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16/01/2008
Questions internationales (2)
Jean-Franois Colosimo : Un athe ne pourrait pas tre lu prsident des Etats-Unis


(MFI) Historien des religions, Jean-Franois Colosimo a publi Dieu est amricain. De la thodmocratie aux Etats-Unis (d. Fayard). Selon lui, le clivage entre protestants et catholiques amricains tend se fondre en une religion commune dans laquelle sont vnrs Dieu, la dmocratie et la patrie. Avec une rfrence constante la Bible.

MFI : Pourquoi qualifiez-vous les Etats-Unis de thodmocratie ?

Jean-Franois Colosimo : Habituellement, on oppose une thocratie, comme lIran, une dmocratie, comme la Suisse, o le peuple gouverne et non pas Dieu. Les Etats-Unis ont invent un nouveau systme politique o les Eglises sont indpendantes, libres de lEtat, mais o lEtat, lui, nest pas libre des Eglises et de la religion. Les statistiques le montrent ; plus de 80 % des Amricains se disent croyants, prs de 60 % sont pratiquants. Les hommes politiques ne peuvent pas ignorer un tel phnomne. Surtout, au-del des diffrences thologiques entre protestants et catholiques, le pays a cr une nouvelle confession abstraite, qui repose tout la fois sur la Bible et la Dclaration des droits de lhomme. Cest une religion civile o chacun, quil se dise baptiste, catholique ou bouddhiste, partage un socle de valeurs communes o se retrouvent Dieu, la dmocratie et la patrie. Voil les trois divinits amricaines, la nouvelle Sainte-Trinit. Dune certaine manire, cest un patriotisme dot dun caractre sacr.
Cette religion amricaine do le terme de thodmocratie a son histoire sainte (la dcouverte du nouveau continent), ses martyrs (Abraham Lincoln et Martin Luther King notamment), son livre saint (la Constitution) et ses lieux de prires (les btiments publics qui ressemblent des cathdrales). Cest aussi une religion qui cherche stendre partout dans le monde : 120 000 missionnaires protestants amricains font du proslytisme ltranger. Ils taillent mme des croupires aux catholiques au Japon, au Brsil, en Russie.

MFI : On ne peut pas parler de religion unique aux Etats-Unis. Les diffrends existent entre protestants et catholiques.

JFC : Cest vrai. La libert religieuse est une ralit aux Etats-Unis, et cest certainement la libert laquelle les Amricains sont le plus attachs. Au-del des questions dogmatiques, les protestants ont toujours entretenu une certaine mfiance lencontre des catholiques dont le chef suprme ne se trouve pas aux Etats-Unis, mais au Vatican. La progression du catholicisme en outre est lie limmigration italienne, puis latino-amricaine.
Cependant, lopposition entre protestants et catholiques est moins forte aux Etats-Unis quelle ne lest en Europe. Ce socle de valeurs communes Dieu, la dmocratie, la patrie est essentiel. Ce que jappelle une religion civile a pour effet de gommer les diffrences les plus tranches entre les diffrentes Eglises pour aboutir des ides communes et une mme rfrence la Bible. Lautre consquence de cette religion civile est de faire des glises des lieux de socialisation. Aux Etats-Unis, on ne fait pas que prier dans une glise catholique, un temple protestant ou une synagogue. Cest aussi un lieu o lon discute de la vie du quartier, o lon joue au loto, o les jeunes font du sport

MFI : Pensez-vous que les dirigeants, notamment George Bush, ont pris des dcisions sur la seule base de leur foi, indpendamment dune lecture objective dun dossier ?

JFC : Cest certainement possible. La majorit des lus au Congrs voyagent peu ; ils ont une faible connaissance des ralits du monde. Leur lecture du conflit isralo-arabe est influence par leur religion. De mme, lorsque les Etats-Unis ont soutenu en Afghanistan des mouvements islamistes dans les annes 80, leur but tait certes de dloger les troupes sovitiques. Mais que ces islamistes soient pieux, ne boivent pas dalcool, aient une vision traditionnelle de la famille, ntait pas pour leur dplaire. On voit aujourdhui quel point les dirigeants amricains navaient pas compris ce qutait le fondamentalisme musulman.
George Bush reconnat lui-mme tre convaincu que Dieu est ses cts lors des dcisions les plus difficiles, celles qui dcident de la guerre et de la paix. Pour le prsident amricain, sa politique trangre est dailleurs une croisade . Les Etats-Unis estiment devoir assurer le bien sur terre, au moins pour se protger eux-mmes du mal. Dployer des troupes ltranger ne les sduit pas ; ils nont pas dambition expansionniste. Mais ils estiment avoir une mission millnariste : protger le monde du mal.

MFI : Un athe pourrait-il tre lu la tte des Etats-Unis ?

JFC : Non, cela me semble impossible. Etre athe, cela signifie ne pas avoir compris une partie des Etats-Unis. Cest ne pas tre en phase avec la grande majorit des habitants. Comment tre lu prsident dans ces conditions ? Comment prtendre reprsenter ses concitoyens ? Etre athe, cest presque un signe dimmoralit. Les Europens estiment quun individu peut tre moral sans croire en Dieu, pas les Amricains.
Tous les candidats la prsidence doivent tre des Born again, cest--dire tre n une seconde fois aprs leur rencontre avec Dieu. Tous disent avoir connu cette exprience personnelle trs forte. En outre, les chrtiens militants disposent de puissants rseaux dinformation, de relais forts dans lopinion. Ils ont une grande capacit de mobilisation. Certes, ce ne sont pas des faiseurs de roi. Cela ne leur suffit pas pour faire lire un candidat, mais cela suffit pour en liminer certains.

Propos recueillis par Jean Piel

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