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29/01/2008 | |||
Questions internationales (1) Les dfis de lOpep | |||
(MFI) LOrganisation des pays producteurs de ptrole se runit Vienne le 1er fvrier pour une confrence extraordinaire. Au moment o le prix du baril bat des records, le cartel cherche renforcer son influence sur un march ptrolier de plus en plus contrl par les institutions financires. Les dfis sont nombreux pour lOpep, notamment retrouver une unit sans laquelle lorganisation manque defficacit. | |||
Dans quelles circonstances lOpep a-t-elle t cre ? Le roi Abdallah dArabie Saoudite, le prsident vnzulien Hugo Chavez, son homologue iranien Mahmoud Ahmadinejad, lAngolais Jos Eduardo Dos Santos, les dirigeants du Kowet, du Nigeria et dIrak. Ce samedi 17 novembre 2007, les chefs dEtat des plus grandes puissances ptrolires se sont donn rendez-vous Riyad pour discuter de lenvole des cours de lor noir. Lvnement est exceptionnel car ce nest que la troisime fois depuis sa cration en 1960 que lOrganisation des pays exportateurs de ptrole (Opep) se runit ainsi au niveau des chefs dEtat. Les prcdents sommets ont eu lieu Alger en 1975 et Caracas en 2000. Habituellement, les confrences de lOpep se tiennent cinq ou six fois par an au niveau des ministres du Ptrole. LOpep a vu le jour Bagdad en septembre 1960, linitiative de cinq pays : lIran, lIrak, lArabie Saoudite, le Kowet et le Venezuela. Le Qatar les a rejoints un an aprs, lIndonsie en 1962. Aujourdhui, le cartel compte 13 membres (1), les derniers arrivs tant lAngola et lEquateur le 1er janvier 2007. Lors de la cration de lOpep, le march ptrolier tait totalement contrl par les grandes compagnies internationales, quon appelle des majors, telles BP, Mobil, Shell, Chevron ou Total. Ces grandes compagnies imposaient des prix toujours plus bas aux pays producteurs. Dans un contexte de dcolonisation des pays du Sud et de nationalisation des industries dans ces mmes pays, plusieurs dirigeants emmens par lIranien Mohammad Reza Pahlavi dcident de reprendre le contrle de leurs ressources naturelles, le ptrole tant alors vu comme un outil de dveloppement des nations nouvellement indpendantes. La naissance du cartel prsente donc une dimension politique certaine, mais il na pas t conu comme une arme contre lOccident. Les statuts de lOpep prcisent que son but est de coordonner et unifier les politiques ptrolires des Etats membres et de dterminer les meilleurs moyens de sauvegarder leurs intrts, individuellement et collectivement ; dviter des fluctuations des prix non dsires ; de scuriser des revenus stables aux pays producteurs tout en permettant une offre efficace aux pays consommateurs. LOpep se prsente donc comme une organisation conomique, et cest encore son but aujourdhui : rguler la production et lexportation dor noir afin de maintenir les prix un niveau lev pour les pays producteurs, mais toujours accessible aux pays consommateurs. LOpep nest-elle pas nanmoins avant tout une organisation politique ? Une telle affirmation serait excessive. Comme le souligne Edward McBride, auteur dune Histoire du ptrole (Oxford Publication) : Dans le contexte de la fin des annes cinquante, marques par la dcolonisation, lmergence des non-aligns, la force du nationalisme au Moyen-Orient, laction de lOpep est toujours reste mesure. Son objectif tait de se rapproprier une matire premire qui lui appartenait. Mais les pays membres avaient aussi conscience quils ne matrisaient ni lextraction ni le raffinage ni le transport. Les seuls marchs taient alors ceux des pays industrialiss. Limage de lOpep organisation politique tient lembargo quelle dcrte en 1973, en pleine guerre du Kippour, contre les pays occidentaux qui soutiennent Isral. Le prix du baril est multipli par trois (de 4 13 dollars), entranant une longue rcession conomique mondiale. Mais pour Edward McBride : Il est commode daccuser lOpep. Mais le choc ptrolier aurait eu lieu en tout tat de cause, la demande dor noir des pays riches avait atteint un niveau insupportable. Le second choc ptrolier se produit en 1979 lorsque le Chah dIran est renvers. Un rgime islamiste sinstalle Thran, puis la guerre clate entre lIran et lIrak. Mais lOpep peut difficilement faire figure daccus ici. Nassiste-t-on pas un renouveau du discours politique des exportateurs de ptrole ? Oui et non. Certains chefs dEtat veulent faire de lOpep un instrument politique. Cest le cas dHugo Chavez. LOpep doit se doter de vises gopolitiques. Elle doit tre lavant-garde de la lutte contre la pauvret dans le monde. Le ptrole doit tre rendu au peuple, et le prix du baril rest lev pour financer le dveloppement des