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11/12/2007
Questions internationales (1)
Les deux Core sur la voie de la paix


(MFI) Aprs des annes de mfiance, voire de haine rciproque, les relations entre la Core du Sud, capitaliste et proche des Etats-Unis, et sa voisine du Nord communiste et soutenue par Pkin samliorent rapidement. Le 4 octobre 2007, un sommet inter coren a permis la signature dun accord de paix et de prosprit . Llection prsidentielle en Core du Sud, le 19 dcembre, pourrait remettre en cause ces progrs. Les observateurs restent nanmoins optimistes.

O en sont aujourdhui les relations inter corennes ?

Le sourire crisp face aux photographes, les deux hommes lvent les bras tout en se tenant la main, comme les vainqueurs dune preuve sportive par quipe : dun ct, le prsident sud-coren, Roh Moo-Hyun, costume sombre et cravate rouge ; avec lui, vtu de son ternel survtement beige, Kim Jong-Il, le leader nord-coren. La scne historique sest droule Pyongyang, la capitale nordiste, le 4 octobre dernier. A lissue du second sommet seulement entre les deux pays depuis la division de la Pninsule en 1948, les deux dirigeants ont conclu un accord de paix et de prosprit qui prvoit notamment de transformer lactuel armistice inter coren en un rgime de paix permanent .
Petit rappel historique : aprs la Seconde guerre mondiale, la pninsule corenne est divise au niveau du 38 parallle en deux zones, le nord gr par lURSS, le sud par les Etats-Unis. En 1950, avec le soutien des armes chinoises et sovitiques, la Core du Nord envahit le sud, dfendu par une force des Nations unies essentiellement compose de soldats amricains. En 1953, un armistice est sign qui scelle la division de la Pninsule. Depuis, les deux pays qui sont donc toujours techniquement en guerre ont pris des chemins opposs. La Core du Sud est un pays capitaliste, proche des Etats-Unis, dsormais riche, et qui a volu dun rgime militaire la dmocratie ; la Core du Nord est une dictature communiste, certainement le pays le plus ferm de la plante, ruin conomiquement et sur-arm.
Sil se concrtise, cet accord du 4 octobre marquerait la fin dun des derniers vestiges de la Guerre froide. Cest dire son importance. Comme le souligne Park Sun-Song, professeur dtudes nord-corennes luniversit Dongguk, Soul : Le premier sommet inter coren, en 2000, avait une force symbolique norme, mais il tait rest au niveau des dclarations de bonnes intentions. L, des mesures concrtes ont t adoptes ; on a parl de paix, de discussions rgulires entre les Premiers ministres, de coopration conomique. Cest un tournant stratgique dans la Pninsule .
Un tournant qui prolonge une srie de signaux positifs ces dernires annes : dfil unitaire des deux dlgations lors des JO dAthnes en 2004, rencontres entre les Croix-Rouge des deux pays, retrouvaille de 200 familles spares en mai 2007, accroissement de laide humanitaire en faveur de Pyongyang Certes les diffrents restent nombreux et parfois profonds, mais lheure est la dcrispation entre les frres ennemis. Les chefs de gouvernement viennent de se rencontrer, un tlphone rouge sera bientt tabli entre les deux armes et les changes conomiques en hausse constante depuis trois ans devraient encore se dvelopper. Jamais par contre, on a parl de runification. Dans une rgion o la matrise du temps est une vertu, chacun sait que le sujet nest pas dactualit.

Comment expliquer ce rchauffement des relations inter corennes ?

