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24/12/2007 | |||
Questions internationales (1) Pascal Boniface : George Bush, le pire prsident amricain depuis la seconde guerre mondiale | |||
(MFI) Pascal Boniface est directeur de lInstitut des relations internationales et stratgiques (Iris), Paris. Il nous livre son analyse sur ce que pourraient tre les relations internationales en 2008. | |||
MFI : 2008 sera une anne lectorale aux Etats-Unis. Comment envisagez-vous cette dernire anne du mandat de George Bush ? Pascal Boniface : Certainement pas meilleure que les annes prcdentes. George Bush est dsormais un prsident en sursis, un lame-duck president comme disent les Amricains ; il dirige toujours le pays, mais na plus gure de pouvoirs. On peut se rjouir que, depuis le rcent rapport des agences de renseignement amricaines affirmant que Thran a arrt son programme darmement atomique en 2003, le risque de voir les Etats-Unis se lancer dans une nouvelle aventure militaire, cette fois-ci contre lIran, est moindre. Ce serait politiquement, diplomatiquement et mdiatiquement trs difficile faire accepter. Cependant, il faut se garder de lillusion quune fois George Bush parti de la Maison blanche, la politique trangre de Washington deviendra subitement un modle dquilibre. Avant lui, les Etats-Unis ntaient dj pas les champions du multilatralisme. En outre, personne ne sait encore qui sera lu en novembre, or chez les Rpublicains comme chez les Dmocrates, on trouve des partisans dune politique trangre trs ferme comme des avocats dune plus grande modration. Ce qui est certain, cest que George Bush aura t le pire prsident amricain depuis la Seconde guerre mondiale, tant pour la plante que pour les Etats-Unis eux-mmes. La guerre en Irak a t une erreur majeure, et une faillite morale et stratgique. Le fait de concevoir les relations internationales comme une croisade, de les rduire un affrontement entre eux et nous, entre le bien et le mal, ne constitue pas un progrs, ni sur le plan intellectuel ni sur le plan stratgique. Je ne dis pas que tout ce qua fait George Bush a t ngatif, mais pour les intrts des Etats-Unis comme pour la scurit du monde, il a vraiment t le pire prsident depuis trs longtemps. MFI : Pensez-vous quaprs ce rapport des agences de renseignement amricaines, en effet lIran ne constitue plus une menace ? P. B. : Non. Ce rapport signifie quil ny a pas durgence. Le choix nest plus entre une guerre immdiate ou un Iran qui serait demain une puissance nuclaire. Sinon, que lIran soit une menace terme, bien sr. Que ce pays pose des problmes, cest certain. La possession de larme nuclaire par Thran reprsenterait videmment un changement stratgique et une menace dramatique pour la rgion. Mais on nen est pas l. Ce rapport confirme que la ngociation est encore possible ; on a du temps. Les dirigeants iraniens sont sensibles la dialectique cotavantage dune ngociation. Il faut donc voir ce qui les inciterait possder larme atomique, et ce qui, au contraire, leur ferait penser quils ont intrt ne pas la possder. Puis ngocier en fonction de ces paramtres. Mais la technique de George Bush consistant dire Je ne parle avec Thran que du nuclaire et de lIrak est mauvaise. Il est illusoire dexiger de lIran quil abandonne ses deux seules monnaies dchange dans une ngociation sans rien obtenir en retour. En 2003, le rgime iranien avait propos aux Etats-Unis des pourparlers globaux, sur les changes commerciaux, la diplomatie rgionale, les relations stratgiques, le nuclaire Washington avait refus cette proposition en se disant : Si les dirigeants iraniens veulent discuter, cest que le pays est en position de faiblesse. Profitons-en. Cela a t une erreur dramatique. Il serait largement temps, aujourdhui, davoir une grande ngociation globale entre Washington et le rgime des mollahs. En outre, la menace militaire amricaine ne fait que renforcer le prsident Mahmoud Ahmadinejad. Cest une raction de corps, nationaliste, face un danger extrieur. Sinon, le prsident iranien est contest dans son propre pays du fait de la mauvaise sant de lconomie et des atteintes aux liberts individuelles. Sans la menace amricaine, Mahmoud Ahmadinejad serait minoritaire en Iran. Or des lections lgislatives ont lieu au printemps prochain. MFI : 2008 est aussi une anne lectorale en Russie. L, le scnario semble crit davance : Vladimir Poutine sera le Premier ministre