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19/02/2008 | |||
Questions internationales (1) Impasse politique au Liban | |||
(MFI) Depuis le 24 novembre 2007, le Liban na plus de prsident de la Rpublique. La majorit souverainiste et lopposition pro-syrienne, autour du Hezbollah, narrivent pas sentendre sur le nom du chef de lEtat, ses pouvoirs et la composition du gouvernement. Le pays du Cdre est confront sa plus grave crise politique depuis la fin de la guerre civile en 1990. Certains redoutent une reprise des combats. | |||
Pourquoi cette crise politique au Liban ? Le 23 novembre 2007 minuit, Emile Lahoud a trs officiellement quitt le sige de la prsidence, sur les hauteurs de Beyrouth, tandis que la garde lui rendait une dernire fois les honneurs militaires. Au mme moment, de grandes ftes taient organises dans les rues de la capitale pour clbrer la fin du mandat du chef de lEtat. En fonction depuis 1998, Emile Lahoud ouvertement infod la Syrie nest pas regrett par les Libanais. Mais depuis son dpart, le pays du Cdre na plus de prsident. Le Parlement sest dj runi treize reprises pour lire son successeur. Sans succs. Les dputs se retrouveront une nouvelle fois le 26 fvrier, mais personne ne sattend une issue favorable. Le Liban connaissait dj une crise politique depuis novembre 2006, lorsque six ministres chiites ont dmissionn pour exiger la formation dun nouveau gouvernement o leur confession disposerait dune minorit de blocage. Exigence refuse par les autres parties. Aujourdhui, Beyrouth est confront en plus une crise institutionnelle. Personne ne conteste la rpartition des postes sur une base religieuse comme le prvoit la Constitution : le prsident est un chrtien maronite, le Premier ministre un sunnite et le chef du Parlement un chiite. Le problme vient un peu du nom du futur titulaire du poste, et surtout de ses fonctions et pouvoirs. La majorit parlementaire regroupe autour des sunnites du Courant du Futur, des druzes du Parti socialiste progressiste et des chrtiens des Forces libanaises exige le strict respect de la Constitution, savoir un prsident de la Rpublique lu pour six ans par le Parlement et ayant un rle darbitre et de chef des Armes. Mais lopposition autour du Hezbollah (le mouvement chiite pro-iranien), des chrtiens du Courant patriotique libre de Michel Aoun, et du parti chiite Amal conteste la reprsentativit du Parlement et accuse la majorit dtre infode aux Etats-Unis. Ce que celle-ci rcuse videmment. Chacun des protagonistes se rfugie derrire des manuvres dilatoires, des dclarations o la mauvaise foi atteint des sommets, des contestations du quorum de vote Chacun y va aussi de sa solution bricole. La crise, tranant en longueur, ne fait que sapprofondir. En attendant, les affaires courantes sont gres par le conseil des ministres. Aucune solution nest donc en vue ? Lironie de cette crise est quun consensus a t trouv sur le nom du futur chef de lEtat. Il sagit de Michel Sleimane, lactuel chef dEtat-major de lArme. Lhomme apparat comme le garant dune certaine stabilit, les troupes tant la dernire institution libanaise chapper la politisation et la confessionalisation . Maronite, Michel Sleimane a t nomm la tte des troupes libanaises en 1998 par Damas ; il compte de nombreux amis au sein du pouvoir syrien. Cela fait de lui un homme apprci du Hezbollah et de lopposition chiite. Depuis que les troupes syriennes ont t contraintes de quitter le Liban en avril 2005, il a russi maintenir une certaine quidistance entre les deux grandes familles politiques libanaises, les souverainistes et les pro-syriens. Comme lexpliquait dans LExpress Joseph Bahout, professeur lInstitut dtudes politiques de Paris : Michel Sleimane a un parcours assez sinueux. Cest certainement un souverainiste, mais il a de bons amis Damas ; il est apprci du Hezbollah tout en combattant les intgristes. Accepter la candidature de Michel Sleimane a t un crve-cur pour la majorit. Pourtant cest elle qui a propos son nom, se disant quil sagissait l dun moindre mal. Du coup, lopposition qui chrissait le gnral le trouve subitement suspect. Et la voil qui multiplie les tractations sur le nombre de ministres, la rpartition des portefeuilles, la cration