Rechercher

/ languages

Choisir langue
 
Liste des rubriques
MFI HEBDO: Politique Diplomatie Liste des articles

22/01/2008
Questions internationales (1)
Hugo Chavez, le rebelle qui aime le pouvoir


(MFI) La mdiation dHugo Chavez a permis la rcente libration de deux otages des Farc en Colombie. Une nouvelle fois, le prsident vnzulien occupe le devant de la scne. Coutumier des dclarations enflammes, lhomme est un dictateur en puissance pour certains, un hros de la lutte contre la mondialisation librale pour dautres. Dcryptage.

Pourquoi la personnalit dHugo Chavez suscite-t-elle tant de controverses ?

Ha ou adul, Hugo Chavez ne laisse personne indiffrent, tant au Venezuela dont il est le prsident depuis 1998 qu ltranger. Petit, trapu, souvent vtu dune chemise rouge de rvolutionnaire bolivarien , lhomme est clbre pour ses discours-fleuves (son record est de 7 heures 43 mn), ses attaques verbales qui tranchent avec les usages diplomatiques comme lorsquil qualifie George Bush de tyran ou le prsident mexicain Vincente Fox de toutou des Etats-Unis , son soutien la dictature bilorusse, ses insultes voire ses menaces contre ses opposants, sa capacit parler dans une mme allocution du football, de lconomie, de sa famille, puis de la politique sociale
Si Hugo Chavez fascine et droute la fois, cest quau-del des mots, le chef de lEtat vnzulien mne un combat dtermin contre le libralisme, dans une Amrique latine revenue de toutes les idologies. Le voil promu hros et hraut des alter mondialistes. Les Etats-Unis en avaient presque fini avec Fidel Castro ; ils doivent maintenant faire face Hugo Chavez , samuse Teodoro Petkoff, le directeur du quotidien Tal Cual. Lancien lieutenant-colonel entend utiliser les revenus du ptrole le Venezuela en est le 5e exportateur mondial pour financer des politiques de dveloppement tant chez lui que dans les pays mergents. Applaudie ou dcrie, son action en faveur de lducation et de la sant ce quon appelle les missions bolivariennes rencontre un succs certain. Le tribun enflamm agit aussi, mme si ses diatribes anti-amricaines sont en contradiction avec le fait que Washington reste le premier partenaire commercial de Caracas. A la diffrence des autres membres de lOPEP, Hugo Chavez estime que lor noir doit avoir une finalit sociale et gopolitique , souligne lconomiste Miguel Gonzalez. Les observateurs sinterrogent : Hugo Chavez est-il un populiste de gauche, nostalgique des rvolutions, qui cache derrire un vernis dmocratique un got pour lautoritarisme ? Ou est-il un visionnaire audacieux et charismatique, partisan dune lutte contre les pays industriels et loligarchie vnzulienne pour rtablir la justice sociale dans un monde trop ingalitaire ? Un futur Castro ou un futur Nasser ?


Dans quelle circonstance Hugo Chavez est-il arriv au pouvoir

N le 28 juillet 1954, Hugo Chavez a dabord suivi des tudes lAcadmie militaire, puis un master de sciences politiques quil na pas termin. En 1983, il cre au sein de larme le Mouvement rvolutionnaire bolivarien, en rfrence Simon Bolivar, homme politique et chef de guerre qui, de 1812 1825, libra de la colonisation espagnole la Colombie, le Venezuela, la Bolivie et le Prou.
Le 4 fvrier 1992, Hugo Chavez mne un coup dEtat contre le prsident Carlos Andres Perez. Lopration choue, et Hugo Chavez se retrouve derrire les barreaux pour deux ans. A sa libration, il cre le mouvement Cinquime rpublique. Cest sa tte, et en se prsentant comme le flau de loligarchie et le hros des pauvres , quil est lu chef de lEtat en 1998, avec 56 % des voix. Il sera confortablement rlu en 2000 et 2006, et triomphera en 2004 dun rfrendum initi par lopposition visant le destituer. Entre temps, lancien militaire a lui-mme t victime, le 11 avril 2002, dun coup dEtat foment par les partis conservateurs et les milieux industriels. Le nouveau gouvernement sera immdiatement reconnu par les Etats-Unis, mais lintervention de larme et dimmenses manifestations populaires rinstalleront Hugo Chavez au pouvoir 47 heures aprs sa chute !
Ce coup dEtat et les grandes manifestations qui ont suivi illustrent la forte polarisation autour du prsident. Lhomme est dtest par les propritaires terriens, les dirigeants conomiques, la bourgeoisie et, dune manire gnrale, tous ceux qui bnficiaient du systme conservateur et ingalitaire davant. Mais il est adul par une partie de la classe moyenne, nombre dintellectuels, et les 60 % de Vnzuliens qui vivent en dessous du seuil de pauvret. Le 2 dcembre 2007 cependant, son projet de rvision constitutionnelle a t rejet par rfrendum, certes une courte majorit (50,7 % de non ; 44 % dabstention). Il sagit de la premire dfaite lectorale de lintress en neuf ans. Une dfaite qui remet peu en cause sa popularit dans le pays.

