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27/11/2007 | |||
Questions internationales (1) La Russie en pleine dérive autoritaire | |||
(MFI) Russie Unie, le parti de Vladimir Poutine, est quasi assuré de remporter les élections législatives qui se tiendront le 2 décembre. Des élections qui apparaissent comme un référendum en faveur du chef du Kremlin. Mais le climat politique est tendu en Russie. Entre une opposition moribonde, des médias bâillonnés, un nationalisme violent, des atteintes continues aux droits de l’homme et des institutions confisquées par l’entourage du chef de l’Etat, le pays ressemble de plus en plus à un régime autoritaire. | |||
Comment s’annoncent ces élections législatives en Russie ? Des onze partis en lice, Russie Unie – la formation de Vladimir Poutine – est largement en tête. Les derniers sondages le créditent de 67 % des intentions de vote, loin devant les communistes (17 %) et le parti ultra-nationaliste de Vladimir Jirinovski (6 %). Pour les observateurs, les jeux sont faits : Russie Unie va totalement contrôler la Douma, le parlement russe. Il pourrait bien d’ailleurs n’y avoir que deux partis à la Douma, une récente loi ayant relevé de 5 à 7 % le minimum de voix nécessaire pour qu’une formation obtienne des sièges au Parlement. Le succès de Russie Unie fait d’autant moins de doute que Vladimir Poutine en est personnellement tête de liste. Ces élections législatives sont en effet la première étape dans la stratégie du chef du Kremlin pour rester au pouvoir après l’élection présidentielle de mars 2008, élection à laquelle il n’a pas le droit de se représenter. Poutine pourrait être nommé Premier ministre ou occuper un autre poste d’influence créé sur mesure (voir article ci-après). Déjà le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a prévenu : « Le futur président ne pourra pas ignorer l’existence d’une personnalité plus populaire que lui ». L’enjeu des élections législatives est donc là : permettre à Vladimir Poutine de continuer à diriger la Russie après mars 2008, au-delà de ce que la Constitution autorise. Comme le souligne Boris Doubine, le directeur du centre d’études politiques Levada : « Pour la première fois en Russie, les élections législatives seront plus importantes que la prochaine présidentielle. Ce scrutin est un référendum sur Poutine et le système politique qu’il incarne. » Or après la chute de l’Union soviétique et la crise des années Eltsine, Vladimir Poutine représente le retour de la force et de la stabilité, l’espoir d’une renaissance de la « Grande Russie ». Il est également associé à la bonne santé de l’économie russe. Sa cote de popularité dépasse les 80 %. Dès qu’il a annoncé sa participation aux législatives, Russie Unie a gagné 12 points dans les sondages. L’opposition a-t-elle malgré tout une chance d’exister lors de ces élections ? C’est mission impossible. La dévotion dont jouit Vladimir Poutine est d’autant plus forte que les médias – largement contrôlés par le Kremlin – ne parlent que de lui, et en termes laudateurs. Dans les rues de Moscou ou Saint-Pétersbourg, seules les affiches de Russie Unie sont visibles. Les organisations de jeunesse pro-Poutine, Molodaïa Gvardia (la Jeune Garde) et Nachi (les Nôtres), distribuent partout briquets et bouteilles de vodka à l’effigie de leur idole… Et font le coup de poing contre ceux qui oseraient émettre des critiques. Face à cette déferlante, l’opposition est étouffée. Elle est caricaturée dans les médias comme une cinquième colonne voulant affaiblir la Russie au profit des Etats-Unis. On lui prête l’intention de fomenter une « révolution de couleurs » contre le Kremlin, comme en Géorgie ou en Ukraine. Lors d’un meeting le 21 novembre, Vladimir Poutine a accusé ses membres d’être des « chacals en quête de financements étrangers et de préparer des provocations en descendant dans la rue comme ils l’ont appris des spécialistes occidentaux ». L’ancien champion du monde d’échecs, Gary Kasparov, dirige L’Autre Russie, une coalition hétéroclite de formations libérales. Mais malgré son dynamisme et sa célébrité, il