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20/11/2007
Questions internationales (2)
Elisabeth Humbert-Dorfmller : Le monde politique se mfie encore des femmes


(MFI) Economiste et spcialiste de lAllemagne, Elisabeth Humbert-Dorfmller a suivi de prs laccession au pouvoir dAngela Merkel. Selon elle, la politique reste un monde de rseaux o les femmes ont du mal trouver leur place. Leurs comptences sont souvent discutes. Mais les choses voluent positivement.

MFI : Comment expliquer que le nombre de femmes la tte dun pays soit stable depuis quarante ans, alors que la condition fminine progresse globalement ?

Elisabeth Humbert-Dorfmller : Depuis les annes soixante, le nombre de femmes au pouvoir dans le monde reste en effet stable, mais pas la faon dexercer ce pouvoir. Auparavant, les rares femmes chefs dEtat taient des hritires : des pouses ou des filles de Cela ne remet pas en cause leurs comptences, mais dune certaine manire elles taient nes en politique. Ctait le cas par exemple dIndira Gandhi ou dIsabel Peron. Ce phnomne dynastique na pas disparu, comme le prouve la rcente lection de Cristina Kirchner la tte de lArgentine ; elle succde son mari. Nanmoins cette tendance sestompe. Des femmes sont lues la tte de dmocraties aprs avoir men leur propre carrire. Cest le cas dAngela Merkel en Allemagne ou de Michelle Bachelet au Chili. Lvolution est donc positive.
En outre, il est difficile dtablir un lien entre condition fminine et prsence de femmes au gouvernement. Margaret Thatcher na jamais t une championne du fminisme ; Benazir Bhutto na gure fait voluer les droits des femmes au Pakistan. A contrario, cest un dossier prioritaire pour Michelle Bachelet ou Helen Clark, en Nouvelle-Zlande. Mme la chancelire Angela Merkel qui ne brandissait pas cette cause auparavant est en train de faire voluer radicalement le droit de la famille en Allemagne pour que les femmes puissent plus facilement concilier vie professionnelle et vie prive. Reste que la prsence dune femme la tte dun Etat nest pas une garantie damlioration des droits des femmes.

MFI : Est-ce que ce sont les femmes qui ne souhaitent pas entrer en politique ou le monde politique qui ne les accueille pas ?

E. H.-D. : On a souvent mis en avant la moindre disponibilit des femmes pour justifier leur faible nombre dans larne politique. Elles nauraient pas le temps de mener de front une carrire dlue et une vie familiale. Cet argument traditionnel est difficilement recevable aujourdhui, moins daccepter que la famille soit du seul ressort de la femme. Les femmes se donnent les moyens daccder au pouvoir ; elles ont la mme disponibilit que les hommes. Nanmoins, le monde politique reste rticent les voir occuper les plus hautes fonctions. La candidature de Sgolne Royal llection prsidentielle franaise lillustre bien. Celle-ci tait aussi prsente dans la campagne lectorale que ses concurrents masculins, mais on sentait son gard tant chez ses amis socialistes que dans les autres partis une rticence qui tenait au fait quelle est une femme. Il y a l un machisme traditionnel toujours tenace, mme si les choses progressent favorablement.
La politique est un monde de rseaux, de traditions, dcuries Les femmes ont du mal sy faire une place. Cest diffrent dans les affaires o seules comptent lefficacit et les comptences. Certes, on trouve peu de femmes la tte des cinquante premires entreprises mondiales. Elles sont nanmoins plus prsentes dans les affaires quen politique, notamment aux Etats-Unis o la culture du rsultat est forte.
Cette mfiance des dirigeants politiques lgard des femmes est dautant plus surprenante que, dans la majorit des pays, on a dpass lide que le pouvoir, cest la force. Les femmes ne sont plus vues comme ne pouvant soccuper que des questions sociales. Michelle Alliot-Marie na pas t conteste en tant que ministre de la Dfense en France. Le pouvoir sest fminis dans la mesure o lon compte de plus en plus de femmes ministres. Dans certains pays, la parit est la rgle. Mais on en encore du mal leur confier les rnes dune nation toute entire.

MFI : Curieusement, la majorit des femmes chefs dEtat sont issues de partis de droite et non de gauche.

E. H.-D. : En effet. On le voit avec Margaret Thatcher, Mary Mc Aleese en Irlande, Tansu Ciller en Turquie, Violeta Chamoro au Nicaragua. Plus rcemment, en Allemagne, cest un concours de circonstances et un contexte politique particulier qui ont permis Angela Merkel de reprsenter la CDU, plus quune relle stratgie du parti conservateur. Certes, il y a des contre-exemples, dans les pays scandinaves notamment.
A mon sens, cela tient au fait qu droite, une femme candidate donne une image plus moderne de son parti sans que les lecteurs redoutent une mise en cause des grandes orientations idologiques. A gauche par contre, une femme va encore un peu plus gauchiser le parti ; cela peut sduire llectorat socialiste traditionnel, mais risque de rebuter les centristes. Une formation qui propose des ides progressistes, un nouveau projet de socit attire toujours des lecteurs. Mais sil est en outre reprsent par une femme, il risque dapparatre comme trop novateur, et de dcontenancer une frange de ceux qui auraient a priori t intresss par son programme. Cela quelles que soient les ides effectivement dfendues par la candidate. Aux Etats-Unis, Hillary Clinton a d recentrer son discours. Ses ides personnelles sont certainement plus gauche que celles quelle dfend publiquement. Mais le seul fait quelle soit une femme radicalise ses propos.

Propos recueillis par Jean Piel

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