du futur prsident. Conservera-t-il nanmoins autant de pouvoir quaujourdhui ? P. B. : Vladimir Poutine a choisi son dauphin, Dmitri Medvedev, et il sera son Premier ministre. Il est trs peu probable que les choses se passent diffremment. Certes, Vladimir Poutine est critiqu ltranger, mais il est trs populaire en Russie. Or ce sont les Russes qui votent. Ceux-ci lui sont reconnaissants davoir restaur la situation conomique. Entre 1991 et 2000, le PIB avait chut de moiti. Depuis larrive de Poutine au Kremlin, le PIB est revenu son niveau davant ; les Russes ont un meilleur niveau de vie. Imaginer quelle serait la situation dans nimporte quel pays dont le PIB diminue de moiti en neuf ans. En outre, Vladimir Poutine a restaur limage de la Russie. Certes, le pays reste critiqu pour ses atteintes aux droits de lhomme, labsence de libert de la presse, sa justice trs partiale, la confiscation du pouvoir par une petite lite Mais la Russie nest plus mprise comme elle ltait dans les annes 90. Elle a retrouv une prsence et une autorit sur la scne internationale. Cest important pour les Russes. Poutine, cest linverse de Gorbatchev : il est populaire dans son pays et critiqu ltranger. Si la Constitution lui donnait le droit de se reprsenter llection prsidentielle, il serait lu. Alors, conservera-t-il autant de pouvoir comme Premier ministre que comme chef du Kremlin ? Cest probable. Certes, on a vu des cratures chapper leur crateur. Dmitri Medvedev pourrait ne pas accepter, aprs un certain temps, de ntre que le prsident docile dun Poutine tout puissant ; il pourrait revendiquer la plnitude du pouvoir prsidentiel. On ne sait pas comment va voluer le rapport de force entre les deux hommes. Mais il est difficile aujourdhui en Russie de concurrencer Vladimir Poutine. Dmitri Medvedev na pas le dixime de sa popularit. Il sera chef de lEtat par la seule volont de Poutine. Cest une donne quil peut difficilement ngliger. Il lui restera aprs dfinir son espace politique. MFI : Lautoritarisme de Vladimir Poutine, ses propos menaants en cas dindpendance du Kosovo, son soutien au programme nuclaire iranien ne prouvent-ils pas un pouvoir de nuisance inquitant de la part de la Russie ? P. B. : On peut appeler cela un pouvoir de nuisance. On peut aussi considrer que Moscou ne fait que dfendre ses intrts bien compris, qui ne sont pas ncessairement les mmes que les intrts franais, allemands ou amricains. Comment leur en vouloir ? Tout pays dfend ses intrts nationaux. Ce nest un pouvoir de nuisance que par rapport la toute-puissance occidentale. Cest un contre-pouvoir aux ambitions amricaines. La Russie veut simplement se faire respecter et dfendre ses intrts nationaux. Ce que Moscou dit sur le Kosovo est plus conforme ce que disaient les Occidentaux lors de la guerre, savoir que la souverainet de la Serbie sur la province navait pas tre remise en cause par le conflit. En lespce, ce sont les Russes qui respectent ce qui a t dit lpoque et les pays occidentaux qui parjurent leurs premiers engagements. Il faut reconnatre que les capitales occidentales ont t plus sensibles lpuration ethnique contre les Kosovars qu celle mene contre les Serbes. Par contre, je ne crois pas un retour de la Guerre froide, comme on le dit parfois, car la Russie ne veut plus renverser le systme amricain. Elle ne propose pas un contre-modle par rapport au modle amricain. Elle veut simplement dfendre ses droits et ses intrts. Ces dernires annes, nous nous tions habitus une Russie en retrait, qui ne sexprimait pas. Aujourdhui, Moscou revient dans le concert des nations. MFI : Changeons de rgion. Pourra-t-on assister, en 2008, des volutions significatives en Irak, dfaut de la paix ? P. B. : Un jour ou lautre, la paix reviendra en Irak. Ce pays a tellement souffert que la vie conomique, la vie intellectuelle, les changes sociaux ont quasiment disparu. Tout cela ne peut que renatre un jour. Mais le pire a-t-il t atteint en 2007, le sera-t-il en 2008 ? Rien nest certain. Mon sentiment est que tant quil y aura une prsence militaire amricaine en Irak, ni le retour la paix ni la reconstruction du pays ne seront possibles. La prsence militaire trangre est le problme, pas la solution. Si les troupes trangres partaient demain, on assisterait dans un premier temps une aggravation du chaos, puis un retour la paix. Mais tant que les soldats de la coalition seront dploys en Irak, le dbut