n’est crédité que de 3 % des intentions de vote. Pour les observateurs, c’est déjà un miracle que l’Autre Russie ait pu présenter une liste. D’autres partis ont vu leur candidature rejetée par la commission électorale pour des motifs fallacieux. Partout les autorités interdisent les meetings de l’opposition. Les militants sont victimes de manœuvres d’intimidation, voire de passages à tabac parfois fatals. A en croire Boris Doubine : « Une minorité de Russes, polyglottes, intellectuels, habitués à voyager et à surfer sur le Net, est séduite par les libéraux. La majorité a pour seule source d’information une télévision contrôlée par le Kremlin. Pour elle, Poutine restaure l’honneur de la Russie, et elle ne voit de l’opposition que des images de manifestations qui dégénèrent. Seuls les communistes tirent leur épingle du jeu. Ils fédèrent les mécontentements – notamment des retraités – contre la vie chère et les mauvais indicateurs sociaux. » Face à une telle situation, l’OSCE a annulé sa mission d’observation des élections législatives, estimant que « le refus des autorités russes de coopérer nous empêcherait de mener notre travail à bien. Il nous est impossible de cautionner une telle attitude ». Dans quel contexte politique se déroulent ces élections législatives ? Les difficultés de l’opposition illustrent ce que les militants des droits de l’homme à Moscou et les gouvernements occidentaux dénoncent depuis des mois : la dérive autoritaire du Kremlin. Une dérive autoritaire qui s’observe dans le contrôle des médias. A son arrivée au pouvoir, en décembre 1999, Vladimir Poutine n’avait pas donné l’impression de vouloir museler la presse. Plusieurs quotidiens et chaînes de télévision affichaient une remarquable indépendance. Mais à partir de 2003, notamment après la prise d’otage de l’école de Beslan et l’arrestation de l’oligarque Mikhaïl Khodorkovski, l’étau s’est resserré. Les deux principales chaînes de télévision sont désormais sous la coupe du Kremlin, de même que la majorité des radios et journaux. Les seuls médias encore libres sont le quotidien Kommersant, le bihebdomadaire Novaïa Gazeta et Radio Echo. Cela fait peu pour un pays de la taille de la Russie. Treize journalistes ont été assassinés depuis l’élection de Poutine, la plus célèbre étant Anna Politkovskaïa. Les coupables n’ont pas été arrêtés. Le pouvoir insiste sur la totale liberté d’Internet. Certes, mais 80 % des Russes n’y ont pas accès. Cette dérive autoritaire s’observe également dans la reprise en main de la vie politique. Les gouverneurs de région – auparavant élus – sont, depuis 2004, nommés par le pouvoir central. Tous sont des proches du chef de l’Etat, et leur carrière dépend de son bon vouloir. Il en va de même des maires de Moscou et Saint-Pétersbourg. L’opposition – on l’a vu – est moribonde. A chaque fois que Gary Kasparov a organisé des « Marches des contestataires » pacifiques, la police est intervenue avec une extrême brutalité. Dans le même temps, des mouvements néo-nazis défilent dans les rues sans être inquiétés. Ces douze derniers mois, seize maires ont été arrêtés, officiellement pour corruption, et trois ont été assassinés. Tous étaient en conflit avec le gouverneur de la région ou avec Russie Unie. Deux lois sont aussi sur la sellette : l’une, réprimant l’extrémisme, est suffisamment floue pour arrêter quiconque. L’autre, votée en 2006, paralyse les activités des Ong ; plusieurs ont dû cesser leur mission en Russie. Comme l’expliquait au quotidien Le Monde Oksana Tchelycheva, la fondatrice de l’association humanitaire Demos : « Le harcèlement de l’opposition, des journalistes, des militants des droits de l’homme, des esprits libres, est permanent. Certains sont passés à tabac dans la rue sans que personne n’intervienne. On subit des contrôles fiscaux, on est expulsé sans préavis de nos locaux… La pratique de l’internement psychiatrique, fréquente à l’époque de l’URSS, a refait son apparition. » Le Kremlin ne se donne plus la peine d’évoquer des brebis galeuses dans les rangs de la police ou des militants trop zélés de Russie Unie. Il