La Core du Sud a tout gagner de meilleures relations avec Pyongyang. Le gain est diplomatique. Une Pninsule pacifie est synonyme dune moindre vulnrabilit de Soul aux pressions de ses voisins chinois et japonais et de son mentor amricain, cela alors que les Sud-Corens, la jeunesse en particulier, supportent de plus en plus mal la prsence de 34 000 GIs sur leur territoire. Cela permettrait dallger lnorme budget de la dfense et de rduire le service militaire dun pays dont la socit se veut plus ouverte. Le gain est aussi conomique. Les entreprises sud-corennes pourraient se dlocaliser au nord o la main duvre est beaucoup moins chre (voir article ci-aprs). Le sous-sol, riche en minerais, suscite aussi la convoitise de Soul qui napprcie pas en outre de voir la Chine dernier alli de Pyongyang sur la scne internationale faire main basse sur ce potentiel. Les changes conomiques de part et dautre du 38me parallle, sils restent modestes, ont nanmoins progress de 28 % depuis 2004. Pour nombre dobservateurs, le dveloppement de ces changes est le pralable incontournable un rchauffement diplomatique. Soyons pragmatiques. Les deux pays ont entretenu une mfiance voire une haine rciproque pendant des annes. Celle-ci ne va disparatre du jour au lendemain. Apprenons nous faire confiance en travaillant ensemble dans un domaine concret comme lconomie, avant denvisager de vastes discussions politiques , soutient Lim Sung-Joo, chercheur linstitut diplomatique Sjong, Soul.
Enfin, le gain pour la Core du Sud est politique. Pendant des dcennies, la menace nord-corenne a justifi la dictature. Tout opposant tait qualifi dagent communiste, emprisonn et tortur. Sans cette menace, la dmocratie dsormais une ralit Soul pourrait encore se renforcer. Pass par les geles de lancien rgime militaire, le prcdent chef de lEtat et prix Nobel de la paix, Kim Dae-Jung, a ainsi initi en 2000 ce quon appelle la Sunshine policy, une politique de la main tendue lgard de Pyongyang ; politique poursuivie par son successeur, Roh Moo-Hyun. Comme lexpliquait rcemment Kim Dae-Jung au quotidien Le Monde : Ces dernires annes ont montr quil tait impossible dattaquer militairement la Core du Nord, comme le souhaitaient les Etats-Unis, moins dembraser toute la Pninsule. Ltrangler conomiquement est illusoire ; le rgime est rsistant, il nhsite pas affamer sa population et bnficie du soutien de Pkin. Reste la voie dun dialogue global qui porte autant sur la scurit, la paix, le dveloppement conomique que les relations de Pyongyang avec le reste du monde. Nous devons prouver aux dirigeants nord-corens que nous ne sommes pas leurs ennemis .
Comme lcrit dans Le Monde diplomatique Bruce Cumings, professeur de relations internationales luniversit de Chicago : Kim Dae-Jung, puis Roh Moo-Hyun, ont eu le mrite de sopposer, avec modration mais constance, la politique dtranglement de Pyongyang dfendue par les Etats-Unis. Bill Clinton avait compris que seule la diplomatie et la patience russiraient avec la Core du Nord. Mais Georges Bush a tout fait pour torpiller les efforts de Soul, ne voulant pas -pour des raisons idologiques et pour justifier la prsence militaire amricaine dans la rgion- blanchir le rgime nord-coren. Heureusement depuis 2000, malgr des revers et des dceptions, les dirigeants sud-corens ont toujours privilgi avec Pyongyang le dialogue sur lisolement .

Mais quel est lintrt de la Core du Nord ces meilleures relations bilatrales ?

Le rgime de Kim Jong-Il a apparemment moins gagner dun apaisement de la tension dans la Pninsule. Au bord de la banqueroute, sans industrie, sans soutien populaire, isol diplomatiquement, il est davantage menac par une ouverture sur lextrieur. Le chantage quil exerce depuis des annes grce sa probable possession de larme nuclaire lui a certes valu lopprobre international, mais la aussi mis labri dactions de dstabilisation. Le 9 octobre 2006, Pyongyang a ralis un essai nuclaire, et en juin dernier il a une nouvelle fois test son missile Taepodong 2, dune porte de 6500 kilomtres. Une politique qui a permis ce petit Etat de 25 millions dhabitants de tenir tte la premire puissance mondiale qui la class parmi les pays de laxe du mal . Limitant la marge de manuvre de larme amricaine, sa proximit gographique avec Soul 40 km et la bienveillance de Pkin parachvent sa dfense.
Nanmoins, les hirarques du dernier rgime stalinien de la plante savent que le temps joue en leur dfaveur. La survie du systme passe par une normalisation des relations avec les Etats-Unis et la Core du Sud. Cest pourquoi Pyongyang a accept, le 13 fvrier dernier, de renoncer son programme nuclaire en change dune aide nergtique et de garanties de scurit. Elle espre aussi la leve des sanctions amricaines son encontre. Pour linstant, elle a respect sa parole : les inspecteurs de lAIEA, lAgence internationale de lnergie atomique, ont constat que la centrale de Yongbyon celle o tait enrichi luranium a t dsactive. Trois autres racteurs nuclaires sont en cours de dmantlement. Pyongyang fait preuve dune coopration exceptionnelle , a reconnu Christopher Hill, le ngociateur amricain sur ce dossier, pourtant peu coutumier des flicitations Pyongyang. De son ct, Soul lui a immdiatement livr 700 000 tonnes de crales, outre du fioul, du ciment et de lacier. Un accord de coopration conomique a galement t sign entre les deux voisins le 16 novembre, cinq semaines aprs lhistorique sommet inter coren. Comme Kim Dae-Jung le confiait au Monde : Quelle le veuille ou non, la Core du Nord est contrainte dvoluer sur les traces de la Chine ou du Vietnam, fermet politique et libralisation conomique. Si lattitude du monde devient moins hostile son gard, je suis convaincu que lvolution sera rapide .
Les dirigeants nord-corens savent aussi quune attitude trop intransigeante pourrait favoriser llection dun prsident conservateur Soul, moins bien dispos envers eux.

