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13/11/2007
Questions internationales (1)
Le lent réveil de la Mongolie


(MFI) Indépendante depuis 1992 après soixante-dix ans de tutelle soviétique, la Mongolie est un exemple rare de démocratie dans cette partie du monde. Mais le pays est pauvre, et la transition rapide vers l’économie de marché a favorisé la corruption et creusé les inégalités. Terre de montagnes et de steppes, sa chance pourrait venir de ses richesses minières. Mais les convoitises que celles-ci suscitent risquent aussi de déstabiliser une société restée très traditionnelle.

Comment a évolué la vie politique en Mongolie ?

Quasiment inconnus du reste du monde, les 2,6 millions de Mongols peuvent être fiers d’être les ressortissants du premier pays asiatique à avoir réussi sa transition du communisme à la démocratie. C’était en 1992. Après soixante-dix ans de tutelle soviétique, Oulan-Bator accédait à l’indépendance. Quinze ans plus tard, l’expérience démocratique fonctionne encore, à la différence de ce que connaissent les républiques d’Asie centrale comme le Turkménistan ou le Kazakhstan.
La Mongolie – à ne pas confondre avec la Mongolie intérieure qui est une province chinoise – est dirigée par Nambaryn Enkhbayar, issu du Parti populaire révolutionnaire mongol (PPRM), constitué d’anciens communistes. En quinze ans d’indépendance, les Mongols ont su jouer la carte de l’alternance. Le Parti démocrate a tenu les rênes du pouvoir pendant six ans, avant de les céder au PPRM qui a dû lui-même s’incliner face à une coalition composée des trois formations d’opposition, avant de renouer avec les affaires en janvier 2007. Selon les observateurs, les élections ont été à chaque fois honnêtes même si le clientélisme et la corruption sont inévitables dans une jeune démocratie qui a connu une si longue tutelle étrangère. Comme le confiait au quotidien Le Monde le maire de la ville de Norovdin : « La démocratie, c’est mieux. Nos administrés n’hésitent plus à nous interpeller sur tous les sujets ; nous devons être plus efficaces dans la gestion municipale. Mais lorsque l’électricité vient à manquer plusieurs jours de suite, que les prix augmentent, que les retraites baissent, alors toute la ville va manifester devant le Grand Khoural, le Parlement à Oulan-Bator ».

Cette démocratisation a-t-elle transformé la société ?

La société mongole évolue, mais lentement. Oulan-Bator abrite le tiers de la population du pays. L’exode rural se poursuit depuis cinq ans, en particulier depuis que des dzuüd – phénomène climatique marqué par un hiver très rude suivi d’une sécheresse en été – ont décimé 30 % du cheptel au début des années 2000. A proximité des tristes immeubles de style soviétique et des larges avenues rectilignes, apparaissent des nouveaux quartiers plantés de yourtes, ces grandes tentes blanches traditionnelles. Ni eau courante ni électricité et peu de charbon pour affronter les moins 40° de l’hiver. Le soir, on boit beaucoup de vodka et de lait de jument fermenté pour oublier le chômage et les difficultés de la vie. Peu d’entreprises. Ni boutiques de luxe ni fast-food à Oulan-Bator, mais des avenues sombres. Et quelque cinq mille enfants des rues, dont beaucoup vivent dans les égouts…
« Il ne faut pas s’arrêter à cette vision, nuance le Dr Mika Bayrsuren qui travaille dans un dispensaire de la capitale. La Mongolie goûte aussi un air d’optimisme. L’économie va mieux, le pays est une démocratie, le multipartisme une réalité, les associations sont nombreuses, l’information circule, les jeunes croient en leur avenir. Aux dirigeants de leur offrir des projets pour qu’ils ne fassent pas le choix de l’exil ». Il pourrait ajouter que le pays retrouve sa fierté comme le prouve le renouveau du culte du grand conquérant Gengis Khan (voir article ci-après).
Surtout, Oulan-Bator n’est pas représentatif d’une Mongolie restée rurale et traditionnelle. La majorité de la population de ce pays trois fois grand comme la France vit dans les immenses steppes arides balayées par le vent, aux paysages lunaires d’une renversante beauté. Au nord et à l’ouest, des montagnes ; au sud, le désert de Gobi. Les Mongols sont toujours pour 40 % d’entre eux des éleveurs nomades. Ils se déplacent à cheval à la tête de leurs troupeaux de moutons, de yacks ou de chameaux. La plupart n’a pas l’intention d’abandonner ce mode de vie. Les femmes portent toujours des dels, de longues robes multicolores. Elles ne cuisinent que le khuushuur, un beignet de viande de mouton qui constitue le plat national. Une partie de la jeunesse aspire cependant à plus de confort et de modernité.


Comment la Mongolie se situe-t-elle sur la scène internationale ?