Comment expliquer la forte popularit dHugo Chavez au Venezuela ?

La rponse tient en deux mots : Missions bolivariennes. Lance en 2000, cette politique vise favoriser laccs aux soins, lducation, au crdit, aux produits de premire ncessit via un rseau dassociations locales, de dispensaires (gnralement tenus par des mdecins cubains), de coopratives. Comme le racontait dans Le Monde Francisco Perez, un chauffeur de taxi de Maracaibo : Ma vue baissait, et je navais pas les moyens daller chez lophtalmologiste. A la mission Barrio Adentro, jai pu tre opr gratuitement de la cataracte. Ma femme, elle, a appris lire grce des instituteurs bnvoles. Avant, nous les pauvres, tions ignors, mpriss. On pouvait crever. Aujourdhui, tout est diffrent. Le prsident Chavez nous a rendu notre dignit. Discours de propagande appris par cur ? Pas obligatoirement. Charge de lalphabtisation des adultes, la mission Robinson a appris lire 1,5 million de Vnzuliens depuis 2004 ; 600 000 lves sont aujourdhui scolariss dans 2 800 coles bolivariennes : des coles gratuites qui distribuent des repas et accueillent les enfants toute la journe afin que les deux parents puissent travailler. Paralllement, 50 millions de dollars ont t attribus en microcrdits, une rforme agraire a distribu trois millions dhectares de terres aux petits agriculteurs, et les mercal des mini supermarchs vendent les biens alimentaires prix subventionn. Rsultat : depuis larrive au pouvoir dHugo Chavez, la pauvret a diminu de 31 % et la consommation progress de 18 %. Les adversaires du chef de lEtat dnoncent une politique dassistanat qui ne favorise pas le dveloppement du pays. Reste quelle a amlior les conditions de vie de millions dindigents.
Ces missions bolivariennes sont finances grce la manne ptrolire. Le Venezuela produit trois millions de barils par jour, et lenvole des cours ces dernires annes lui a permis dengranger 30 milliards de dollars de rserves de change. Grce lindustrie ptrolire, le taux de croissance flirte avec les 10 % par an depuis 2003, la plus forte croissance en Amrique latine.
La popularit dHugo Chavez tient aussi son image de rsistant limprialisme amricain , de redresseur de torts. Par ses discours anti-occidentaux enflamms, sa figure de porte-parole plantaire des opprims, le prsident vnzulien a pris le relais de Fidel Castro, auquel il se rfre souvent.
Laura dHugo Chavez est enfin due son omniprsence dans les mdias. Trois fois par semaine, les tlvisions et radios du pays diffusent Alo presidente, une mission au cours de laquelle le chef de lEtat parle, des heures durant, de lconomie, de ses amis boliviens, de ses ennemis amricains, du bilan des Missions bolivariennes , de la religion, du football Il chante, invite des amis, prsente ses enfants. Cest le Chavez Show. Selon le dcompte du quotidien dopposition El Nacional, entre 1999 et 2006, Hugo Chavez a prononc 1 339 discours tlviss, soit 190 par an. Pour le sociologue Manuel Castells : Hugo Chavez est typique du caudillo sud-amricain, un leader la frontire de la secte, qui sappuie sur des masses en constante mulation, devant applaudir toujours plus de projets prsents de faon enthousiaste. Cest un populiste bienveillant mais autoritaire, et ses rformes loignent le pays de la dmocratie. Les Missions bolivariennes rpondent des objectifs sociaux, mais elles permettent aussi dencadrer la population. Chavez a tatis la pauvret. Une analyse partage par lcrivain pruvien Mario Vargas Llosa : Hugo Chavez utilise largent du ptrole pour acheter les pauvres, mlant embrigadement et clientlisme. Lorsque le roi dEspagne lui a demand de la boucler tellement sa logorrhe est solante, il a exprim le sentiment de beaucoup de Sud-Amricains.

Doit-on craindre une drive autoritaire du prsident vnzulien ?

