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12/02/2008
Questions internationales (2)
Pakistan : des lections sous tension


(MFI) Les lections lgislatives ont lieu le 18 fvrier au Pakistan. Lopposition va la bataille en ordre dispers, ce qui pourrait profiter au prsident Pervez Musharraf, pourtant peu populaire. Ce scrutin se droule sur fond de violence politique, alors que les mouvements islamistes ont une influence croissante dans le pays. La population, elle, souhaite le retour de la dmocratie et plus de justice sociale.

Je promets tous les partis politiques que les lections seront justes, quitables et transparentes. Je les exhorte participer au scrutin dans l'intrt suprme de la Nation. Cest en ces termes que le gnral Pervez Musharraf, le chef de lEtat pakistanais, a annonc dbut janvier le report des lections lgislatives initialement prvues le 8 janvier au 18 fvrier. Un report justifi par les meutes (58 morts) qui ont suivi lassassinat, le 27 dcembre, de Benazir Bhutto, et par les 40 jours de Moharram, le deuil chiite. Les partis dopposition ont vu dans ce report une manuvre du pouvoir pour truquer le scrutin. Le Parti du peuple pakistanais (PPP), la formation de Benazir Bhutto, esprait profiter du capital de sympathie cr par la mort de sa dirigeante pour simposer comme la premire force politique du pays. Un cadeau que ne souhaitait pas lui faire Pervez Musharraf.

Intrigues politiciennes

Malgr leurs craintes, tous les partis participeront ces lections lgislatives. Outre le PPP, lopposition sera reprsente par la Ligue musulmane (PML-N) de lancien Premier ministre Nawaz Sharif, rcemment rentr au pays aprs sept ans dexil, et par le MMA (Muttahida Majlis-e-Amal), une coalition de six partis religieux conservateurs. Les fidles du gnral Musharraf se regroupent, eux, autour dune autre branche de la Ligue musulmane, le PML-Q. Arriv au pouvoir suite un coup dEtat sans effusion de sang en octobre 1999, Pervez Musharraf sait sa popularit en chute libre, et son parti min par des luttes de clans. Les analystes Islamabad estiment que, sans manipulation des urnes, le chef de lEtat ne pourra pas obtenir la majorit des deux tiers dont il a besoin pour gouverner.
Le 27 novembre dernier, il a pourtant renonc son poste de chef dEtat-major des Armes afin de faire taire ceux qui lui reprochaient de concentrer tous les pouvoirs, civils et militaires. Une initiative bien tardive. De mme, le discours selon lequel lui seul est mme de protger le pays du terrorisme et du fondamentalisme ne convainc plus gure. Je vous promets aprs les lections un gouvernement dmocratique et constitutionnel , a lanc Pervez Musharraf la tlvision. Une affirmation trop souvent entendue depuis 1999.
Pour se maintenir au pouvoir, Pervez Musharraf compte sur la division de lopposition qui va la bataille en ordre dispers. Les discussions entre le PPP et le PML-N ont chou, et le premier compte toujours sur le prestige et lmotion associs au nom des Bhutto pour sduire les lecteurs. Si aucun parti nobtient la majorit absolue, le got du pouvoir pourrait favoriser une alliance entre une formation dopposition et celle du gnral-prsident. Des intrigues dappareils qui dcouragent les Pakistanais, mais qui caractrisent la vie politique nationale depuis des dcennies. Les politiciens sont tous issus de milieux privilgis. Ils trouvent toujours des accords entre eux, au mpris des intrts de la population , se lamentait, dans le quotidien Le Monde, un tudiant de Lahore. Pervez Musharraf triompherait alors : une victoire lectorale malgr la participation de tous les partis politiques. Sa lgitimit serait totale.


Les islamistes en embuscade

Le chef de lEtat bnficie aussi du soutien de lArme dont il est un pur produit, et sans qui rien nest possible au Pays des purs . LArme a directement dirig le Pakistan prs de trente ans sur ses 60 ans dexistence et indirectement le reste du temps. Seule institution stable et organise dans un pays en pleine tourmente, la grande muette absorbe 40 % du budget national, et ses intrts conomiques se chiffrent en milliards de dollars.
Les intrigues politiciennes, limpopularit de Pervez Musharraf, proche des Etats-Unis, et les difficults conomiques et sociales du Pakistan pourraient favoriser le MMA. Historiquement, les partis religieux nont jamais connu de bons rsultats lectoraux au Pakistan, mme si lislam y est religion dEtat. Majoritairement sunnites dinspiration soufie, les Pakistanais ne gotent gure lextrmisme. Mais, comme le souligne le politologue Amal Durrani, de luniversit dIslamabad : Les Pakistanais ne votent pas pour les partis religieux par idologie, mais parce quils ne croient plus dans les partis traditionnels corrompus. Ils ont tout essay, sans succs. Alors pourquoi pas les imams ? De mme envoient-ils leurs enfants dans les madrassas non par choix, mais parce quon y offre le vivre et le couvert et quil ny a pas dcoles publiques dans des milliers de villages. Ajoutez cela linfluence des Talibans voisins et le fort sentiment anti-amricain, et vous comprendrez pourquoi, aux lections lgislatives doctobre 2002 dj, le Muttahida Majlis-e-Amal a remport 20 % des siges. Il dirige dsormais deux des cinq provinces du pays, et pourrait ritrer sa performance lors de ce scrutin lgislatif. Pervez Musharraf ne sy est pas tromp, dont la formation, le PML-Q, est allie avec le MMA au Parlement. Une alliance de la carpe et du lapin tant lhomme, ami de George Bush, ne fait pas mystre de son aversion pour les intgristes. Mais il se sait aussi isol politiquement alors que le MMA a souvent loreille de lopinion.


