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04/12/2007
Questions internationales (3)
Pascal Sciarini : LUDC alimente la drive raciste de la socit


(MFI) Pascal Sciarini est directeur du dpartement de sciences politiques de luniversit de Genve. Selon lui, lUDC instrumentalise les craintes que suscite louverture internationale de la Suisse. Le parti de Christoph Blocher cre galement les problmes quil prtend rsoudre.

MFI : Comment expliquer les succs lectoraux de lUDC ?

Pascal Sciarini : Bien videmment les causes sont multiples, mais on pourrait les rsumer autour dune ide : la crainte de louverture internationale de la Suisse. Cela rassemble ple-mle : linquitude face la puissance de lUnion europenne qui nous entoure, limmigration dont on fait croire quelle est la source de tous les maux, la globalisation synonyme de concurrence accrue pour nos entreprises LUDC surfe sur ces inquitudes en dsignant un coupable ltranger et en dfendant une solution apparemment rassurante, le repli identitaire sur les valeurs traditionnelles du pays. Personne ne sait pourtant ce que sont ces valeurs traditionnelles et cette identit suisses. Il existe un malaise dans la Condfration depuis la chute de lURSS. Notre neutralit na plus de sens ; nous navons plus dennemi extrieur. Il fallait donc en retrouver un, et lUDC a habilement choisi les immigrs et lEurope. Il ne faut pas oublier que la Suisse sest construite sur elle-mme. Elle doit son calme et sa prosprit un dveloppement autocentr. Or la globalisation loblige souvrir sur le monde, do ces craintes.

MFI : Cela justifie t-il de voter pour un parti ouvertement raciste ?

PS : LUDC est avant tout un parti libral et conservateur qui dfend lidentit et la culture helvtiques, bref la Suisse ternelle. Les drapages verbaux de certains de ses dirigeants, les affiches outrancires retiennent lattention des mdias, mais ce nest pas lessentiel du parti. Au demeurant, on voit l une autre cause du succs lectoral de lUDC : sa stratgie marketing. LUDC sait mieux que quiconque grer les mdias, faire de la provocation pour attirer leur attention, crer lvnement. Christoph Blocher est partout prsent ; il occupe lespace politique et mdiatique. On ne peut pas lignorer. Cette omniprsence presque physique est aussi possible grce la richesse du parti. Outre Christoph Blocher lui-mme, plusieurs millionnaires le financent.
Le rsultat est que les lecteurs ne savent plus si, rellement, la dlinquance augmente, si limmigration creuse les dficits sociaux, si lUE menace notre souverainet, mais lUDC martle tellement ce discours que les gens finissent par le croire vrai. La force de lUDC, cest de crer des problmes quelle prtend ensuite rsoudre. Dune certaine manire, le parti gnre sa propre demande. Cest au point que la Suisse a dj durci sa politique migratoire du fait du climat ambiant. Pour exister, lUDC est donc oblige dexiger plus et de verser dans la surenchre. Son discours contribue alimenter la drive raciste de la socit.


MFI : Quel est llectorat de lUDC ?

PS : Il est trs large ; lUDC est un parti attrape-tout. Il a conserv son lectorat traditionnel de paysans et de petits commerants ; cest la version poujadiste de lUDC. Mais il attire aussi les ouvriers non-qualifis qui sinquitent pour leur emploi et leur niveau de vie ; eux votaient souvent gauche avant, mais ils font partie des perdants de la mondialisation. La petite bourgeoisie et des membres des professions librales votent aussi pour lUDC car ils redoutent linscurit et les consquences sociales de limmigration. Tous ceux qui ont peur de lEurope, de la mondialisation, du brassage culturel, dune ventuelle pauprisation, voient en Christoph Blocher un sauveur. Pourtant, rien ntaye leurs inquitudes. Lconomie suisse se porte bien ; les problmes de communautarisme dans les banlieues ou de violence urbaine comme il en existe en France sont inconnus ici. Nous navons pas ce genre de banlieues. Les seuls ne pas voter majoritairement pour lUDC sont les travailleurs sociaux, les membres des professions intellectuelles, les enseignants, les cratifs, les jeunes.

MFI : Une fois au pouvoir, lUDC va-t-elle modrer son discours du fait des responsabilits quimpose la gestion dun pays

PS : Je ne le pense pas. Sa stratgie actuelle est payante ; elle na donc aucune raison den changer. La majorit des Suisses nest pas gne par le fait que lUDC donne une mauvaise image du pays ltranger. Seul ce qui se passe dans la Confdration leur importe. La Suisse est un pays tourn sur lui-mme. Le systme politique prsente aussi cette particularit que tous les partis sont la fois dans le gouvernement et dans lopposition. Le Conseil fdral est compos de ministres issus des diffrentes formations, et les dlibrations sont largement secrtes. Chacun donc a beau jeu de dire quil napprouve pas totalement une dcision, quil nen est pas lorigine, ou a contrario de se fliciter dune politique. De mme, tous les partis peuvent initier des rfrendums ce qui leur donne une image dopposant puisque la Suisse est une dmocratie directe. Ainsi, aucun dirigeant politique ne se prsente devant les lecteurs en dfendant un bilan. Cela autorise tout.

Propos recueillis par Jean Piel

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