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16/01/2008
Questions internationales (1)
Lesprit de Dieu plane sur les lections amricaines


(MFI) La campagne pour les primaires se poursuit aux Etats-Unis. Ceux qui ont le vent en poupe aujourdhui ne seront pas ncessairement ceux finalement investis par leur parti. Tous les prtendants, par contre, parlent de Dieu dans leurs discours, citent la Bible et voquent leur foi personnelle. La religion est devenue un enjeu lectoral. Autrefois chasse-garde des Rpublicains, le sujet est aujourdhui galement dfendu par les Dmocrates.

Quelle est limportance respective des diffrentes religions aux Etats-Unis ?

Tlvanglistes charismatiques, glises gantes aux milliers de fidles enthousiastes, influence dterminante des communauts religieuses locales La religion aux Etats-Unis semble, linstar du pays, un phnomne imposant et incontournable. Tous les universitaires lcrivent dailleurs : la rfrence la religion est essentielle la comprhension des Etats-Unis, tant dans la vie sociale, culturelle que politique. Une dimension qui remonte lorigine mme du pays, lorsque les premiers colons protestants, au XVII sicle, fondrent des villes avec la conviction dtre investis dune mission divine : celle de faire fructifier une nouvelle terre de Sion . Cela ninterdit pas aujourdhui une stricte sparation de lEglise et de lEtat, au point que le gouvernement fdral ne subventionne aucune cole confessionnelle au nom de la libert religieuse affirme par la Constitution.
Selon le Yearbook of American Churches, 80 % des Amricains se disent croyants et 54 % pratiquants ; 36 % appartiennent une Eglise dont le rle est autant communautaire que religieux quils frquentent une fois par semaine ; des taux bien plus levs quen Europe. Toujours selon le Yearbook of American Churches, 52 % des Amricains sont protestants, 26 % catholiques, 1,4 % juifs, 0,6 % musulmans et 0,5 % bouddhistes. Environ 15 % se disent sans religion.
La communaut catholique progresse rapidement depuis 1990, notamment du fait de limmigration latino-amricaine, alors que le nombre de protestants tend se tasser. De faon surprenante, la religion qui se dveloppe le plus est lislam, l encore cause du phnomne migratoire. Les 6 8 millions de musulmans amricains (+109 % depuis 1990) se plaignent de discriminations depuis les attentats du 11 septembre, tout en reconnaissant quils bnficient dune parfaite libert de culte. En 2006, un musulman Keith Ellison a pour la premire fois t lu la Chambre des Reprsentants.
Les protestants fondamentalistes le plus souvent vanglistes sont trs actifs au niveau politique et social. Ils bnficient dimportants soutiens dans le monde des affaires et les cercles dirigeants. Malgr leur activisme et leur visibilit, ils restent nanmoins minoritaires. Ils donnent aux Etats-Unis une image de socit puritaine, austre, invoquant sans cesse les valeurs morales. Pourtant, en matire de murs et de liberts individuelles, le pays a souvent t un prcurseur. De mme, le nombre dAmricains se dire athes ou agnostiques est en hausse constante depuis les annes 90.

Cette importance de la spiritualit influence-t-elle la vie politique amricaine ?

En 1960, John Kennedy qui allait devenir le premier prsident amricain catholique avait tenu prciser : Je ne suis pas un candidat catholique, mais un candidat la prsidence qui se trouve tre catholique. Las. La rfrence la religion influence toute la vie publique aux Etats-Unis : on trouve une Bible dans les chambres dhtel ; les billets de banque portent la mention In God we trust ; les prsidents prtent serment sur la Bible et la majorit des discours, au Congrs comme devant des assembles locales, se terminent par God bless Amrica (que Dieu bnisse lAmrique). Mais comme le souligne Denis Lacorne, dans son livre De la religion en Amrique (Ed Gallimard) : La plupart du temps, ces rfrences ne renvoient pas un Dieu en particulier ; elles sont abstraites et symboliques. Il sagit du besoin dune protection suprieure.
Sur le terrain politique, Dwight Eisenhower prsident de 1953 1961 lavait assur : Un gouvernement est nul et non avenu sil ne se fonde pas sur une foi religieuse profondment ressentie, mais je me soucie peu de savoir laquelle. Un discours remis au got du jour par Ronald Reagan, proche de la droite conservatrice chrtienne, puis depuis 2000 par George Bush. Ce dernier entretient des relations privilgies avec les chrtiens fondamentalistes qui aiment se prsenter comme la majorit morale . Il est pourtant membre de la mme Eglise quHillary Clinton et Barack Obama, lEglise mthodiste unie, considre comme modre. Dans ses discours, George Bush fait souvent rfrence Dieu. Il commence ses runions par une prire o on le voit, les mains jointes et les yeux clos, dans un profond recueillement. A en croire le New York Times, sous sa prsidence, lintrusion du religieux dans le politique a pris des proportions nouvelles. Des groupes religieux dextrme droite, opposs lavortement, la lutte contre le sida, aux recherches sur les cellules souches, la thorie de lvolution, ont reu des millions de dollars de subvention sous couvert daides des uvres sociales. Cette omniprsence de la religion constitue une menace pour la dmocratie . George Bush la reconnu : il est persuad que Dieu est ses cts dans les moments les plus importants, ceux qui dcident de la guerre et de la paix. Le vocabulaire nest pas innocent dailleurs : le locataire de la Maison-Blanche prsente sa politique trangre comme une croisade contre laxe du mal .
Les prsidents nont pas le monopole de la foi. Aucun gouverneur ou parlementaire ne prendrait le risque de sopposer une Eglise. Un seul membre du Congrs un lu dmocrate de Californie a os avouer ne pas avoir de religion. Les hommes politiques sont l en phase avec leurs administrs. Selon un sondage du magazine Newsweek, ralis en novembre 2007, 62 % des Amricains refuseraient de voter pour un athe. Ce qui fait dire lhistorien Jean-Franois Colosimo que les Etats-Unis sont une thodmocratie (voir interview ci-aprs).

