Rechercher

/ languages

Choisir langue
 
Liste des rubriques
MFI HEBDO: Politique Diplomatie Liste des articles

16/10/2007
Questions internationales (1)
LAustralie, nouveau gendarme du Pacifique


(MFI) Dmocratie stable lconomie prospre au cur dune rgion souvent en proie des troubles, lAustralie entend affirmer son influence sur lOcanie. Proche de George Bush, son Premier ministre John Howard a fait de la lutte contre le terrorisme sa priorit et renforc les lois contre limmigration ; 900 soldats australiens sont prsents en Irak. Mais les lections lgislatives qui doivent avoir lieu la fin de lanne pourraient tre fatales John Howard.

Que reprsente aujourdhui lAustralie au plan politique et conomique ?

Kangourou, surf, rugby, barre de corail et plages de sable blancLAustralie est souvent une terra incognita rduite des clichs. On pourrait y ajouter lopra de Sydney, en forme dartichaut, pour les mlomanes, et la bire Fosters pour les piliers de bar.
LAustralie constitue en effet un paradoxe : une terre anglophone, majoritairement blanche et anglo-saxonne, membre du Commonwealth et dont la reine dAngleterre est toujours le chef de lEtat ; perdue sous les tropiques, au milieu de ce continent liquide quest lOcanie et dont la majorit des voisins Fidji, Vanuatu, Salomon, Samoa ou la Micronsie ne partagent ni la culture, ni la religion, ni la langue, ni lorigine ethnique. A la diffrence de ses voisins, lAustralie est un pays immense (7 741 220 km, soit 14 fois la France), peu peupl (20 millions dhabitants), riche et stable politiquement.
John Howard en est le Premier ministre depuis mars 1996. Leader du Parti libral, il a mis fin treize ans de pouvoir travailliste. Juriste de formation, le visage poupin mais le verbe mordant, John Howard est un ultra-conservateur qui entretient les meilleures relations avec George Bush. Cest un homme intelligent et sympathique , dit-il du prsident amricain. Depuis son accession au pouvoir, John Howard a renforc le contrle de limmigration (voir article ci-aprs), durci larsenal anti-terrorisme, limit linfluence des syndicats et privatis de nombreuses entreprises. Lorientation librale de sa politique conomique ne constitue cependant pas une rupture par rapport ses prdcesseurs travaillistes. Son alignement sur les Etats-Unis, par contre, nest gure apprci, et les sondages lui prdisent une dfaite au profit des travaillistes lors des lections lgislatives qui se tiendront la fin de lanne.
Les Australiens ont toujours t adeptes de la libre entreprise et la bonne sant de lconomie les conforte dans leurs choix. Le PIB par tte est de 22 452 dollars, et le taux de croissance flirte avec les 4 % depuis dix ans. Le chmage (3,8 %) na jamais t aussi faible depuis 1975. Aucun pays occidental nenregistre de meilleurs rsultats. Lagriculture est intensive, le sous-sol riche (notamment en gaz, uranium, nickel et cuivre) et le secteur des services (tlcommunications, informatique) en pleine expansion. Le pays profite de lenvole des cours des matires premires et de sa proximit gographique avec lAsie.

LAustralie a-t-elle des ambitions de puissance rgionale ?

Longtemps, les Australiens se sont peu proccups de ce qui se passait hors de leur territoire. Dautant que celui-ci est suffisamment vaste. Canberra ne voulait pas non plus se faire accuser de nocolonialisme lencontre des plus petits pays du Pacifique sud.
Deux vnements ont chang la donne. Dabord lattentat contre une discothque Bali, le 12 octobre 2002, qui a fait 88 morts parmi des touristes australiens. Ce jour-l, nous avons perdu notre innocence. Nous avons ralis que notre sort tait li la situation politique en Asie, plus particulirement en Indonsie. Nous avons aussi ralis que nous tions un Etat capitaliste, libral, blanc, et que donc nous tions une cible. Il nous est devenu impossible dignorer notre voisinage , crit Paul Kelly, lditorialiste du Weekend Australian.
Second lment, linstabilit croissante des pays insulaires du Pacifique : Kiribati, Salomon, Samoa, Nauru Recevant pourtant une forte aide au dveloppement, ces territoires voient leur niveau de vie chuter depuis dix ans. Ils font face des violences inter-ethniques, voire des conflits larvs de plus en plus meurtriers. La corruption y bat des records. En 2003, les affrontements entre bandes rivales aux les Salomon taient tels que le pays tait au bord du chaos. Quant aux les Fidji, elles ont connu quatre coups dEtat en vingt ans, dont le dernier en dcembre 2006.
Rsultat : Canberra a envoy 2 200 soldats rtablir lordre aux Salomon, et cest dsormais un Australien qui dirige la police fidjienne tandis que plusieurs officiers servent comme conseillers dans larme. De mme, cest un contingent australien qui a t le premier parachut au Timor-Oriental lorsque le pays nouvellement indpendant a connu une reprise des troubles au printemps 2006. Autant dinterventions qui ont constitu un lectrochoc dans une rgion peu habitue voir lun de ses membres simmiscer dans les affaires de ses voisins. Dans la mentalit locale, pour tre ocanien il faut appartenir un peuple dont les racines plongent dans cette terre. Les Australiens, blancs et chrtiens, sont encore considrs comme des invits. Do la colre suscite par ces interventions , expliquait lhistorien Jean-Marc Regnault, dans Le Monde Diplomatique. Mais pour le Premier ministre John Howard, ces actions taient ncessaires : Notre objectif est dviter la dsintgration des petits pays ocaniens qui pourrait constituer une menace directe pour la scurit de la rgion, en en faisant des cibles idales pour des groupes criminels ou terroristes internationaux.
Une analyse conteste par Grant McCall, directeur des tudes sur le Pacifique luniversit de Sydney : La crainte de voir des terroristes sinstaller dans la rgion na aucun fondement. Ces interventions militaires trahissent une approche bushienne des problmes. John Howard a cd aux pressions de Washington dans la logique de laprs 11-septembre. Les arrire-penses conomiques ne sont pas absentes non plus. LAustralie se prend dsormais pour le gendarme du Pacifique sud. Des critiques que relativise Paul Kelly : Plutt que gendarme, je dirais grand frre . Aprs les premires protestations, les petits pays insulaires ont apprci quun pays riche et influent sintresse eux et cherche stabiliser la rgion. Les interventions militaires de lAustralie constituent certes un revirement de notre diplomatie. Mais elles restent exceptionnelles et saccompagnent dune aide conomique de 300 millions deuros. En outre, la Nouvelle-Zlande y a t associe afin de crer une dynamique rgionale qui nexistait pas jusqu prsent.

