Rechercher

/ languages

Choisir langue
 
Liste des rubriques
MFI HEBDO: Politique Diplomatie Liste des articles

04/12/2007
Questions internationales (1)
La Suisse tente par lextrme droite


(MFI) Le 12 dcembre, le Parlement suisse lira le nouveau Conseil fdral, ainsi quon appelle le gouvernement Berne. Loccasion pour lUDC, le parti libral et ultra-nationaliste, vainqueur des rcentes lections lgislatives, dimposer sa marque. Beaucoup redoutent un durcissement des lois sur limmigration et la privatisation des services publics. Lopposition et la socit civile nont cependant pas dit leur dernier mot.

Pourquoi lUDC provoque-t-elle un tel dbat ?

LUnion dmocratique du centre, ou UDC, porte bien mal son nom. Car le parti est tout sauf centriste. Cest une formation dextrme droite, xnophobe et anti-tatiste. A sa cration en 1971, lUDC se prsente comme un parti populiste, dfendant les agriculteurs et les commerants. Ses rsultats lectoraux sont alors confidentiels. Cest son leader actuel, Christoph Blocher qui en prend la tte au dbut des annes quatre-vingt-dix qui va dvelopper sa rhtorique dextrme droite : discours anti-immigrs, scuritaires, anti-fiscaliste, dfense des valeurs traditionnelles, refus de la mondialisation et de ladhsion de la Suisse lUnion europenne.
LUDC provoque un profond dbat dans la Confdration helvtique, dabord par ses mthodes. Dans un pays o la vie politique se veut courtoise depuis des dcennies, lUDC multiplie les provocations, les attaques personnelles, les discours violents. Elle bouscule lusage du compromis entre partis politiques, critiquant parfois outrageusement les dcisions des pouvoirs publics. La vie politique en Suisse est fonde sur la recherche du consensus. Certains la critiquent certes pour son ennui. Mais les mthodes de lUDC dpassent en violence verbale ce quon voit dans les autres pays europens. Cest un tournant en Suisse , explique Franois Chrix, auteur de Blocher, ou le mpris des lois.
Ses mthodes, ce sont aussi des affiches ouvertement racistes, telle celle o lon voit trois moutons blancs sur le drapeau suisse, qui boutent dune ruade un mouton noir en dehors du pays, avec ce slogan : Pour la scurit . Ou une autre contre le droit dasile o lon voit un passeport suisse avec la photo dOussama Ben Laden. Sur le site Internet du parti, un jeu fait gagner des points chaque fois quon expulse un tranger criminel ou quon empche une main basane de saisir un passeport. Cela dans le pays qui a vu natre Henri Dunant, le fondateur de la Croix-Rouge, et o a t signe la convention sur le droit dasile !

Quen est-il des rsultats lectoraux de lUDC ?

LUDC plafonnait 10 % des voix jusquaux annes quatre-vingt-dix. En 1999, elle simpose comme le premier parti de la Confdration, puis remporte les lections lgislatives de 2003 (avec 26,7 % des suffrages), ce qui lui permet dobtenir un second poste de conseiller fdral ainsi quon appelle les ministres ici. Christoph Blocher dtient dsormais le portefeuille de la Justice et de la police. LUDC remporte nouveau les lections lgislatives en octobre 2007 avec 29 % des suffrages. Cantonne ses dbuts la Suisse almanique, elle sduit aujourdhui les lecteurs mme en Suisse romande, au point de simposer Genve, la ville internationale. En vertu du systme de rotation automatique entre les ministres, le bouillonnant Christoph Blocher lallure si tranquille, mais au verbe si incisif (voir portrait ci-aprs) pourrait devenir prsident de la Confdration en janvier 2009. Certes le poste est honorifique, mais cela serait dommageable pour limage de neutralit et de bienveillance de la Suisse.

A quels changements pourrait-on assister aprs la formation du nouveau Conseil fdral ?