mme de la reconstruction est illusoire. MFI : Les Etats-Unis voquent un Etat palestinien avant la fin de lanne 2008. Partagez-vous cet optimisme ? P. B. : La confrence dAnnapolis, au mois de novembre dernier, reprsente un espoir srieux. Pour la premire fois depuis sept ans, le principe mme de ngociation entre Israliens et Palestiniens a t reconnu. En cela, cest un point positif. Mais il ne faut pas non plus se bercer dillusions. Le gouvernement isralien a dj averti que le calendrier voqu la cration dun Etat palestinien avant fin 2008 ntait pas contraignant. Cela nincite pas loptimisme. Il ne faut pas oublier que la feuille de route dfinie par le Quartet (Etats-Unis, Union europenne, Russie, Onu. NDLR) prvoyait un Etat palestinien en 2005. Elle na pas t respecte. Non seulement le calendrier fix Annapolis nest dj plus respect, mais aucun des sujets qui fche na t rsolu lors de cette confrence : le statut de Jrusalem, lavenir des rfugis, le sort des colonies. Dernire inconnue : les Etats-Unis ont-ils vraiment les moyens et la volont de faire pression sur leur alli isralien ? Rien nest moins sr. Si Tel-Aviv ne subit aucune pression, elle ne restituera pas les Territoires occups. Cest une politique coteuse long terme pour lEtat hbreu, mais les responsables politiques les Israliens comme les autres raisonnent souvent court terme. Sans calendrier strict, sans pression ferme sur Isral, sans la rsolution des sujets les plus sensibles, voquer la cration dun Etat palestinien ne peut que dboucher sur un espoir du de plus. MFI : Les Palestiniens nont-ils pas aussi leur part de responsabilit dans ces checs successifs ? P. B. : Le problme est quil ny a plus dAutorit palestinienne. Le prsident Mahmoud Abbas ne contrle plus grand-chose. Pour quil retrouve son pouvoir, il faudrait quil puisse prouver aux Palestiniens que ngocier avec Isral paie immdiatement. Mais lorsquon compte toujours 600 barrages israliens en Cisjordanie, les ngociations ne paient pas. Le dfi de lAutorit palestinienne est de pouvoir amliorer les conditions de vie de la population immdiatement, dans les semaines qui viennent. A dfaut, cest le Hamas qui gagne des points. En ce sens, lintransigeance isralienne va contre les intrts long terme de lEtat hbreu ; elle ne fait que renforcer les extrmistes du Hamas. La rcente confrence des donateurs Paris a accord 7,4 milliards de dollars daide lAutorit palestinienne. Cest davantage que prvu, mais cest aussi un aveu dimpuissance. Sans occupation militaire isralienne, les Palestiniens nauraient pas besoin daide. Sils pouvaient cultiver, produire, exporter librement, ils nauraient pas besoin de subventions. Cette aide nest que la compensation de labsence daccord politique. Cest une faon pour les pays occidentaux de se donner bonne conscience en disant : Nous ne sommes pas capables de mettre en uvre un accord de paix, mais au moins nous mettons la main la poche . On peut sinterroger sur lintrt de construire et reconstruire des infrastructures dans les Territoires si elles sont ensuite dtruites par larme isralienne. De mme, Isral va clbrer en 2008 le 60 anniversaire de sa cration. Elle le fera certainement avec joie et fiert. Mais si les Palestiniens ne reconnaissent pas cet anniversaire, tout comme les Israliens ne reconnaissent pas les 60 ans de souffrance du peuple palestinien, bref si on ne se situe pas dans une perspective de paix, ce genre de clbration ne pourra quaviver les tensions. MFI : Changeons dhmisphre. Fidel Castro est vieux et malade. Que pourrait devenir Cuba sans Castro ? P. B. : Le pays sera videmment diffrent, mme si cest son frre, Raul Castro, qui sempare du pouvoir. Sa lgitimit, son aura symbolique, son charisme seront moins forts que ceux de Fidel. Il sera probablement plus facile aux Etats-Unis dentamer des discussions avec La Havane. On peut mme imaginer une chute du rgime, mme si cest loin dtre certain. On dit Raul Castro intress par le modle chinois : fermet politique et libralisme conomique. Mais il nest pas sr quil ait les moyens de mener une telle rforme. Le pays est plus petit, moins puissant que la Chine. Louverture conomique risque dentraner un tremblement de terre politique. Mais cela, seul lavenir nous le dira. * Pascal Boniface vient de publier 50 ides reues sur ltat du monde (Ed Armand Colin) | |||
Propos recueillis par Jean Piel | |||
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