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31/10/2007
Jrusalem, au coeur du conflit isralo-arabe

(MFI) Une confrence sur la situation au Proche-Orient devrait se tenir Annapolis (Etats-Unis) en novembre. Personne ne croit cependant quelle permettra de rsoudre rapidement le conflit isralo-arabe. Chacun mme Isral se dit favorable la cration dun Etat palestinien ; reste en dfinir les conditions. Parmi les sujets de friction, le statut de Jrusalem, revendique comme capital par les Israliens comme par les Palestiniens. Berceau des trois religions monothistes, la ville est de plus en plus annexe par lEtat hbreu. Sans gure de ractions de la part de la communaut internationale.


Quelles sont les revendications sur Jrusalem des parties en prsence ?


Capitale ternelle et indivisible pour les Israliens, capitale naturelle et lgitime pour les Palestiniens : Jrusalem est revendique par les deux principaux acteurs du conflit isralo-arabe. Il sagit, avec le retour des rfugis et du trac des frontires, dun des trois grands diffrents entre lEtat hbreu et son adversaire palestinien. La ville trois fois sainte rsume elle seule tous les enjeux du conflit rgional. Nombre de rfugis palestiniens sont en effet originaires de Jrusalem. Quant au trac des frontires, la construction de la barrire de scurit et la politique de colonisation isralienne Jrusalem-Est rendent le sujet encore plus pineux.
Lors de la cration dIsral et des combats contre la Lgion arabe qui ont suivis en 1948, celle quon surnomme la Perle de lOrient sest retrouve divise en une partie occidentale sous contrle isralien et une partie orientale alors dirige par la Jordanie. La Vieille ville et les Lieux saints se trouvent dans cette moiti orientale, et toutes les synagogues vont alors y tre saccages. En 1967, la guerre des Six jours permet Isral de reprendre le contrle de tout Jrusalem. Les Juifs peuvent de nouveau aller prier au Mur des Lamentations. Par contre, laccs des chrtiens au Saint-Spulcre et des musulmans lEsplanade des Mosques sans tre interdits devient difficile, au gr des vnements et de la volont des autorits israliennes.
En 1980, la Knesset le Parlement isralien fait de Jrusalem la capitale ternelle et indivisible de lEtat hbreu. Le Conseil de scurit des Nations unies dclare immdiatement cette loi nulle et non avenue, constituant une violation du droit internationale. LOnu nadmet pas lannexion de Jrusalem par Isral. Ct palestinien, si la direction de lOLP se trouve Ramallah, lorganisation avait son sige officieux la Maison de lOrient, en plein Jrusalem-Est, jusqu ce que les autorits israliennes la contraignent la fermeture en 2001. Porte dentre vers la Cisjordanie, Jrusalem est considre comme la capitale naturelle et lgitime du futur Etat palestinien. Pour les hritiers de Yasser Arafat, toute autre solution serait une dfaite. Mais pour les Israliens, abandonner Jrusalem serait une hrsie au plan religieux. Aujourdhui donc, la ligne verte spare Jrusalem-Ouest dont lappartenance Isral est peu conteste de Jrusalem-Est, considre, linstar de la Cisjordanie, comme un territoire occup.
La ville, situe 745 mtres daltitude sur le mont Sion, abrite aussi une forte minorit chrtienne (catholique et orthodoxe, essentiellement arabe). Une minorit qui nmet aucune revendication sur la cit, mais dfend linternationalisation de Jrusalem et des Lieux saints. Cest la solution que prconisait lOnu en 1947, la fin du mandat britannique sur la Palestine.


Quelle est aujourdhui la politique isralienne lgard de Jrusalem-Est ?

