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07/11/2007 | |||
Questions internationales (2) Bruits de bottes autour de lIran | |||
Bruits de bottes autour de lIran (MFI) Les Etats-Unis nexcluent pas une opration militaire pour empcher lIran de se doter de larme atomique. Les dirigeants iraniens ne font rien pour apaiser la tension. Les diplomates veulent croire que des ngociations sont encore possibles. Si elle avait lieu, une telle guerre aggraverait linstabilit au Moyen-Orient et menacerait lapprovisionnement nergtique des pays occidentaux. | |||
Au gr des semaines, les ditoriaux et les dclarations enflammes des leaders politiques prdisent alternativement une guerre imminente contre lIran ou une guerre improbable. Seule certitude : le tabou est tomb ; les Etats-Unis nexcluent pas dattaquer la Rpublique islamique. De son ct, la France admettait le 16 septembre, par la voix de son ministre des Affaires trangres, Bernard Kouchner, que Le monde doit se prparer au pire, cest--dire la possibilit dune guerre avec lIran . Le Quai dOrsay prenait bien soin de prciser le lendemain qu Aucun signe ne nous permet de penser quun bombardement amricain de lIran soit proche. Nous nen sommes pas l, mais il est normal de faire des plans . Noconservateurs contre partisans de la diplomatie Cest au printemps 2006 que loption militaire a ouvertement t voque par Washington. Le vice-prsident, Dick Cheney, avait en effet dclar le 7 mars : Nous ne permettrons jamais lIran de possder larme nuclaire, car un Iran nuclaire est un danger pour la paix mondiale. De notre ct, toutes les options sont sur la table . La mme semaine, le journaliste du New Yorker, Seymour Hersh dj auteur des rvlations sur la prison dAbu Ghraib , dvoilait le plan de bombardement du Pentagone contre Thran. Un plan qui prvoyait lusage darmes nuclaires tactiques. Ltat-major refusait alors de confirmer ou dinfirmer linformation. En ralit, ladministration amricaine est divise sur le sujet. Runis autour de Dick Cheney, les noconservateurs sont partisans dune solution militaire brve chance. Ils ne croient pas que la diplomatie suffira pour que Thran renonce son programme nuclaire. Cela dautant que lopposition de la Chine et de la Russie rend difficile et illusoire ladoption de sanctions contre la Rpublique islamique. Certains observateurs prtent George Bush la volont de terminer son mandat sur un tel coup dclat . Le prsident amricain a dclar le 18 octobre dernier : Si les dirigeants du monde sont intresss empcher une troisime guerre mondiale, ils feraient bien de nous aider prvenir lacquisition par lIran dune capacit nuclaire militaire. Nous ne resterons pas sans rien faire devant une telle menace . Face aux noconservateurs, la secrtaire dEtat, Condoleezza Rice, dfend la diplomatie et la ngociation. Mais une diplomatie assortie de sanctions conomiques, comme moyen de pression. Ainsi les mesures financires adoptes contre les Pasdarans (voir larticle prcdent, Iran : les Pasdarans au cur de la crise avec lOccident), le 25 octobre dernier, sont luvre de Condoleezza Rice. Une faon de couper lherbe sous le pied aux partisans de la manire forte. Juste aprs ladoption de ces mesures, le porte-parole de la secrtaire dEtat a dailleurs dclar : La perspective de lusage de la force recule ainsi . Cette volont de ngocier nempche pas un discours trs ferme de Condoleezza Rice. La politique iranienne constitue le plus grand dfi pour les intrts amricains au Moyen-Orient, et pour la scurit du monde. La combinaison du terrorisme iranien, de la rpression politique intrieure et de la volont dacqurir des technologies nuclaires militaires est trs dangereuse , soulignait-t-elle fin octobre devant la Chambre des reprsentants. Cette opposition entre les noconservateurs, autour de Dick Cheney, et de la chef de file de la diplomatie amricaine nest pas sans rappeler les dbats qui ont prcd le dclenchement de la guerre en Irak. Thran multiplie les provocations Ct iranien, lunanimit nest pas non plus la rgle. Comme le soulignait, dans Le Monde Diplomatique, Mohammed Adrianfar, un proche de lex-prsident Hachmi Rafsandjani : Lambiance Thran est plus la ngociation qu la volont den dcoudre avec les Etats-Unis. Les Iraniens veulent la stabilit, le calme, la prosprit. Le slogan Mort lAmrique ne passe plus, et les dirigeants le savent. Il est paradoxal de constater que deux gouvernements ennemis ont tant dintrts communs en Irak et en Afghanistan . Mme si le jusquau-boutisme idologique du prsident Mahmoud Ahmadinejad est loin de sduire tous les Iraniens, ces derniers, dans leur majorit, souhaitent que leur pays dispose de la technologie nuclaire (pas ncessairement de la bombe) ; ils en font une question dhonneur national. Cela aussi, les dirigeants iraniens le savent. Les dclarations tonitruantes de Mahmoud Ahmadinejad sur la destruction dIsral comme sur les ambitions nuclaires de son pays