A priori non. Ceux qui voient dans le Venezuela un Cuba continental exagrent. Mme si Fidel Castro prsente Hugo Chavez comme son fils spirituel . La presse de Caracas est libre, le multipartisme une ralit, il ny a pas de prisonniers politiques, et Hugo Chavez a toujours respect les chances lectorales. Les observateurs internationaux nont jamais constat de fraudes lors des diffrents scrutins. Entre lections et rfrendum, Hugo Chavez sest soumis cinq scrutins ces neuf dernires annes. Au plan conomique, plusieurs secteurs ont t nationaliss, mais le droit de proprit na jamais t remis en cause ni lindpendance des PME. Cela suffit-il rfuter toute tentation dictatoriale ? Peut-tre pas. Comme lexplique le directeur du quotidien El Universal : Hugo Chavez est trop subtil pour censurer directement un mdia. Mais les journalistes trop critiques subissent des contrles fiscaux, et les journaux dopposition ne reoivent plus de publicit. Tout est fait pour crer un climat dautocensure. Proche de lopposition et trs populaire grce ses telenovelas, la chane RCTV na plus le droit dmettre depuis mai 2007. A chaque campagne lectorale, Hugo Chavez a occup 20 fois plus de temps dantenne que ses adversaires. Il bnficie certes dune opposition divise et sans projet. Les programmes scolaires dfinis par Adan Chavez, le frre du prsident, ancien ambassadeur Cuba entendent crer un homme nouveau et dfendre le socialisme du XXIe sicle . On y apprend que le capitalisme est une forme de domination mondiale quil faut liminer, que laide aux plus pauvres est un devoir sacr, le consumrisme mprisable et que Simon Bolivar doit tre vnr.
Pour Alfredo Jimenez, professeur de sciences politiques luniversit de Caracas : Le Venezuela nest pas une dictature, mais il y rgne un climat oppressant. La critique contre Chavez nest pas interdite, mais elle vaut dtre qualifi de tratre, de suppt de limprialisme amricain, dennemi des pauvres. Les fonctionnaires qui ne se rendent pas aux meetings du prsident subissent des vexations mesquines. Via les Missions bolivariennes, les plus modestes sont surveills et enrgiments. Tout cela cre un climat dltre. Hugo Chavez concentre trop de pouvoirs, soi-disant pour le bonheur du peuple. En janvier 2007, Hugo Chavez qui ne cache pas son ambition de rester en poste jusquen 2030 a galement obtenu dun Parlement acquis sa cause le droit de gouverner par dcret pendant dix-huit mois. Les dputs se sont mis en vacances, et le prsident mne la politique quil souhaite, sans contre-pouvoir ni contrle.
Le projet de rvision de la Constitution portait les germes dune drive autoritaire selon nombre dobservateurs. Le Venezuela devenait une rpublique socialiste. Le prsident pouvait tre rlu indfiniment (ce qui ne faisait certes pas de Chavez un prsident vie, contrairement ce que certains ont crit). Aux cts des pouvoirs judiciaire et lgislatif tait cr un pouvoir populaire mal dfini, mais dont la consquence tait de renforcer le contrle des collectivits locales par le chef de lEtat. Enfin lArme devenait un corps bolivarien, patriotique, populaire et anti-imprialiste, qui pourra tre renforc par des milices populaires effectuant des missions de police . Une politisation de lArme inquitante. Evoquant ce projet, le gnral Raul Baduel, longtemps compagnon de route dHugo Chavez, a parl de coup dEtat institutionnel . Le texte a t rejet par rfrendum, mais Hugo Chavez na pas dit son dernier mot. Le soir du vote, il a dclar : Pour linstant, nous navons pas pu. Mais nous sommes faits pour les longues batailles.

Aprs presque dix annes au pouvoir, quel est le bilan dHugo Chavez ?

Nen dplaise ses dtracteurs, Hugo Chavez apparat comme un sauveur des millions de pauvres : 16 des 26 millions de Vnzuliens profitent en effet des Missions bolivariennes. Avec un chmage en baisse et un fort taux de croissance, lconomie nationale apparat en bonne sant. Les conservateurs critiquent le prsident. Mais quand ils taient au pouvoir, ils nont fait que favoriser les lites. Le libralisme conomique quils prsentent comme la panace na jamais rduit la misre, ni favoris la croissance , semporte lcrivain Maxime Vivas. Rplique du dput dopposition Javier Munoz : Les partis conservateurs ont certainement des torts. Mais une aide sociale comme les Missions bolivariennes ne constitue pas une politique de dveloppement. Evidemment, les plus pauvres sen flicitent. Mais quen sera-t-il long terme ? Hugo Chavez na pas russi sortir lconomie de sa dpendance lgard du ptrole. En effet, lor noir reprsente 47 % des recettes de lEtat et 90 % de ses exportations. Tant que les cours sont levs, tout va bien. Le Venezuela souffre sinon dune grave dsindustrialisation. La politique trangre de Caracas (voir article ci-aprs) et lincertitude quant lvolution du rgime rendent mfiants les investisseurs trangers. Les chefs dentreprises locaux, eux, sont dcourags par la fiscalit et la multiplication des contraintes rglementaires. Si le chmage baisse, 40 % des Vnzuliens travaillent encore cependant dans lconomie informelle, et linflation 18 % est la plus leve du sous-continent. Si notre pays va si bien, si le chavisme reprsente un tel modle, comment expliquer la criminalit record ? , interroge Javier Munioz. Plus de 12 000 homicides ont en effet t enregistrs en 2006.
Autre source dinquitude : une corruption endmique, favorise par lopacit du financement de laide sociale. Cest ce quexplique dans Le Monde lconomiste Miguel Gonzalez : Hugo Chavez puise sa guise dans les rserves de PDVSA, la compagnie ptrolire publique. Au lieu de se moderniser, celle-ci est devenue la vache lait des ambitions du prsident. () Le npotisme et la corruption sont la rgle. Chavez et ses amis interviennent dans tous les domaines, sans contre-pouvoir, sans contrle judiciaire ou parlementaire. Parfois des fins personnelles, parfois pour le bien immdiat du peuple. Hugo Chavez a invent le ptro-populisme.

Jean Piel

retour