Un climat de violence

Ces lections lgislatives se droulent dans un climat de tension extrme. Les dix jours de prise dotages la Mosque Rouge la plus ancienne mosque dIslamabad en juillet 2007 ont mis en vidence la dtermination croissante des mouvements islamistes, dans un pays qui dtient larme atomique. Les zones tribales, le long de la frontire afghane, chappent aux contrles des autorits, et ceux que lon surnomme les Talibans pakistanais font rgner leur loi dans un nombre croissant dagglomrations. Depuis 2003, plus dun millier de soldats pakistanais ont t tus lors daffrontements avec des groupes extrmistes. Lassassinat de Benazir Bhutto, les frquents heurts inter-communautaires tmoignent aussi du climat de violence qui rgne au Pakistan. Lattentat la bombe qui a fait au moins 20 morts lors dun meeting de lAwami National Party, une petite formation rgionale, samedi 9 fvrier, a encore ajout la psychose.
La population est lasse enfin des atteintes rptes la dmocratie. Lorsquil sest empar du pouvoir par un coup dEtat le 12 octobre 1999, Pervez Musharraf avait promis quil ntait l que pour remettre de lordre dans un pays rong par la corruption et le npotisme et quil rendrait le pouvoir aux civils dans un an. Les Pakistanais dans leur majorit lui avaient alors apport leur soutien. Huit ans aprs, le gnral-prsident est toujours en poste et ne donne aucun signe de vouloir quitter les affaires. Certes, depuis le 11 septembre 2001, les Etats-Unis dfendent un homme qui sest engag leurs cts dans la lutte contre le terrorisme. Mais avait-il bien le choix ? Le trs modr Talat Masood, ancien secrtaire dEtat la Dfense, estime que la manire dont Pervez Musharraf conduit les affaires de l'tat montre qu'il n'est intress que par la perptuation de son pouvoir . Le dernier exemple en date est la lutte qua mene le chef de lEtat contre un pouvoir judiciaire trop indpendant son got. Lutte quil a cependant perdue : aprs avoir limog le prsident de la Cour suprme, il a d le rinstaller dans ses fonctions sous la pression de la rue.

La rvolte de la socit civile

La socit civile sexprime en effet de plus en plus ouvertement contre Pervez Musharraf. Nous ne referons pas les erreurs de nos ans qui ne sont pas descendus dans la rue quand il le fallait. Nous nous battrons contre le rgne de larbitraire, limpunit des responsables, le rgne de larme en politique, la confiscation du pouvoir par un petit nombre. Nous souhaitons la dmocratie, le respect des lois, la justice sociale et la suprmatie de la Constitution , dclarait au Monde un tudiant, lors dune manifestation contre Pervez Musharraf Lahore. Ces manifestants sont issus des classes aises. Mais leurs revendications transcendent les classiques divisions ethniques, religieuses, politiques de la socit pakistanaise. Ils reprsentent le sentiment majoritaire. Le problme est de savoir par qui remplacer Pervez Musharraf , dfend Ijaz Shafi Gilani, le prsident de linstitut de sondage Gallup Pakistan. Hlas, ces manifestants pour la dmocratie ne trouvent gure de relais dans les partis politiques et manquent dun rel leadership.
La seule bonne nouvelle au Pakistan est le dynamisme retrouv de lconomie. Depuis ladoption dune politique librale par Pervez Musharraf, le taux de croissance est de 7 % par an. Les investissements trangers ont doubl pour reprsenter 7 milliards de dollars en 2007. Onze millions demplois ont t crs ces cinq dernires annes, et le pays est faiblement endett. Les indicateurs sociaux (ducation, sant) par contre restent mdiocres, et les ingalits abyssales. Les rsultats conomiques ne suffiront certainement pas restaurer la popularit dclinante du prsident Pervez Musharraf.


Jean Piel

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