ne contribuent pas apaiser la tension. Pas plus que le test du missile balistique Shahab-3, en novembre 2006, un engin capable de frapper Isral. Le limogeage, le mois dernier, dAli Larijani, le principal ngociateur sur le dossier nuclaire, est interprt comme une volont de raidissement de Thran. Personne ne croit dailleurs que les ambitions nuclaires de lIran soient uniquement des fins civiles, comme laffirme Mahmoud Ahmadinejad. Pour la majorit des observateurs, lobjectif ultime est militaire. Le remplacement de Yahia Rahim Safavi par le gnral Mohammed Ali Aziz Jafari la tte des Pasdarans, dbut septembre, est aussi interprt comme un signe que le rgime iranien se prpare la guerre. Mohammed Ali Aziz Jafari est en effet un militaire expriment, un homme de terrain plus quun politique. Le 1er novembre, il a menac les Etats-Unis lors dun discours tlvis : Lennemi doit savoir que, sil attaque, il senlisera dans un bourbier plus profond que lIrak et lAfghanistan, dont il ne sortira que dfait . Une menace qui trahit peut-tre aussi une inquitude. Tout se passe comme si, en multipliant les dclarations provocantes, en exhibant ses missiles, Thran voulait susciter des frappes militaires prventives des Etats-Unis , commente un diplomate europen. Pas de menace immdiate, selon lAIEA Pour sa part, Mohammed El-Baradei, le patron de lAgence internationale de lnergie atomique (AIEA), sefforce de rester optimiste. Dans une interview au quotidien Le Monde, il dclarait : On ne parle de lusage de la force que lorsque tous les moyens de la diplomatie sont puiss. Or, nous avons encore beaucoup de temps pour utiliser tous les outils de la diplomatie, y compris les sanctions et les carottes . En outre, supposer que lIran ait vraiment lintention de se doter de la bombe atomique, il lui faudra encore entre trois et huit ans pour y parvenir . Et le prix Nobel de la paix 2005 dajouter : Je veux dtourner les gens de lide que lIran sera une menace ds demain. Nous ne nous trouvons pas maintenant devant la question de savoir sil faut bombarder Thran ou le laisser avoir la bombe. LIrak est un exemple criant du fait que, dans de nombreux cas, lusage de la force exacerbe le problme au lieu de le rsoudre. Que personne ne recommence la mme erreur avec lIran . Une analyse partage par Bruno Tertrais, de la Fondation pour la recherche stratgique : Certes les Etats-Unis ont dit que loption militaire tait ouverte ; ils ont prpar des plans de bombardement. Cela ne signifie pas que des oprations militaires soient pour bientt. Je pense que les va-t-en-guerre, regroups autour de Dick Cheney, restent une minorit. Pour le moment, la priorit est donne lapproche diplomatique. Une intervention arme ne pourra avoir ventuellement lieu que lorsque lenrichissement de luranium aura atteint un seuil de danger imminent . Reste que novembre sera un mois crucial pour le dossier nuclaire iranien. LAIEA doit remettre lOnu son rapport sur la volont ou non de Thran de jouer la transparence sur son programme atomique. De ce rapport dpendra pour partie ladoption de nouvelles sanctions contre la Rpublique islamique par les Nations unies. Pour le moment, aucun progrs na t enregistr. Mahmoud Ahmadinejad a rpt que LIran ne ngociera jamais son droit lgitime la technologie nuclaire. Il est exclu den discuter avec lOnu ou avec les Etats-Unis . Un risque de dstabilisation de tout le Moyen-Orient Au-del du dbat sur le risque de guerre, une simple question se pose : un tel conflit est-il matriellement possible ? Les Etats-Unis ont dj des troupes en Irak et en Afghanistan. Ils peinent recruter des soldats ; il leur serait difficile douvrir un nouveau front, a fortiori un an de llection prsidentielle. Dans la revue spcialise Janes Defence Weekly, des experts excluaient lhypothse dune invasion terrestre (comme en Irak), mais pariaient plutt pour des bombardements cibls sur les sites atomiques et les installations militaires, voire sur les centres du pouvoir politique afin dbranler le rgime des mollahs. Dans une telle hypothse, les Etats-Unis et dventuels allis ont parfaitement les moyens de remplir la mission. Encore faut-il quelle soit dune quelconque efficacit. Face une telle attaque, larme iranienne naurait gure les moyens de rpliquer, mme si elle possde de nombreux missiles et quelle est considre comme bien entrane. Ses moyens restent trs infrieurs ceux de lUS Army. LIran fait le pari que les Etats-Unis noseront pas dclencher une guerre qui aurait de terribles rpercussions sur lapprovisionnement nergtique des pays occidentaux et sur la stabilit au Proche-Orient (recrudescence des attentats, attaques contre Isral, nouvelles violences du Hezbollah libanais et du Hamas palestinien). Saddam Hussein aussi croyait que jamais les Etats-Unis noseraient lattaquer , rappelle le politologue iranien Sad Leylaz. | |||
Jean Piel | |||
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