Cette religiosit se retrouve-t-elle dans lactuelle campagne des primaires ?

Les candidats linvestiture ne parlent ni de lIrak ni de la crise des subprimes. Tous par contre voquent leur relation avec Dieu. On assiste une surdose de pit publique , se lamente Charles Krauthammer, lditorialiste du Washington Post. La religion a rarement t aussi prsente dans une campagne lectorale o les discussions de thologie ont donc pris le pas sur les orientations conomiques. Au cours dun dbat tlvis, Mitt Romney et Mike Huckabee les deux prtendants rpublicains se sont disputs sur le fait de savoir si la rincarnation du Christ aurait lieu dans le Missouri ou Jrusalem. Mitt Romney a prononc un discours entirement consacr la foi, au cours duquel il a affirm : Tout comme la religion a besoin de libert, la libert a besoin de religion. Les deux sont indissociables. De son ct, la dmocrate Hillary Clinton a ostensiblement assist aux offices de plusieurs Eglises protestantes. Les observateurs se demandent si le fait que Barack Obama ait suivi des cours dans un centre islamique en Indonsie (il navait pas dix ans lpoque !) ne risque pas de lui barrer la route de la Maison Blanche. Que son pre soit dorigine knyane narrange rien. Du coup, le candidat ne cesse de se justifier sur sa foi protestante. A plusieurs reprises, il a voqu sa relation personnelle avec Jsus .
Les principaux candidats des primaires ont tous particip lmission tlvise Faith Connections. Une mission au cours de laquelle, outre sexpliquer sur leur foi, ils ont subi un vritable examen de catchisme. Dieu a-t-il cr le monde en six jours ? O aura lieu le Jugement dernier ? Pensez-vous que tout ce qui est crit dans la Bible est vrai ? sont quelques unes des questions qui leur ont t poses. Pas un na refus de participer lmission. Pas un na dclar que sa foi relevait du domaine priv , sindigne Charles Krauthammer. Parce quen effet, aux Etats-Unis, la religion nest pas considre comme relevant de la seule sphre prive, comme en Europe , souligne Denis Lacorne.
La foi affiche de George Bush a-t-elle rendu lOncle Sam encore plus pieux ? Elisabeth Vallet, chercheuse lObservatoire sur les Etats-Unis (universit de Montral), ne le croit pas : La surenchre est propre aux primaires. Dans chaque camp, la base radicale est la plus mobilise. Or chez les Rpublicains, la base radicale est compose de chrtiens conservateurs. Rien ne dit quon assistera un tel talage de religiosit durant la campagne lctorale, une fois les deux candidats dsigns.

Les Rpublicains font-ils davantage de la religion un thme de campagne ?

