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27/11/2007
Questions internationales (3)
Vladimir Poutine, super-tsar


(MFI) Le chef du Kremlin jouit d’une popularité record en Russie. Mais son mandat s’achève en mars 2008. Comment pourra-t-il rester au pouvoir tout en respectant la Constitution qui lui interdit de se représenter à l’élection présidentielle ? Certains suggèrent qu’il devienne Premier ministre ou conseiller spécial d’un président docile. Vladimir Poutine entretient le mystère, mais semble déterminé à garder la haute main sur les affaires de l’Etat.

Sono géante, pom-pom girls, groupes de rock et discours politiques… Russie Unie a organisé un meeting d’envergure le 21 novembre 2007 au stade Loujniki de Moscou, en soutien à Vladimir Poutine. Dans une mer de confettis et de drapeaux russes, 5000 militants – parmi lesquels de nombreuses vedettes du sport et de la télévision – ont écouté religieusement le discours enflammé du chef du Kremlin. « L’opposition veut une Russie faible et impuissante ; elle prend ses ordres dans les ambassades étrangères. Je vous promets une Russie forte, respectée et fière d’elle-même », a lancé Vladimir Poutine, en costume sombre et col roulé noir, tandis que la foule scandait : « Russie, Russie. Nous croyons en nous-mêmes, nous croyons en la Russie. »

Poutinemania à Moscou

Parmi les témoignages de participants recueillis par la correspondante du Monde à Moscou, celui de Vika, un étudiant de 17 ans : « Poutine est unique, il est idéal. Avant, nous avions le tsar, aujourd’hui nous avons Poutine. Pour moi, il est comme Dieu sur terre. » De son côté, Nikanor, un cadre d’une trentaine d’années, assurait : « Poutine est le meilleur. Il sait parler et il ne vole pas. Nos précédents leaders ne pensaient qu’à eux, lui pense aux Russes. Poutine est un cadeau du ciel, un trésor politique colossal pour le pays. Il a recréé la Grande Russie. » Pour Gleb Pavlovski, le commentateur politique du Kremlin : « Une Russie sans Poutine, c’est une Russie sans direction, sans volonté. Il doit rester le dirigeant du pays, il a le génie du pouvoir. »
Ce meeting du 21 novembre était organisé par Russie Unie – la formation du président –, mais aussi par Za Poutina (Pour Poutine), un mouvement inconnu il y a trois semaines, qui aurait recueilli 30 millions de signatures en faveur du maintien au pouvoir du chef du Kremlin. « Za Poutina n’est pas téléguidé. Il a émergé de la société à l’initiative spontanée de citoyens ordinaires, des étudiants comme des cadres, des jeunes comme des anciens combattants », affirme Vladimir Voronine, l’un de ses responsables. Un scénario auquel ne croit pas l’opposition qui accuse le Kremlin et les gouverneurs de région d’avoir créé de toutes pièces ce soi-disant mouvement citoyen.

De président à Premier ministre ?