pays du Sud. Pendant des dcennies, nous avons brad notre ptrole aux compagnies occidentales ; ce temps est fini , a dclar le prsident vnzulien, lors du sommet de lOpep le 17 novembre 2007. Celui dont la rhtorique anti-amricaine est dsormais clbre milite pour que le cartel vende le brut moins cher aux pays pauvres et cre une banque charge de financer le dveloppement. Caracas fournit dj des hydrocarbures bon march aux pays amis, notamment Cuba. Mais le discours dHugo Chavez est loin de faire lunanimit. Le roi Abdallah dArabie Saoudite lui a rpondu que le ptrole ne doit pas tre un instrument de conflit et dmotion , tandis que le prsident de lorganisation, lAlgrien Chakib Khelil, soulignait que lOpep na pas vocation devenir un mouvement politique . Les deux hommes ont conscience des diffrends qui opposent le Kowet, lArabie et le Qatar, riches et pro-amricains, au Venezuela et lIran, farouchement opposs Washington. De son ct, la Libye tente de retrouver une respectabilit internationale, et lIndonsie et le Nigeria maintiennent des relations quidistantes lgard des diffrents acteurs. Lunit de lOpep nest que de faade. Nanmoins, les Etats-Unis sinquitent dun axe CaracasThran qui influencerait le cours du brut. Cela dans un contexte o la demande dnergie est toujours plus forte et o certains pays font de leurs ressources un moyen de pression. On la vu lors de la rcente crise entre la Russie et lUkraine. Pour Vladimir Poutine, le gaz et le ptrole sont des instruments de coercition politique . Dans quelle mesure lOpep contrle-t-elle aujourdhui le march ptrolier ? Dans lesprit du public, en particulier lorsque le baril flirte avec les 100 dollars, lOpep, tel un Dieu surpuissant, dispose dun pouvoir hgmonique sur le prix du ptrole. La ralit est bien diffrente. Les membres de lOpep reprsentent 78 % des rserves connues et 43 % de la production, soit 31 millions de barils par jour. Pour rellement influencer le march, lOpep dont le sige se trouve Vienne, en Autriche doit donc agir de concert avec les producteurs non membres du cartel, comme la Russie, le Mexique, le Kazakhstan ou la Norvge. Son action sur loffre est sinon insuffisante. En outre, seule lArabie Saoudite 22,1 % des rserves mondiale dispose dune marge de manuvre ; les autres pays produisent dj au maximum de leurs capacits. L encore, le jeu sur loffre est limit. Selon Robert Mabro, prsident de lInstitut des tudes sur lnergie : Contrairement ce quon pense, lOpep a dautant moins de pouvoir que le prix du brut est lev. En effet, lorsque les cours battent des records, lOpep nayant pas de capacit de rserve est impuissante. Par contre, lorsque les cours sont bas, elle peut intervenir pour empcher un effondrement du march. Peu importe quelle dtienne 60 % ou 80 % de la production mondiale, tant quelle peut intervenir la marge, lOpep prouve sa force . Le cartel souffre aussi du manque de discipline de ses membres : les quotas de production quil impose sont rarement respects. Les pays dfendent leurs intrts individuels avant les intrts collectifs de lOpep. Rsultat : selon Chakib Khelil, le prsident de lOpep, le cartel nest en rien responsable de la flambe des cours. Il a toujours maintenu un approvisionnement adquat, ordonn et suffisant. La hausse actuelle tient la faiblesse du dollar et aux manuvres des spculateurs . Mettre davantage de barils sur le march na gure dinfluence sur les prix dans la mesure o, aujourdhui, la demande est satisfaite. Le prix du ptrole obit des facteurs multiples, et les records de ces derniers mois le prix du baril a augment de 57,2 % en 2007 laissent les experts songeurs (voir article ci-aprs). Depuis les annes 80, la logique de loffre et de la demande sest impose comme le mcanisme principal de fixation des cours, alors quavant ceux-ci taient dfinis par la seule volont de lacteur dominant du march : les compagnies ptrolires jusquau milieu des annes 60, puis lOpep les vingt annes suivantes. Nanmoins, Edward McBride, dans une tribune publie par The Economist, se refuse totalement ddouaner les pays exportateurs : Certes, le temps o lOpep dcidait seul et arbitrairement du prix du brut est termin, si tant est quil ait jamais exist. Aujourdhui, le jeu de loffre et de la demande, les interventions des marchs financiers, linfluence des majors sont des lments dterminants. Mais on ne peut pas rayer dun coup de plume ce qui se passe dans les pays producteurs. LOpep ne contrle que 43 % de loffre, certes ; cest nanmoins sa production qui assure lajustement face aux alas de la demande et aux tourments gopolitiques qui ont toujours affect la plante ptrolire. Quels sont les dfis auxquels lOpep fait face ? Changer