Des changements de mode de gouvernance et de projets politiques sont probables. Sur le premier plan, la Suisse respecte depuis 1959 ce quon appelle la formule magique , savoir que le Conseil fdral le gouvernement est compos de sept ministres issus des diffrents partis en fonction de leur poids respectif au Parlement. Depuis 2003, il compte ainsi deux UDC, deux socialistes, deux radicaux et un chrtien-dmocrate. Les dcisions sont prises par consensus, et les dbats internes ne sont pas rendus publics. Lobjectif est que le pragmatisme lemporte sur lidologie. Les observateurs redoutent que lUDC fasse voler ce systme en clat, en sappuyant sur ses victoires lectorales pour rclamer un conseiller fdral de plus au dtriment des chrtiens-dmocrates. Christoph Blocher a promis de ne pas le faire ; sans convaincre. Dautant que le leader de lUDC a dj rclam le dpart de trois conseillers fdraux, dont Samuel Schmidt, pourtant membre de lUDC, mais trop modr ses yeux. Comme le soulignait dans le quotidien Le Monde un haut-fonctionnaire : Ces dernires annes, lUDC a soit critiqu des dcisions du Conseil, soit dnonc publiquement les dbats internes qui les avaient prcdes, mettant mal la collgialit et la srnit des dbats. La prochaine tape pourrait tre de blocheriser le Conseil fdral par une alliance entre les radicaux et lUDC. Ce serait la fin du systme de concordance qui existe depuis 45 ans.
Dans une telle hypothse, le Parti socialiste a menac de bloquer la vie politique en multipliant les demandes de rfrendum sur les dcisions gouvernementales, la Suisse ayant un systme de dmocratie directe. Mais si elle narrive pas ses fins, cest lUDC qui pourrait bloquer le fonctionnement des institutions en multipliant les demandes de rfrendum. LUDC veut capitaliser sur ses succs lectoraux. Participer au Conseil fdral sans pouvoir y imposer ses ides comme elle le fait depuis 2003 ne la satisfait plus. Ses dirigeants affichent leur soif de pouvoir. Ils ont dsormais les cartes en main , estime Franois Chrix.
Certains en Suisse jugent quil sagit l dune volution inluctable, une polarisation droite-gauche comme on le voit ailleurs en Europe. En outre, le systme du consensus nie dune certaine faon le vote des lecteurs. Que la premire formation du Parlement veuille diriger le pays selon son programme semble normal. Rponse de Pascal Couchepin, membre radical du Conseil fdral : Depuis 1959, le modle suisse de consensus est synonyme de prosprit et de stabilit politique. Pourquoi le remettre en cause ? Que lUDC soit le premier parti du pays ne doit pas faire oublier ses ides extrmistes, ni le fait que 70 % des lecteurs nont pas vot pour elle.

Et quels changements dans la politique que pourrait conduire le Conseil fdral ?

Si lUDC arrive simposer au Conseil fdral, le contrle de limmigration risque dtre beaucoup plus strict. Dj, depuis que Christoph Blocher est ministre de la Justice et de la police, le nombre de demandeurs dasile a diminu de 29 %. En septembre 2006, 68 % des votants ont approuv par rfrendum une proposition de lUDC qui met un terme au droit dinstallation dfinitive en Suisse aprs dix ans de rsidence, limite le regroupement familial et autorise lexpulsion des demandeurs dasile qui ne peuvent pas prsenter de papiers didentit dans les 48 heures suivant le dpt de leur demande. La Suisse vient de se doter de la lgislation sur limmigration la plus restrictive en Europe , stait alors dsol le Haut Commissariat pour les rfugis. Parmi les projets de lUDC : lexpulsion des parents dun mineur tranger condamn par la justice, linterdiction des minarets, lassouplissement des lois antiracistes qui, selon Christoph Blocher, limitent la libert dexpression , linterdiction aux trangers non-europens dacqurir la nationalit suisse et mme dtre propritaire dun appartement LUDC est une menace pour la dmocratie. Ses propositions sont beaucoup plus extrmistes que celle du Front national en France , en conclut Pascal Couchepin.
Dans une interview au quotidien britannique The Independant, Jrg Munsen, lanimateur dune association daide aux immigrs Zurich, sinquite du climat anti-tranger que cre le discours de lUDC. Les immigrs deviennent synonymes dinscurit, de baisse du niveau scolaire, de dgradation des logements, de dpenses sociales abusives. On oublie leur participation indispensable lconomie, le devoir daccueil qua un pays riche comme la Suisse.
Outre ce durcissement de limmigration, le contrle du Conseil fdral par lUDC devrait entraner une baisse des impts, un renforcement de la politique librale (avec la privatisation de plusieurs services publics) et une rduction des prestations sociales. Comment les associations vont-elles pouvoir travailler alors quelles sont un acteur majeur du dialogue social ? Il ne faut rien attendre de bon dun parti qui estime que les femmes doivent rester au foyer pour soccuper des enfants et dont le prsident sest dclar oppos lgalit des chances lcole car cela serait ramener les lyces suisses au niveau des lyces angolais , se lamentait dans le quotidien 24 heures Franois Chemin-Blanc, responsable dune association de soutien scolaire Lausanne.
Certains relativisent nanmoins ces inquitudes. La Suisse nest pas le IIIme Reich. Dabord, les amis de Christoph Blocher ne contrlent pas encore le Conseil fdral, mme sils feront tout pour cela. En outre, le gouvernement na pas tous les pouvoirs ; le Parlement est moins polaris politiquement. Enfin, les contre-pouvoirs existent : une presse libre, des associations nombreuses, le droit de rfrendum de la population. Au-del de ses discours haineux, lUDC sera face ses responsabilits gouvernementales, ce qui lobligera se modrer , souligne Roland Schlumpf, lditorialiste du Tages-Anziger. Une analyse que ne partage pas totalement Pascal Sciarini, directeur du dpartement de sciences politiques luniversit de Genve (voir interview ci-aprs) : Sa stratgie actuelle est payante ; lUDC na donc aucune raison den changer. La majorit des Suisses nest pas gne par le fait que lUDC donne une mauvaise image du pays ltranger. Seul ce qui se passe dans la Confdration leur importe . En fait, le pays dfend surtout ses intrts bien compris. Contre lavis de lUDC, il a ainsi approuv par rfrendum ladhsion de Berne lOnu, la libre circulation des ressortissants de lUnion europenne et lEspace Schengen. Quelle que soit leurophobie de Christoph Blocher, les Suisses sont obligs de composer avec lUE. Mais il est vrai quil existe actuellement un climat xnophobe trs dsagrable , reconnat Roland Schlumpf.