Avoir pour prtendants un ancien pasteur baptiste (Mike Huckabee) et un mormon (Mitt Romney) favorise les dbats thologiques. Avec son accent du sud et ses discours populistes, Mike Huckabee nhsite pas brandir la Bible pour disqualifier ses adversaires. Une arme qui a permis cet ancien gouverneur de lArkansas inconnu il y a deux mois de simposer dans les sondages. Lhomme a beau affirmer que la religion dun individu ne constitue pas une barrire sa candidature car devenir Prsident na aucun rapport avec la foi , il courtise sans vergogne la droite conservatrice en se prsentant comme le seul vrai candidat chrtien . Un moyen de mieux stigmatiser son adversaire, Mitt Romney, membre de lEglise de Jsus-Christ des Saints des derniers jours, autrement dit mormon. Une religion considre comme hrtique par nombre de protestants, en particulier les vanglistes. Mitt Romney a beau tre un homme daffaires succs, avoir parfaitement organis les Jeux olympiques de Salt Lake City, se prvaloir dun parcours sans faute comme gouverneur du Massachusetts, il reste suspect auprs dune partie de llectorat qui associe les mormons la polygamie (ce nest plus vrai depuis 1896 !), voire des rites sataniques. Au point que Mitt Romney a d dclarer : Je crois que Jsus est le fils de Dieu et le sauveur de lhumanit () Si je suis lu, aucune autorit de mon Eglise ni daucune Eglise nexercera la moindre influence sur les dcisions prsidentielles. La presse amricaine sinterroge nanmoins : Un mormon peut-il tre prsident des Etats-Unis ?
Certes, tous les postulants rpublicains naffichent pas le mme got pour la religion. Lancien maire de New York, Rudolf Giuliani, se tient en retrait sur le sujet et dfend des ides plus progressistes que ses opposants. Mais prcisment, ce catholique deux fois divorc nenregistre pas dexcellents rsultats dans les primaires jusqu prsent.
Au-del de leur diffrence religieuse, si Mike Huckabee et Mitt Romney sopposent tant, cest quils partagent les mmes ides et chassent donc sur les mmes terres : dfense des valeurs morales (refus du mariage gay, de lavortement, promotion de la famille traditionnelle), conservatisme social, politique de scurit svre Comme lcrit Christopher Caldwell dans le Financial Times : Les deux veulent coaliser llectorat rpublicain classique, les noconservateurs et les chrtiens fondamentalistes. Cette stratgie a permis George Bush dtre relu en 2004, malgr les dboires en Irak et un bilan conomique mdiocre. Dans cette qute, un pasteur baptiste a certainement plus de chance quun mormon . La droite chrtienne reprsente un quart de llectorat aux Etats-Unis. En 2004, elle stait mobilise 80 % en faveur de George Bush. Cest dire son importance. Reste savoir si cette droite chrtienne a autant dinfluence quelle en avait il y a quatre ans. Les spcialistes en doutent, qui notent une moindre identification des chrtiens conservateurs au Parti rpublicain. Cest ce quexplique dans Le Monde Richard Cimino, rdacteur en chef de Religion Watch : Autrefois monolithique, le bloc de la droite chrtienne seffrite au risque de perdre son statut de faiseur de roi. Les jeunes protestants en particulier ne se reconnaissent plus dans le discours intransigeant des tenants de la majorit morale. En 2004, 55 % des vanglistes de moins de 30 ans approuvaient les Rpublicains ; ils ne sont plus aujourdhui que 37 %. Les Dmocrates ont combl leur retard chez les traditionnalistes.

Les Dmocrates ne sont donc pas en reste au niveau religieux ?

Au cours de ses deux mandats, Bill Clinton sest adress 28 fois des congrgations religieuses. Lexercice est oblig pour tout homme politique amricain. Aprs leur dfaite aux lections prsidentielles de 2000 et 2004, les Dmocrates ont compris quil leur tait impratif de combler leur religion gap avec les Rpublicains. Ces derniers ne devaient plus apparatre comme propritaires des questions religieuses. Les stratges du parti ont donc incit les lus souvent utiliser le mot valeur et multiplier les rfrences Dieu dans leurs discours. Certains lus dmocrates, comme Harold Ford ou Bob Casey, ont affirm haut et fort leur opposition lavortement. Dautres ont tourn leur clip de campagne depuis lglise de leur paroisse. Barack Obama revendique firement son appartenance une megachurch de Chicago, une de ces glises gantes qui, tous les dimanches, runit des milliers de fidles. Les Dmocrates ont aussi su redfinir la notion de valeur morale, ne la limitant pas au refus de lavortement ou de lhomoparentalit, mais ltendant au combat pour la justice sociale, laccs aux soins, la protection de lenvironnement, la paix dans le monde. Des thmes avec lesquels ils sont plus en phase. Comme le souligne Richard Cimino : Nous allons assister la monte dun courant vanglique pro-dmocrate. Entre la crise des subprimes et louragan Katrina, la justice sociale est devenue une grande valeur morale. En outre, le pire pch pour les conservateurs chrtiens, et pour nombre dAmricains, nest pas dtre dmocrate, mais dtre athe .

Jean Piel

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