Llection prsidentielle Soul pourrait-elle avoir une influence sur les relations inter corennes ?

Cela nest pas impossible. Juridiquement, laccord inter coren du 4 octobre na aucune valeur contraignante. Ce nest ni un trait ni une convention, mais la dfinition dune politique, appuye par une srie de projets. Tout nouvel lu pourrait donc le remettre en cause. Or Lee Myung-Bak, le candidat du Grand Parti National, la formation dopposition conservatrice, est en tte des sondages. Pire, il est aiguillonn par Lee Hoi-Chang, un ancien juge de la Cour suprme, membre de laile dure du GPN, qui menace dannoncer sa candidature si Lee Myung-Bak naffiche pas une plus grande fermet contre Pyongyang. Et Lee Hoi-Chang de rappeler limprvisibilit du rgime nord-coren, les nombreuses fois o il na pas respect ses engagements, les dclarations tonitruantes de Kim Jong-Il menaant de transformer la Core du Sud, valet de limprialisme amricain, en un champs de ruines . Lessai du missile Taepodong 2 en juin dernier lui donne des arguments. Lee Hoi-Chang appartient cette gnration de Sud-Corens pour qui le Nord est lempire du mal. Il sest promis de faire battre les gauchistes comme Roh Moo-Hyun qui nous prparent un dsastre nuclaire dans la Pninsule, sans avoir la moindre garantie de la sincrit de Pyongyang en faveur de la paix . Officiellement cependant, le GPN, sil remporte llection prsidentielle, poursuivra la politique de rconciliation et de coopration avec le Nord.
Les associations humanitaires Soul regrettent que laccord inter coren ait lud la question des droits de lHomme. Les liberts individuelles sont totalement bafoues au-del du 38me parallle ; Amnesty International estime au moins 500 000 le nombre de prisonniers politiques, parmi lesquels des familles entires. Il existe des limites au pragmatisme dans les relations avec le Nord, estime Kim Yun-Tae, le secrtaire gnral de lOng NKnet. Le discours selon lequel il faut dabord multiplier les changes conomiques, favoriser louverture du rgime, avant dexiger une amlioration des droits de lhomme, peut tre fond, mais il frise aussi le cynisme. Lamlioration de la situation conomique ne garantit pas un meilleur respect des droits humains. La Chine en est la preuve .
Pour sa part, Park Sun-Song ne croit pas que le prochain prsident, qui quil soit, reviendra sur laccord du 4 octobre, moins dun changement dattitude radical de la part de Pyongyang. La majorit des Sud-Corens approuve cet accord. La division de la Pninsule na que 60 ans. Cest peu compar lhistoire de notre nation , souligne le professeur dtudes nord-corennes luniversit Dongguk. 80 % des Sud-Corens sont cependant ns aprs la guerre de Core (1950-1953). Pour eux, le nord de la Pninsule est plus comme un cousin perdu de vue que comme un frre, malgr les discours nationalistes des hommes politiques. Ils sont favorables un apaisement de la tension dans la rgion, moins une runification qui menacerait leur niveau de vie.

Jean Piel

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