Faire de Jrusalem-Est une agglomration juive, au mpris du droit international et de lhistoire de la ville berceau des trois religions monothistes : cest lobjectif des autorits israliennes. Certes, lEtat hbreu na jamais ordonn lexpulsion des Arabes ; sa politique de reconqute passe par dautres moyens.
Dabord la construction de nouveaux quartiers rservs aux seuls Juifs. Cest le cas de Givat Zeev, Goush Etzion ou Maale Adoumim. Inaugure ds 1967, cette politique a t renforce en 1998 par le Premier ministre dalors, Benjamin Netanyahou, et son plan de Grand Jrusalem , et na jamais t abandonne depuis ; 20 000 logements ont t construits rien quen 2007, malgr les condamnations rptes de la communaut internationale.
A cette politique de colonisation sajoute une srie de discriminations lencontre des quartiers arabes : destructions dimmeubles dclars illgaux, distribution au compte-gouttes des permis de construire, entraves la libert de circulation, faibles investissements dans les infrastructures (voirie, coles, lectricit). Comme le racontait dans Le Monde Ahmed Dari, un habitant du quartier dIssawiya : Un huissier est venu un matin 8 h 15, accompagn de vingt policiers. Dans la rue ronronnaient deux bulldozers. Il ma donn une heure pour quitter les lieux ; 9 h 15 exactement, la destruction de ma maison commenait. Deux heures plus tard, ce ntait plus quun amas de gravats. Jen ai pleur de rage et de dsespoir. Certes, ma maison tait illgale, mais toutes mes demandes de permis de construire avaient t rejetes sans justification. Tout est fait pour dcourager les Palestiniens de vivre ici ; les loyers sont inabordables, les contrles policiers permanents, les vexations quotidiennes Mais si je quitte Jrusalem-Est pour la Cisjordanie, je perds mon emploi et mes enfants leur cole. Pourquoi devrais-je quitter une ville dont toute ma famille est originaire ? On interdit aux Arabes de construire, mais on permet aux Juifs de coloniser.
Depuis que lultra-orthodoxe Uri Lupolianski a t lu maire en 2003, les destructions ont tripl ; les autorits municipales ont le choix : 40 % des immeubles des quartiers arabes sont illgaux. Les habitants juifs de Jrusalem reoivent en moyenne 1190 euros de subventions municipales par an, contre 260 pour les Palestiniens. Cest injuste et cest dangereux car cest sur ce terreau que les institutions caritatives du Hamas progressent. Tout est fait pour dtruire la vie sociale, culturelle et conomique des Palestiniens dans une ville qui, de par son histoire, devrait tre un symbole de pluralisme et douverture, pas de rejet et denfermement , regrette Dany Seideman, le fondateur de lassociation Ir Amim (la ville des peuples, en hbreu), qui milite pour une meilleure entente entre Juifs et Arabes dans la ville sainte. Jrusalem-Est symbolise limpunit dont bnficie Isral , protestait dans Le Monde Zyad Abou Zyad, un ancien ministre palestinien.
A lautre extrmit de lchiquier politique, les militants de Ateret Cohanim la Couronne des princes encouragent linstallation de Juifs Jrusalem-Est. En dfendant la construction de nouveaux quartiers auprs des autorits municipales et en rachetant leur maison aux familles arabes endettes ; parfois grce de faux certificats de vente rdigs par des collaborateurs palestiniens. Daniel Luria, le prsident de Ateret Cohanim, lavoue sans dtour : Notre objectif est dimposer le fait accompli sur le terrain. Quand il ny aura plus dArabes Jrusalem, les Palestiniens ne pourront plus la revendiquer comme capitale. Nous avons plus de droits que les Arabes sur cette terre, et si nous avions plus dargent, nous changerions lquilibre dmographique de la ville en un clin dil . Rponse de Zyad Abou Zyad : Une telle attitude sapparente de la purification ethnique.


Quen est il de la construction de la barrire de scurit Jrusalem ?

Cest un autre moyen pour Isral de transformer lquilibre gographique et ethnique de Jrusalem-Est. Succession de murs, de tranches et de portiques lectriques, ce que les autorits israliennes prsentent comme une protection contre le terrorisme longe les quartiers dAbu Dis, Azarieh, Goush Etzion, et pntre jusqu 10 km en Cisjordanie, annexant de facto autant de terres. Les quartiers juifs et arabes sont hermtiquement spars. Mais alors que les quartiers juifs bnficient de larges routes et dune continuit territoriale, les quartiers arabes sont une succession denclaves disjointes, mal entretenues, dont il est difficile dentrer et sortir, sans voies de communication entre elles. Les tmoignages en ce sens sont nombreux. Avant, je me rendais la facult dAl-Qods en dix minutes pied. Dsormais, il me faut deux heures en voiture, en esprant ne pas tre bloqu par larme isralienne un check-point. Comment tudier dans ces conditions ? Comment avoir une vie sociale normale ? , expliquait, dans Le Monde Diplomatique, un rsident de Ramallah. Nous sommes parqus tels des animaux. Je ne peux plus aller voir mes frres qui habitent de lautre ct du mur. Nous sommes dsormais obligs de vivre deux familles dans un appartement de 50 m. Cest a ou dmnager vers un village de Cisjordanie. Dans ces conditions, il est impossible de suivre des tudes, de dvelopper un commerce, doffrir des loisirs aux enfants , ajoutait Rania, une mre de famille, installe Azzariyy.
Cest une politique dapartheid qui ne dit pas son nom. On cherche priver les Palestiniens des terres agricoles, les diviser, empcher tout contact avec les populations juives. Nous assistons actuellement aux plus grands efforts dIsral pour annexer Jrusalem-Est depuis 1967 , reconnat Menahem Klein, un diplomate isralien. Les chiffres lui donnent raison : 110 hectares de terres palestiniennes ont t confisqus pour construire les routes qui contournent la seule colonie de Maale Adoumim. En 1967, Jrusalem-Est faisait 38 km ; elle en fait aujourdhui 108 km, et sa population est passe de 263.000 706.000 habitants. Si les autorits israliennes justifient la construction du mur par des impratifs de scurit, les Palestiniens voquent, eux, le mur de la sgrgation raciale , jidar al-fasl al-unsuri en arabe. Pour la majorit des observateurs, sa construction obit plus des objectifs politiques que scuritaires. En effet, il spare autant les Juifs des Arabes quil ne divise les Palestiniens entre-eux. Comment expliquer que des villages palestiniens se retrouvent du ct isralien de la barrire si son but est dempcher les Palestiniens de pntrer dans lEtat hbreu ? Lide premire de ce mur est de rtrcir les frontires dun futur Etat palestinien, dempcher que le-dit Etat bnficie dune continuit territoriale et que Jrusalem soit sa capitale. Il vise toujours repousser plus loin en Cisjordanie les Arabes de Jrusalem-Est. Ce mur va donc contre le droit et tous les objectifs de paix affichs par la communaut internationale , souligne Elias Sanbar, le trs modr ambassadeur palestinien auprs de lUnesco.