Enclavée entre la Russie et la Chine, sans débouché maritime, la Mongolie doit jouer une partition subtile pour conserver son indépendance. Le remboursement en 2004 de l’intégralité de sa dette à l’égard de Moscou (9,3 milliards d’euros) y a contribué. Avec la Chine, le jeu est plus difficile tant l’Empire du Milieu est présent dans l’économie mongole. Sur les marchés, les téléviseurs en noir et blanc, les vidéos, la petite électronique (radio, montre, lampe…), mais aussi les jouets et les médicaments, sont estampillés Made in China. Sur les routes, les rares voitures et tracteurs viennent aussi du puissant voisin. « Nous sommes trop dépendants des importations chinoises. Mais nos usines fabriquent peu de chose, et les produits chinois sont bon marché. Que Pékin ferme sa frontière, et notre économie s’effondre », regrette Otur Magnaï, le président d’une association citoyenne, cité par Le Monde. Cela n’empêche pas les dirigeants mongols de défier parfois Pékin. Ainsi depuis 2002, le Dalaï-Lama a été reçu à deux reprises dans ce pays bouddhiste à 80 %. A chaque fois, la Chine a interrompu ses liaisons ferroviaires pendant cinq jours, avant de les reprendre. « La Mongolie a toujours su jouer des rivalités entre Moscou et Pékin pour défendre ses intérêts. Le pays est convoité par ses deux voisins, mais il n’a jamais abdiqué son identité », explique l’historien Bar-Erdeniin Baabar.
Aujourd’hui, la Mongolie cherche impérativement à diversifier ses soutiens auprès de nouveaux partenaires. Elle se tourne notamment vers le Japon, premier contributeur à l’aide au développement, et vers la Corée du Sud où travaillent – illégalement – 35 000 Mongols qui envoient leur salaire à leur famille restée au pays. Mais Oulan-Bator regarde aussi vers l’Union européenne et les Etats-Unis, qualifiés par le président Nambaryn Enkhbayar de « troisième voisin de la Mongolie ». Le pays a même envoyé cent-quarante soldats en Irak, qui y sont toujours. En échange, Washington lui a offert 17 millions d’euros pour moderniser son armée, et George Bush s’est rendu en visite officielle à Oulan-Bator en novembre 2005. Une première pour un président américain. Aux confins de l’Asie centrale, de la Chine et de la Russie, ce pays démocratique ne peut que séduire les Etats-Unis, tant pour des raisons stratégiques que pour la richesse de son sous-sol.
Mais l’attraction est réciproque ; de nombreux jeunes espèrent émigrer aux Etats-Unis, d’autant que les visas sont faciles à obtenir actuellement. « Que Washington ne se leurre pas. Il n’établira pas de bases militaires ici comme il l’a fait en Asie centrale. Non seulement parce que les Mongols sont trop jaloux de leur indépendance, mais aussi parce que jamais la Chine ne l’admettra », estime Otur Magnaï. Reste que la Mongolie a su s’affranchir – même partiellement – de la tutelle de ses deux puissants voisins.

Quel est son potentiel économique ?

Un pays pauvre dont le sous-sol recèle de richesses : c’est globalement la situation de la Mongolie. Le PIB/tête atteint à peine 500 dollars. Les infrastructures (routes, téléphone, électricité…) sont dans un état déplorable, et le tissu industriel obsolète. Le chômage et l’inflation battent des records. La concurrence chinoise a ruiné la filière textile, et la transition vers l’économie de marché a favorisé la corruption et creusé les inégalités sociales. En outre, on l’a vu, un tiers du cheptel a été décimé entre 1999 et 2002 par des dzuüd.
Le pays n’est plus autosuffisant au plan alimentaire. « Sans l’aide internationale, la Mongolie ne survivrait pas. Les prêts représentent 30 % du PIB ; nous sommes l’un des pays les plus assistés au monde », soupire Kh. Naranjargal, la présidente d’une Ong de défense des droits de l’homme (1). Certains veulent néanmoins « positiver ». « Dans les villes, les coupures d’électricité sont moins fréquentes qu’avant. La circulation automobile augmente, les magasins sont mieux approvisionnés. On croise de plus en plus d’entrepreneurs étrangers, surtout chinois, coréens ou russes, mais aussi européens et américains. Les choses sont en train de bouger », veut croire le Dr Mika Bayrsuren. Une impression partagée par les autorités. « Certes, le combat contre la pauvreté est loin d’être gagné. Mais notre taux de croissance dépasse 6 %. Notre objectif est de quintupler le PIB/tête d’ici dix ans. On compte déjà 34 000 entreprises privées. Les Mongols sont des battants, et le potentiel économique du pays est immense », s’enthousiasmait pour sa part dans Le Monde Khasbazaryn Bekhbat, le secrétaire d’Etat aux affaires étrangères.
Il est vrai que ses nombreux troupeaux font de la Mongolie un exportateur de produits d’origine animale : viande, laine, cuir… Ses richesses minières suscitent la convoitise. Les montagnes cachent du cuivre, du tungstène, des pierres précieuses, de l’or, du charbon. Le pays de Gengis Khan serait riche en gaz et en pétrole, encore peu exploités par manque d’infrastructures. Dans le désert de Gobi, les mines d’or d’Oyu Tolgoi recèlent des fortunes. Des centaines de personnes y creusent, espérant tomber sur le filon qui fera leur fortune. « Il règne ici une ambiance de Far West. Des familles plantent leur tente, comme les pionniers se déplaçaient en chariot avec leurs chevaux », raconte, dans Time Magazine, John MacKen, un Irlandais qui prospecte en Mongolie depuis dix ans.
Au-delà des aventuriers, des grandes entreprises canadiennes, américaines, russes, mais surtout chinoises investissent dans la recherche et l’extraction des minerais. Pékin a toujours besoin de davantage de matières premières pour soutenir sa vertigineuse croissance économique. Le potentiel minier se chiffrerait en milliards de dollars à en croire John MacKen. Impressionnant comparé au PIB qui n’est aujourd’hui que de 1,9 milliard. « La Mongolie pourrait bien être le nouvel Eldorado des compagnies minières », estime John MacKen.