Comment expliquer ce succs de lUDC ?

Raison conjoncturelle : les moyens dploys par lUDC. Le parti de Christoph Blocher a investi 34 millions deuros dans sa campagne lors des rcentes lections lgislatives, contre 1,7 million pour le Parti socialiste. De lavis des observateurs, ce dernier a en outre adopt une mauvaise stratgie, rpondant aux discours haineux de lUDC par de vives protestations au lieu de porter le dbat sur le fond.
Mais lexplication ne suffit pas. Ce succs dun parti dextrme-droite surprend dans un pays aussi prospre que la Suisse. Le taux de croissance avoisine les 3 %, celui du chmage plafonne 2,5 % et linflation est nulle. Le PIB/habitant est de 30 000 euros par an. Ces deux dernires annes, Zurich a t lue ville offrant la meilleure qualit de vie au monde. Un succs conomique qui repose sur les services banques et assurances et lindustrie de prcision. A en croire Thierry Meyer, journaliste au quotidien 24 heures : Cette prosprit nempche pas un sentiment de prcarit. Les ouvriers redoutent la pauprisation, les cadres suprieurs linscurit. Mme si rien ntaye concrtement ces craintes. Certes, au dbut des annes 2000, le pays a connu un lger ralentissement conomique qui sest traduit par un important dficit public et une hausse des impts. Mais ce choc a t absorb, et jamais il na menac la prosprit de la Suisse.
La petite dlinquance serait effectivement en hausse. Mais on est loin des statistiques des pays voisins ou des explosions de violence dans les banlieues franaises. La Suisse reste un pays paisible.
Quant limmigration, elle peut sembler importante puisque 20 % des 7,3 millions de rsidents de la Confdration sont trangers, et 25 % des salaris. Mais la majorit des trangers sont des Europens (Franais, Allemands ou Italiens) installs en Suisse depuis longtemps. Ces dernires annes, le nombre de rfugis tamouls du Sri Lanka et de ressortissants des Balkans souvent de confession musulmane a en effet augment. Mais globalement, les immigrs extrieurs lUnion europenne restent peu nombreux. La Suisse dont la dmographie dcline a en outre besoin de cette main duvre trangre. Comme lexplique Pascal Sciarini : La force de lUDC, cest de crer des problmes quelle prtend ensuite rsoudre. Les lecteurs ne savent plus si, rellement, la dlinquance augmente, si limmigration creuse les dficits sociaux, si lUE menace notre souverainet, mais lUDC martle tellement ce discours que les gens finissent par le croire vrai () Le parti fait feu de tout bois et mlange tout, les impts, lislam, la mondialisation, lEurope, la criminalit, les dpenses sociales, lidentit suisse, puis avec des slogans simplistes il dsigne un coupable tous ces maux rels ou supposs : les trangers. Une stratgie qui, renforce par une forte prsence dans les mdias, russit puisque en croire un sondage, limmigration est la premire proccupation des Suisses, devant le rchauffement climatique.
Selon Jean-Yves Camus, universitaire spcialiste de lextrme droite : La Suisse connat une crise didentit particulire. Sa neutralit faisait sens lpoque de la guerre froide. Ds lors que lURSS a cess dexister, elle faisait anachronique, et la population a d se trouver un nouvel ennemi extrieur. Blocher a propos lEurope et les demandeurs dasile. Il a instrumentalis larrive de rfugis du Kosovo et dAlbanie, par ailleurs musulmans. Je parlerais dun populisme de prosprit. Cest un mouvement dgosme qui se produit dans un pays en bonne sant, mais qui refuse la socit multiculturelle et le partage du gteau.

Jean Piel

retour