Quelles sont les relations entre lAustralie et les Etats-Unis ?

Sans conteste, George Bush et John Howard sapprcient. Ce sont deux conservateurs, chrtiens traditionnels, adeptes de la manire forte dans la rsolution dun certain nombre de problmes internationaux. Ils partagent les mmes valeurs et la mme vision du monde. Tous deux affichent la mme mfiance lencontre des Nations unies.
Cette proximit idologique a plusieurs fois conduit les deux pays des votes identiques lOnu. Ainsi comme Washington, Canberra refuse de signer le protocole de Kyoto alors que le pays contribue largement aux missions de gaz effet de serre, et quil est lun des plus exposs souffrir du rchauffement climatique. De mme, cest lune des rares capitales stre oppose la Dclaration de lOnu sur les droits des peuples autochtones, adopte par lAssemble gnrale le 13 septembre 2007. Le sort des aborignes premiers habitants de lAustralie, qui ne constituent plus que 1 % de la population et vivent souvent dans la misre continue de faire dbat dans le pays. Les deux capitales ont aussi renforc leur arsenal juridique contre limmigration. Enfin, Washington et Canberra viennent de conclure un accord de dfense qui donne lAustralie un plus vaste accs aux technologies militaires amricaines.

Quen est-il de la lutte contre le terrorisme ?

Cest en matire de scurit et de lutte contre le terrorisme que lAustralie et les Etats-Unis se rejoignent le plus. Canberra a toujours approuv encore plus que Londres lintervention amricaine en Irak, se souciant peu de laval de la communaut internationale ; 900 soldats australiens sont actuellement dploys dans lancienne Msopotamie, et comme le dclarait rcemment John Howard : Leur maintien sur le terrain ne dpend pas de considrations de politique intrieure ou dun quelconque calendrier lectoral, mais uniquement de la situation scuritaire en Irak. Pourtant, 70 % des Australiens sont hostiles cette prsence militaire Bagdad. Tous les pays revoient leur stratgie en Irak dans le sens dun dsengagement, sauf lAustralie , dplore le Parti travailliste. Pour sa part, Nick Economou, professeur de sciences politiques luniversit de Melbourne, rappelle dans Le Monde : De la guerre de Crime aux deux guerres du Golfe en passant par le conflit du Vietnam ou les deux guerres mondiales, lAustralie a particip tous les conflits majeurs du XX sicle. Dun ct, nous sommes des liens soucieux de notre tranquillit dans cette Ocanie loigne de tout. De lautre, nous avons toujours ressenti le besoin de nous adosser aux grandes puissances du moment.
Face la monte de lislamisme, le gouvernement australien copie la virgule prs la politique de George Bush. On la vu, ses interventions dans les pays insulaires du Pacifique sud obissent son propre souci de scurit, mais aussi au fait que, depuis les attentats du 11 septembre 2001, Washington analyse tout foyer dinstabilit politique comme un risque terroriste potentiel. Le Snat australien a renforc les lois anti-terrorisme, autorisant larrestation de tout suspect de terrorisme mme sans preuves et leur dtention sans inculpation pendant 15 jours. De mme, la police a dsormais le droit de tirer pour tuer sur ces suspects. Pour John North, prsident du barreau des avocats australiens : Cette capitulation face au terrorisme nest pas conforme lesprit de notre pays. Alors que nous navons jamais connu dattentats sur notre territoire, cette lgislation ouvre la voie un Etat policier. Dj, plusieurs associations de dfense des droits humains, mais aussi des pays voisins comme lIndonsie et la Malaisie accusent Canberra dtre le gendarme docile des Etats-Unis dans la rgion. Ce nest pas aussi simple, rplique luniversitaire Grant McCall, pourtant peu suspect de sympathie pour John Howard. Certes, notre diplomatie est aujourdhui proche de celle de Washington. Mais elle conserve son indpendance, notamment sagissant des relations avec la Chine, la Russie ou le Japon. Il ne faut pas ngliger le traumatisme quont constitu les attentats de Bali. Nous sommes devenus des cibles alors que nous nous imaginions gographiquement protgs. Lun des rares Talibans occidentaux, David Hicks, est australien. Enfin, il faut le reconnatre : au-del de limage des surfeurs cools, nous sommes une socit puritaine et conservatrice.

Jean Piel

retour