Quest-ce qui pourrait freiner les ambitions israliennes sur Jrusalem-Est ?

Dmographie : cest le mot qui inquite les autorits israliennes concernant Jrusalem. Malgr la construction du mur, la colonisation, les destructions de logements et les vexations en tout genre, le pourcentage dArabes dans la ville sainte ne fait que progresser. Comme lexplique Khalil Toufakji, directeur de la Socit des tudes arabes : Imposer une majorit juive a toujours t la priorit des Israliens. Pour eux, le bon rapport est 80/20. Cest ce quil tait en 1967 lorsque les forces israliennes ont repris le contrle de la ville. Or aujourdhui, on compte 65 % de Juifs et 35 % dArabes. Ces derniers pourraient mme devenir majoritaires en 2030 .
Depuis 1967 en effet, la population juive a progress de 140 %, passant de 200 000 460 000 personnes. Mais dans le mme temps, les Arabes ont vu leur nombre augmenter de 257 %, de 68 000 246 000 ressortissants. Certains prdisent dj que le prochain maire de Jrusalem sera arabe.
Cette volution dmographique sexplique par le diffrentiel de natalit, mais aussi par le dpart chaque anne denviron 6000 Juifs, chasss par la crise du logement, les faibles perspectives demploi et le climat dintolrance cr par les colons ultra-conservateurs. Jrusalem napparat pas comme une ville porteuse davenir, dynamique conomiquement. Cest une ville politique, rsum du conflit isralo-arabe, donc dcourageante pour beaucoup , analyse Menahem Klein.
Cette volution dmographique incite certains dirigeants israliens prner un abandon de souverainet sur les quartiers arabes au profit de lAutorit palestinienne. Cela apparatrait en outre comme une concession politique. Le 8 octobre dernier, le vice-Premier ministre isralien, Ham Ramon, a ainsi dclar quil fallait se tenir prt des discussions sur le statut de Jrusalem. Une dclaration qui a soulev un torrent de protestations dans lEtat hbreu.


Quen est-il des pressions internationales sur Isral ?

Peu frquentes, ces pressions ne sont en outre gure efficaces. En novembre 2005, un rapport de lUnion europenne a dnonc une annexion de Jrusalem par Isral qui met en pril tout rglement ngoci du futur statut de la ville . Les auteurs regrettaient notamment la politique de colonisation, la construction de la barrire de scurit, le non-respect des lois internationales. Pourtant, la viabilit dun Etat palestinien dpend en grande partie de la prservation des liens entre Jrusalem et la Cisjordanie . Le rapport a t prudemment remis au placard. Quant aux Etats-Unis, ils ont rarement condamn leur alli isralien au-del des mots. Une loi vote par le Congrs en 1995 reconnat mme Jrusalem comme la capitale de lEtat dIsral . Lambassade amricaine est cependant toujours Tel Aviv.
Comme le regrettait, dans Le Monde, Ismal Mohammed, un commerant de la vieille ville : Les Israliens veulent que Jrusalem soit unifie et seulement peuple de Juifs. Mais cette ville nappartient ni aux Israliens ni aux Palestiniens. Elle appartient aux trois religions monothistes. Celui qui refuse cette vidence pousse les peuples la guerre.


Jean Piel

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