assume l’existence d’un « pouvoir fort au service d’une démocratie contrôlée », selon les propres mots de Vladimir Poutine. Autre signe de la dérive autoritaire du pays : le regain du nationalisme. Dans tous les discours politiques, la « Grande Russie » est glorifiée à outrance, au mépris des autres nationalités qui constituent la Fédération de Russie (voir article ci-après). Mais ce nationalisme débridé débouche sur une multiplication des crimes racistes et un violent climat anti-occidental. Les dirigeants aiment à présenter la Russie comme une forteresse assiégée face au reste du monde. La politique étrangère du Kremlin s’en ressent évidemment. Les institutions russes sont-elles stables ? Apparemment oui. Le Parlement, les tribunaux, l’armée, l’administration fonctionnent et ne sont pas menacés de déliquescence. Mais toutes ces institutions sont contrôlées par le Kremlin. L’administration présidentielle est plus puissante que le gouvernement, le Parlement n’adopte aucune loi sans le feu vert de l’exécutif, et les magistrats sont dociles. Les silovikis, les hommes en uniforme, sont également présents dans tous les rouages de l’Etat. Comprenez par là les officiers du FSB, l’héritier du KGB dont Vladimir Poutine est issu. On les retrouve au Kremlin, à la Douma, à la tête des régions, dans les mairies des grandes villes, aux commandes des médias… Surtout, ils ont investi le monde des affaires, comme les dirigeants politiques d’ailleurs. D’Aeroflot au complexe militaro-industriel en passant par les secteurs de l’énergie ou de l’immobilier, les hommes politiques et les silovikis sont partout. Malheur à ceux qui s’opposent à eux : pour les avoir défiés, Mikhaïl Khodorkovski, l’ancien PDG du groupe pétrolier Ioukos, dort derrière les barreaux. Dans son livre Anatomie de l’élite russe, la sociologue Olga Krychtanovskaïa précise : « Les trois quarts des membres de l’élite au pouvoir sont issus du FSB. Les hommes en uniforme dominent les conseils d’administration des grandes sociétés, après y avoir été introduits par le Kremlin. Même à l’époque soviétique, le KGB n’était pas présent dans autant de centres décisionnels. » Mais pouvoir fort n’est pas synonyme de pouvoir uni. Les luttes de clans sont violentes dans l’appareil d’Etat, particulièrement lorsque l’enjeu en est le contrôle des sources de revenus. Récemment, un général du FSB en charge de la lutte contre la drogue et le vice-ministre des Finances ont été arrêtés, sans qu’on en connaisse les motifs. Comme l’écrivait dans Le Monde Marie Mendras, du Centre d’études et de recherches internationales (Ceri) : « La Russie est imprégnée de violence dans tous les domaines. La société est devenue brutale et apathique. Les médias sont contrôlés, les institutions ont été vidées de leur contenu par Vladimir Poutine et les milieux dirigeants s’affrontent sur des enjeux économiques opaques (…) Le paradoxe est que Vladimir Poutine, qui disait vouloir restaurer l’Etat, a en fait détruit les institutions : il n’y a plus ni Parlement ni Cour constitutionnelle dignes de ce nom, le gouvernement est court-circuité par l’administration présidentielle, les juges sont soumis au pouvoir politique dès qu’une affaire devient délicate. Partout règnent la violence et l’impunité. C’est le règne des décisions opaques, de l’arbitraire et des méthodes expéditives (…) Je réfute la thèse d’un régime fort, certes un peu autoritaire, mais qui assure la stabilité du pays. C’est un leurre ». Pour Gary Kasparov aussi, le pays est moins stable qu’il n’y paraît. De passage à Paris fin novembre, il déclarait : « Un régime stable n’a pas besoin de recourir à la violence et d’opprimer les opposants. Les luttes de clans au sommet de l’Etat sont assassines. La Russie n’appartient pas au monde libre. Le culte de la personnalité est tel que nul ne sait ce qu’il adviendra du pays lorsque Vladimir Poutine quittera la scène politique. Il a détruit les institutions. Si ce régime dictatorial se maintient, la Russie s’écroulera comme l’URSS s’est écroulée. » | |||
Jean Piel | |||
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