Spontanée ou téléguidée, cette campagne vise au maintien de Vladimir Poutine à la tête de la Russie au-delà de l’élection présidentielle de mars 2008, élection à laquelle il n’a pas le droit de se présenter, ayant déjà été élu à deux reprises. Dans un pays en pleine Poutinemania, le chef du Kremlin jouit d’une cote de popularité de 82 %, et 60 % des habitants veulent le voir rester au pouvoir, quitte à réviser la Constitution. Mais l’ancien officier du KGB l’a promis : il respectera la loi fondamentale, et ne se représentera pas. Mais il a aussitôt ajouté qu’une large victoire de Russie Unie aux élections législatives du 2 décembre lui confèrerait le « droit moral » d’influencer la politique russe après son départ du Kremlin. D’où l’importance de ce scrutin législatif, première étape dans la stratégie de Vladimir Poutine pour garder la haute main sur les affaires du pays. « Comment faire pour rester au pouvoir tout en respectant la loi ? C’est toute la question », résume le politologue libéral Grigori Iavlinski.
Première possibilité évoquée par Vladimir Poutine le 1er octobre 2007 : devenir Premier ministre, alors que le nouveau président serait l’un de ses fidèles. « Un homme honnête, capable, efficace et moderne avec lequel je pourrais travailler en équipe », a défini Vladimir Poutine. Un portrait qui ressemble à celui de Viktor Zoubkov, l’actuel Premier ministre. A 66 ans, l’homme apparaît dénué de toute ambition politique ; ce n’est pas lui qui pourrait faire de l’ombre à son mentor. « On assisterait alors à une révision constitutionnelle qui ne dit pas son nom, puisque le Premier ministre deviendrait plus important que le président », commente Boris Doubine, le directeur du centre d’études politiques Levada. Avant d’ajouter : « L’histoire nous a appris à nous méfier des leaders soi-disant effacés. Ils peuvent se découvrir de vastes ambitions une fois en poste. » Ce scénario – qui reste le plus probable aux yeux des observateurs – a été réfuté par le chef du Kremlin lui-même, quelques jours après son annonce. Il lui permettrait pourtant de se représenter à l’élection présidentielle de 2012 en position de force. Déjà le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a prévenu : « Le futur président ne pourra pas ignorer l’existence d’une personnalité plus populaire que lui. »
Parmi les autres possibilités, un changement constitutionnel de dernière minute n’est pas exclu. Certains évoquent aussi un poste de conseiller spécial du chef de l’Etat détenant la réalité des pouvoirs, spécialement créé sur mesure pour Poutine. Dans ce climat d’idolâtrie pro-Poutine, Aboul Khalim Soultygov, l’idéologue de Russie Unie, a carrément suggéré la convocation, après les élections législatives, d’une assemblée des représentants de la société civile qui prêteraient serment autour de l’actuel chef du Kremlin, comme cela avait été fait en 1613 autour du premier tsar de la dynastie Romanov. « Peu importe la Constitution, peu importe le titre et la fonction, Vladimir Poutine est le meilleur ; il doit conserver le pouvoir », affirme, sans s’embarrasser de nuances, Vladimir Voronine. Mais pour l’historien Alexandre Skobov, cité par Le Monde : « La Russie est en train de basculer dans un nouveau régime politique, proche de la dictature à parti unique. Le modèle où le président prête serment devant le peuple est remplacé par un système où le peuple prête serment à son dirigeant. »

L’homme de la Grande Russie

Comment expliquer une telle popularité de Vladimir Poutine ? A 54 ans, l’homme est plus jeune que les précédents dirigeants. Son discours est clair, déterminé. Il joue la carte de l’autorité, de la stabilité du système, de la défense de la nation russe, de la protection du peuple face aux affairistes corrompus. En politique étrangère, sa capacité à tenir tête aux Etats-Unis et à l’Union européenne séduit une population encore traumatisée par le chaos qu’a connu le pays à la fin des années quatre-vingt-dix. Charismatique et adepte d’un pouvoir fort, Vladimir Poutine profite aussi de la bonne santé de l’économie. Après 6,7 % en 2006, le taux de croissance devrait dépasser les 7,5 % en 2007. La classe moyenne connaît une nette amélioration de son niveau de vie. Des bons résultats qui doivent beaucoup à la hausse des cours des matières premières. Des médias aux ordres, une opposition marginalisée et une administration soumise aident aussi le chef du Kremlin à se présenter comme l’homme providentiel.

Un régime pas si stable

Mais selon Oksana Tchelycheva, l’une des responsables de l’association humanitaire Demos : « L’économie ne va pas si bien que cela. La majorité des Russes est pauvre, les industries ne sont guère performantes. Que se passera-t-il si les cours du pétrole et du gaz s’effondrent ? En outre, les indicateurs sociaux – santé, scolarisation… – sont mauvais. La Russie est l’un des rares pays au monde où l’espérance de vie diminue. »
L’opposant Gary Kasparov estime lui que, derrière sa force apparente, le système politique mis en place par Vladimir Poutine est en réalité très instable. D’où les atteintes aux droits de l’homme et la violence de la société. « Un régime stable n’a pas besoin de recourir à la violence et d’opprimer les opposants (…).Le culte de la personnalité est tel que nul ne sait ce qu’il adviendra du pays lorsque Vladimir Poutine quittera la scène politique », déclarait-il récemment. Des critiques dont le chef du Kremlin n’a cure. Il connaît sa popularité et se sait indéboulonnable actuellement. Sa devise reste la même : « Un pouvoir fort au service d’une démocratie contrôlée. »

Jean Piel

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