dune minorit de blocage, les conditions dlection de Michel Sleimane Au-del du nom du futur chef de lEtat, lenjeu de la crise est celui des relations entre Beyrouth et Damas. Le Liban sert plus que jamais de caisse de rsonance aux tensions du Proche-Orient. Lopposition le Hezbollah en premier lieu veut sassurer que le prochain prsident sera, comme ltait Lahoud, un fidle serviteur de la Syrie. La majorit en effet proche des Etats-Unis, de lUnion europenne mais aussi des pays arabes modrs espre au contraire en profiter pour rompre le cordon ombilical qui lie les deux voisins. Elle ne veut surtout pas que la Syrie profite de ce scrutin pour retrouver son influence au pays du Cdre. En filigrane se cache ( peine) la question du Tribunal pnal international que doit mettre en place lOnu pour juger les assassins de lancien Premier ministre, Rafic Hariri, tu dans un attentat le 14 fvrier 2005. Aucun coupable na encore t dsign, mais toutes les pistes mnent Damas. Le problme est donc avant tout rgional ? Il lest largement en effet, mais pas exclusivement. Le pays compte 17 communauts dont les relations sont difficiles : sunnites, druzes, chiites, grecs orthodoxes, maronites Ces communauts sont embourbes dans des rapports de force, des haines historiques qui remontent notamment la guerre civile (1975-1990), des jeux dargent et de pouvoir, le tout dans une socit politise o le clientlisme lemporte sur le dbat dides. On parle peu de parti libral ou socialiste, de droite ou de gauche, mais de parti druze, sunnite, chiite. Loin dtre une richesse, la diversit communautaire est un facteur de conflit au Liban, dautant que la loi et la Constitution confessionnalisent la socit. Ainsi lgalement, il est interdit un chrtien dpouser une musulmane. Comme le souligne dans Elaph le journaliste Bilal Khbeiz : La crise ne se rduit pas la question du prsident de la Rpublique ; cest la manifestation dun malaise profond ; un conflit sur lidentit du pays, sa culture et sa place au Moyen-Orient. Aprs la guerre civile, parler de religion en public tait tabou. Ce nest plus le cas aujourdhui. Dans la rue, les prjugs religieux se mlent ouvertement aux dbats politiques. Comme en tmoignaient les propos, dans Le Monde, de Roula, une femme daffaires sunnite : Nous pouvons nous entendre avec les chrtiens, pas avec les chiites. () Lorsque le Hezbollah bloque le fonctionnement des institutions, cest dans lintrt du pays ou de Damas ? Les chiites nont aucune culture dmocratique. Ce sont des intgristes qui ne veulent pas la paix du Liban, mais son annexion la Syrie et lIran. Le leader druze Walid Joumblatt abonde en ce sens : Le Hezbollah et ses allis tentent un coup dEtat contre un rgime dmocratique. Il nest plus admissible que le mouvement chiite se conduise comme un Etat dans lEtat. Dautres observateurs rappellent que le Hezbollah nest pas uniquement un groupe arm pro-iranien, mais aussi un parti politique libanais qui compte 14 dputs. Cest la formation la mieux structure, qui compte le plus de militants, qui dispose dun gigantesque rseau daide sociale. La communaut chiite est probablement la plus importante numriquement aujourdhui au Liban , souligne Joseph Bahout. La journe du 14 fvrier a, on ne peut mieux, exprim les divisions de la socit libanaise. Tandis que les supporters de la majorit se runissaient par dizaines de milliers dans le centre de Beyrouth pour commmorer le troisime anniversaire de lassassinat de Rafic Hariri, les sympathisants du Hezbollah clbraient dans la banlieue sud de la capitale les obsques dImad Moughnieh, le chef des oprations armes de la milice chiite, recherch depuis vingt ans par Interpol pour terrorisme, et assassin deux jours avant Damas. Manouchehr Mottaki, le ministre iranien des Affaires trangres, tait prsent ces funrailles. Les premiers rclamaient la tenue dune lection prsidentielle juste ; les seconds promettaient de venger la mort de leur leader sur Isral. Pour sparer les deux cortges, la police et larme avaient rig des murs de barbels. Quen est-il des mdiations internationales pour rsoudre cette crise libanaise ? La France est largement intervenue pour tenter de rsoudre la crise politique et institutionnelle dans son ancien protectorat. