recueillis par lenvoy spcial du Monde Bagdad propos des employs des SMP. Les Irakiens en ont peur et ont le sentiment dtre devenus des trangers dans leur propre pays.
Premier grief : ces mercenaires ont la gchette facile. Ils tirent dabord, posent des questions ensuite et ne portent jamais assistance aux blesss. Aprs la fusillade dans le quartier de Mansour le 16 septembre, le Congrs amricain a diligent une enqute sur la socit Blackwater. Rsultat : depuis 2005, ses agents ont t impliqus dans 195 changes de tirs. Dans 163 cas, ils ont dgain les premiers alors quils ne doivent tirer que pour se dfendre. Ces deux dernires annes, 122 gardes sur un millier employs environ ont t licencis pour violence excessive, alcoolisme ou insubordination. Rponse dErik Prince, une main sur la bannire toile, lautre sur le portefeuille : Mes agents aident les soldats amricains combattre lennemi et protger notre nation du terrorisme.
Second grief contre les agents des SMP : limpunit dont ils bnficient. Depuis mars 2003, larme amricaine a tran des centaines de ses hommes devant les tribunaux pour toutes sortes de crimes et dlits, dont 64 pour meurtres. Mais pas un seul des 48 000 mercenaires en Irak na jamais eu rpondre de ses actes devant un tribunal. Une arme prive, cest comme une arme rgulire, le salaire en plus, la Cour martiale en moins , rigole Garret Miller. En Irak, cette impunit repose sur un dcret adopt en juin 2004 par Paul Bremer, le premier reprsentant amricain Bagdad, qui prvoit quaucun civil travaillant pour le gouvernement des Etats Unis ne peut tre traduit devant la justice irakienne. Et comme les agents des SMP ne relvent pas des tribunaux militaires, le vide juridique est total. Cest ce que raconte Garret Miller : Avant de partir Bagdad, on nous a expliqu quen cas de problme, on nous exfiltrerait discrtement. La commission denqute du Congrs a en effet not plusieurs cas o larme amricaine elle-mme a vacu des mercenaires coupables de crimes, gnralement aprs avoir vers 15 000 dollars la famille de la victime irakienne. Les contribuables amricains ont le droit de savoir qui sont ces mercenaires, comment ils sont recruts, quelles sont leurs rgles dengagement et leur chane de commandement, leurs liens avec lUS Army, pourquoi le dpartement dEtat couvre rgulirement leurs bavures Chacun de ceux travaillant pour une firme amricaine cote 1222 dollars par jour aux contribuables, soit six fois plus quun soldat ordinaire , sest cri Henry Waxman, le prsident dmocrate de la commission denqute. A toutes ces accusations, Richard Fenning, le patron de Control Risk Group, rpond : Certes, il y a des moutons noirs dans ce milieu. Mais il y a aussi beaucoup de gars bien, courageux, qui aiment laction et le voyage, et respectent les autres. Dans une arme rgulire, on croise le mme pourcentage de salauds et de ttes brles.
Dernier grief enfin : la prsence de ces SMP nentretient-elle pas le conflit en Irak ? Aprs le lynchage de quatre employs de la socit Blackwater Falloujah, larme amricaine a lanc une vaste offensive contre la ville sainte chiite qui a dur 36 jours. Rapport de cause effet ou instrumentalisation dun vnement ? Le doute est permis. Auteur de Socits militaires prives, enqute sur les soldats sans armes, Philippe Chapleau estime excessif de croire que la guerre en Irak se poursuit cause des SMP. Mais il le reconnat : Leur prsence et leurs abus attisent la haine anti-occidentale et donc favorisent la guerre civile () Les SMP nont aucun intrt la paix () Les troupes de la coalition en Irak ne peuvent plus se passer des armes prives. Et Richard Fenning dajouter : Tant que la guerre civile se poursuivra en Irak, le pays sera un eldorado pour les armes prives. Personne ne veut tuer la poule aux ufs dor.

Jean Piel

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