Ce potentiel économique n’est-il pas aussi un risque ?

C’est ce que craignent de nombreux habitants. Première menace : la corruption. La transition vers l’économie de marché, la privatisation des entreprises d’Etat, les licences d’exploitation minière sont l’occasion pour une petite élite de s’enrichir au détriment de la majorité. Les cadres du Parti populaire révolutionnaire mongol, actuellement au pouvoir, sont les premiers visés. « Nous sommes entourés de pays où la corruption est la règle. Or ce sont eux qui investissent ici. Ils exportent donc leur corruption, mais nous sommes aussi de très bons élèves. La totalité ou presque du personnel politique a des liens avec des intérêts économiques privés. Si le PPRM est le parti le plus corrompu, c’est seulement parce qu’il est au pouvoir », explique l’historien Bar-Erdeniin Babar.
Mais les politiciens ne sont pas seuls en cause. Les enseignants et les médecins sont aussi devenus les rois des dessous-de-table. « Impossible sinon d’inscrire ses enfants à l’école ou de se faire soigner », déplore Bar-Erdeniin Baabar. « La corruption est le principal problème. Si nous ne la combattons pas, nous ne pourrons pas éliminer la pauvreté », insistait Tsakhiagiyn Elbergdorj, ex-Premier ministre et chef du Parti démocrate dans Le Monde. L’ancien leader étudiant - qui fit chuter le régime communiste à l’hiver 1990 - se veut néanmoins optimiste et rappelle que le Parlement a adopté une loi imposant aux élus de déclarer leur patrimoine. Une agence anti-corruption a été créée en décembre 2006. « Espérons qu’elle ne sera pas trop vite corrompue », ironise Bar-Erdeniin Baabar.
Deuxième crainte de la population mongole : perdre son indépendance économique face aux investisseurs étrangers. Les licences d’exploitation minière sont concédées uniquement à des multinationales ; les firmes mongoles ne disposent pas des moyens technologiques et financiers pour les concurrencer. Les autorités cherchent à diversifier les sociétés prospectrices, et disent vouloir favoriser les firmes européennes et nord-américaines, mais la pression des compagnies chinoises est énorme.
« Des produits de consommation courante à l’exploitation des mines, Pékin est partout présent. Nous devenons une colonie chinoise. Les investissements étrangers sont une bonne chose, mais ils doivent profiter à la population mongole. A quoi bon si ces entreprises rapatrient leurs bénéfices et embauchent peu de Mongols », s’inquiète Kh Naranjargal. Un message entendu par le Parlement qui a voté une loi imposant aux firmes étrangères de réinvestir sur place la moitié de leurs bénéfices.
Dans un pays qui a longtemps vécu en autarcie, sans liberté politique, sans ouverture sur le monde, les bouleversements de ces dernières années suscitent des interrogations. La Mongolie ne risque-t-elle pas d’y perdre son âme, son identité, sa culture ? Comment s’assurer que le développement profite à tous, et pas seulement à une petite élite ? Certains redoutent que la richesse minière du pays ait les mêmes conséquences qu’au Nigeria ou au Congo. « Nous devons savoir réinvestir les revenus miniers dans la santé et l’éducation. Les indicateurs sociaux sont mauvais ; nous devons les améliorer pour les générations futures. Notre modèle doit être le Canada ou l’Australie, pas l’Afrique. Mais rien n’est gagné d’avance », argumente Tsakhiagiyn Elbergdorj.
Les plus optimistes rappellent qu’au temps de Gengis Khan, la Mongolie faisait partie des plus puissantes nations du monde. Cette époque dorée pourrait un jour revenir. Le visage qu’offrent aujourd’hui Oulan-Bator et les steppes incite cependant à la patience.


(1) Avec 3500 associations humanitaires présentes, la Mongolie est le pays où l’on compte le plus grand nombre d’Ong par habitant.


Jean Piel

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