son image pour ne plus apparatre comme un club de milliardaires assis sur leurs ptrodollars : cest lun des objectifs affichs certes timidement par lOpep. Lors du rcent sommet de Ryad, on a aussi parl dcologie et de dveloppement durable. Un budget de 306 millions deuros a t adopt pour la recherche sur lefficacit nergtique et la protection de lenvironnement. Par contre, la proposition de lIndonsie de crer un fond de protection de la biodiversit financ par un don de 50 centimes sur chaque baril vendu par lOpep a t carte. De mme que la suggestion du prsident Hugo Chavez de fonder une banque pour financer le dveloppement des pays du Sud. Le communiqu final se contente daffirmer que lnergie est essentielle pour radiquer la pauvret. La concurrence croissante des pays producteurs non-membres de lOpep est aussi un souci pour une organisation qui impose des contraintes ses membres au nom de la rgulation du march ptrolier. Troisime dfi pour lOpep : augmenter ses capacits de production. A lexception de lArabie Saoudite, les autres membres ne disposent pas de marge de manuvre pour accrotre leur approvisionnement. Les gisements non-exploits existent, mais lextraction y est difficile et coteuse. Cest le cas au Venezuela et aux Emirats arabes unis, ainsi que dans des rgions qui ne sont pas affilies lOpep, comme lAsie centrale ou lArctique. Grce la flambe des cours, lexploitation de certains gisements pourrait cependant devenir rentable, mme si le cot des forages a dj doubl depuis 2005. Les compagnies ptrolires qui ont gagn 20 milliards deuros au seul troisime trimestre 2007 forent dsormais 3 000 mtres de profondeur en mer, et jusqu 6 000 mtres en sous-sol. Ainsi, les sables bitumeux trs difficiles exploiter renfermeraient 600 milliards de barils. Mais les incertitudes gopolitiques dans certaines rgions en Iran comme au Nigeria freinent les investissements. Sadad Al-Husseini est, lui, beaucoup plus pessimiste. Lancien vice-prsident de la compagnie ptrolire saoudienne gologue internationalement respect estime que la production dor noir naugmentera plus. Il en veut pour preuve la baisse de loffre dans 33 des 48 pays dont le sous-sol est riche en hydrocarbures. La production mondiale de ptrole va stagner jusquen 2020 avant de dcliner inexorablement. Les chiffres officiels exagrent les rserves plantaires de 300 milliards de barils , dclarait-il dans une interview au quotidien Le Monde. La capacit mondiale de production est aujourdhui de 84 millions de barils par jour. Selon Sadad Al-Husseini, elle passera 70 millions dici 2030. Des chiffres que contestent les pays producteurs comme lAgence internationale de lnergie qui rappellent que la dcouverte de nouveaux gisements est toujours possible, de mme que les outils dextraction peuvent progresser. Mais Sadad Al-Husseini insiste : La situation est analogue celle dun rservoir deau que lon pomperait plus vite quil ne se remplit. Lextraction du ptrole ne peut pas augmenter indfiniment. La plante a dj consomm plus de la moiti du ptrole quelle renferme. Les pays de lOpep dpendent-ils exclusivement de la richesse de leur sous-sol ? Cest la dernire source dinquitude pour lOpep : les pays industrialiss dpendent moins du ptrole quil y a trente ans, pour produire de llectricit comme pour faire rouler les voitures ou faire fonctionner les usines. On consomme moins quauparavant, on conomise lnergie ; les alternatives au ptrole se dveloppent (biocarburants, olien, nuclaire), mme sil est encore impossible de se passer des hydrocarbures. La facture ptrolire de la France reprsentait 4 % de son PIB en 1980 ; un chiffre tomb 2 % en 2006. A contrario, les pays ptroliers restent extrmement dpendants de lor noir. A lexception de la Norvge et dans une moindre mesure du Kowet, aucun na dvelopp dindustrie digne de ce nom. Ils sont tous plus confronts la guerre civile ou la dictature (militaire ou religieuse) qu un dveloppement conomique et social harmonieux. Les revenus ptroliers reprsentent plus de la moiti de leur PIB, do une moindre marge de manuvre dans les ngociations internationales. Impossible de se passer de cette manne. En 2007, les membres de lOpep ont engrang 973 milliards deuros de revenus. Quel pourcentage en a t rinvesti dans lindustrie ? Cela fait dire Edward McBride : Le ptrole est comme une drogue dont il est impossible de se passer une fois quon y a got ; elle vous dtourne de tout le reste. Plus quune chance, le ptrole est une maldiction . (1) Iran, Irak, Arabie Saoudite, Kowet, Emirats Arabes Unis, Algrie, Angola, Libye, Nigeria, Qatar, Equateur, Venezuela, Indonsie. | |||
Jean Piel | |||
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