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23/10/2007 | |||
Questions internationales (1) La fiert retrouve de lArgentine | |||
(MFI) Le 28 octobre, les Argentins se rendront aux urnes pour lire leur prsident de la Rpublique. Avec 46 % des intentions de vote, la favorite est Cristina Kirchner, lpouse de lactuel dtenteur du poste. Ces lections se droulent alors que lArgentine a opr un spectaculaire redressement conomique, simposant dsormais comme la troisime puissance latino-amricaine. Le pays est aussi un modle de stabilit politique. | |||
Quels sont les principaux candidats en lice pour llection prsidentielle ? Au pays de la Pampa, clbre pour ses grands espaces vierges et la rputation machiste, llection prsidentielle se jouera entre deux femmes. Favorite des sondages, Cristina Kirchner est la reprsentante du Front de la Victoire, la formation proniste de centre-gauche. La cinquantaine lgante, snatrice de la province de Buenos Aires, Cristina Kirchner est aussi surtout, diront certains lpouse de lactuel chef de lEtat, Nestor Kirchner, et les Argentins se demandent en quoi sa politique sera diffrente de celle de son prsident de mari (voir portrait ci-aprs). La seule inconnue de la campagne lectorale semble tre de savoir si Cristina Kirchner sera lue ds le 28 octobre, ou si Elisa Carrio arrivera imposer un second tour. A 50 ans, cette chrtienne de gauche sest rendue populaire en dnonant plusieurs affaires de corruption mettant en cause le gouvernement. A la tte de la Coalition civique, son programme ne diffre pas fondamentalement de celui de sa principale adversaire : un libralisme conomique teint dun fort volet social, et une politique trangre quidistante entre les Etats-Unis et le populisme du prsident vnzulien Hugo Chavez. Je suis le seul membre de la classe moyenne capable de rallier les populations dfavorises , affirme celle quon surnomme Lilita. Selon une tude du cabinet Jorge Giaccobe & associados, un Argentin sur trois affirme cependant quil ne pourra jamais voter pour une femme. Ce chiffre est important, admet Jorge Giaccobe, mais ils taient 75 % partager cet avis il y a quinze ans. En une gnration, le pays a beaucoup volu. Parmi les autres candidats : Roberto Lavagna, lancien ministre de lEconomie, limog par Nestor Kirchner en novembre 2005 ; sa popularit croissante faisait de lombre au chef de lEtat. Roberto Lavagna est en effet lartisan du spectaculaire redressement de lconomie argentine, et il promet aujourdhui une croisade contre la pauvret et la fin du clientlisme de la famille Kirchner . Mais sil est connu Buenos Aires, o on lui attribue le soutien des hommes daffaires, Roberto Lavagna ne dispose daucun relais dans le reste du pays. Enfin, la droite sera reprsente par Mauricio Macri, confortablement lu maire de Buenos Aires en juin dernier. Cet homme daffaires, qui a fait fortune dans les travaux publics, est aussi le prsident des Boca Juniors, le club de football o jouait Diego Maradona. Il entend incarner une droite moderne, combative, dbarrasse de ses liens avec les dictatures passes, non infode la puissante Eglise catholique. Une sorte de Sarkozy argentin , commente Jos Natanson, lditorialiste du quotidien Pagina 12. Mais les Argentins doutent que cette droite nouvelle ait abandonn ses dmons du pass et ses opinions conservatrices sur les syndicats ou les minorits ethniques. Dans quel contexte conomique se droule cette lection ? Oublie la terrible crise conomique de 2001, lorsque lEtat avait d se dclarer en cessation de paiement et que les Argentins, par milliers, tapaient aux portes closes des banques pour rcuprer leur argent. Linflation avait alors atteint 200 %, le taux de chmage 60 % et le PIB chut de 11,9 %. Des milliers dentreprises avaient fait faillite, et la majorit de la classe moyenne autrefois pilier de lconomie nationale avait sombr dans la misre. Deux ans de cure daustrit montaire, de strict encadrement du crdit et daides cibles aux entreprises et aux indigents ont permis de relancer la machine. De lavis des conomistes, le redressement est spectaculaire. Depuis 2003, lArgentine flirte avec un taux de croissance annuel de 9 %. Dans les villes, les grues tmoignent de la reprise de la construction. De nouvelles boutiques sont inaugures chaque jour, et les carnets de commande des entreprises sont pleins. Nos industries tournent plein rgime , se flicite-t-on au ministre de lEconomie. Mais cest la campagne que le retour de la croissance est le plus visible. Soja, sorgho, mas, bl Les exportations agroalimentaires ont reprsent 20 milliards de dollars en 2006 soit le quart des exportations du pays et le secteur fait vivre le tiers de la population active. Finies les haciendas lancienne. Dans les plaines infinies de la Pampa, que seule semble pouvoir arrter la Cordillre des Andes, les agriculteurs ont cd la place aux agro-managers. Nous avons fait quatre rcoltes cette anne. Javais 700 hectares de terre en 1991 ; jen possde aujourdhui 180 000 rpartis dans diffrents pays de la rgion. Jexporte dans le monde entier. Notre agriculture est la plus comptitive de la plante , expliquait, dans lhebdomadaire Le Point, Manuel Santos Uribelarrea, lun de ces industriels de la terre. Les indicateurs sont l : le chmage est retomb 10,2 %, la consommation des mnages a progress de 50 % en 2007 et linflation est matrise. En janvier 2006, Buenos Aires sest mme offert le luxe de rembourser par anticipation ses 9,5 milliards de dollars de dette au FMI. Avec un PIB de 181,2 milliards de dollars, lArgentine est dsormais la troisime conomie latino-amricaine, aprs le Mexique et le Brsil. Tout va-t-il donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Ce serait videmment trop facile. Lconomie argentine bnficie actuellement des prix levs des produits agricoles. Mais les cours peuvent chuter, et les consquences seraient alors dramatiques. Surtout, le pays dont le nom vient du latin argentum qui signifie argent a peu investi dans les infrastructures (routes, ports, tlcommunications), do de graves goulets dtranglement qui pourraient freiner la croissance. Les coupures dlectricit sont frquentes ; le pays manque de ressources nergtiques. Lors du dernier hiver austral, la pnurie de gaz a oblig le gouvernement rationner les usines pour garantir la consommation des particuliers. Soucieuse de son indpendance politique, Buenos Aires se mfie des offres trop gnreuses en la matire du prsident vnzulien Hugo Chavez. Comme lexpliquait dans Le Monde lconomiste Enrique Alvarado : Mme si les rsultats sont encourageants, la reprise conomique reste fragile. Les investissements industriels et nergtiques sont insuffisants, et notre dpendance des facteurs exognes comme la Bourse agricole de Chicago, trop forte. En outre, linflation est la plus leve de la rgion. Le prsident Nestor Kirchner ladmet : LArgentine nest pas encore sortie de lenfer. Les ingalits sociales constituent un autre dfi que tous les candidats la Casa Rosada le sige de la prsidence de la Rpublique ont promis de rsoudre. Certes, le chmage a fortement baiss. Nanmoins, 10 des 38 millions dArgentins vivent sous le seuil de pauvret, et trois millions seraient indigents. La fracture sociale est loin dtre rsorbe : les 10 % dArgentins les plus riches gagnent 35 fois plus que les 10 % les plus pauvres. Or de la prosprit conomique dpend la stabilit politique. Lors de la crise financire de dcembre 2001, quatre prsidents staient succd en dix jours. Dans un pays qui a vcu sous la botte des militaires de 1976 1983, la dmocratie reste un dfi de chaque instant. Nanmoins, le pays constitue dsormais un modle de stabilit en Amrique latine. Personne nimagine un retour au pass. Personne ne regrette le temps des militaires. Les lois qui graciaient les ex-dictateurs ont t abroges en avril 2007. Mais la puissante Eglise catholique, autrefois proche des gnraux, na pas fait son mea culpa, et le clientlisme reste la rgle en politique , souligne la sociologue Beatriz Sarlo. Quen est-il de la politique trangre de lArgentine ? Pendant quatre ans, lArgentine sest coupe du reste du monde. La crise conomique que nous avons traverse, lobligation de nous dclarer en cessation de paiement faisaient de nous un pays trop vulnrable et gure crdible pour aller vers les autres. Nestor Kirchner na mme pas particip au Sommet des Amriques, Cuzco en dcembre 2004. Dsormais tout change. Nous sommes redevenus un partenaire frquentable et pouvons afficher nos ambitions rgionales , analyse Julio Burdman, le directeur des tudes de relations internationales luniversit de Belgrano (Buenos Aires). Ce changement sincarne dj dans le discours trs sud-amricaniste de Nestor Kirchner. Lactuel chef de lEtat entend donner la priorit lintgration rgionale dans le cadre du Mercosur, le March commun du cne sud, dont Buenos Aires est membre avec le Brsil, lUruguay, le Paraguay et, depuis juillet 2006, le Venezuela. Cest dailleurs lArgentine qui a plaid la cause de Caracas lors de sa candidature au Mercosur. Non pas pour des raisons idologiques Nestor Kirchner ne partage en rien les discours enflamms contre les Etats-Unis dHugo Chavez , mais par pragmatisme : Buenos Aires a besoin des ressources nergtiques du Venezuela, et surtout cette alliance permet de contrebalancer le rle de leader rgional du Brsil, rle que lArgentine rve de conqurir. Llection prsidentielle du 28 octobre ne devrait pas bouleverser la politique trangre de lArgentine. Les relations resteront chaleureuses avec lUnion europenne, particulirement avec lEspagne et la France avec lesquelles Buenos Aires entretient des rapports anciens. Elles resteront courtoises, sans plus, avec les Etats-Unis, les Argentins noubliant pas que Washington na jamais condamn la dictature militaire passe et rve toujours de contrler la partie sud du continent. Quant lintgration rgionale de lAmrique latine, elle restera la priorit. Tous les candidats Cristina Kirchner y compris ont avou demi-mot leur prfrence pour le style du prsident brsilien, Lula, celui dHugo Chavez. Mais comme le souligne en riant Julio Burdman : LArgentine est le pays du tango. Nous sommes habitus excuter des pas de deux. | |||
Jean Piel | |||
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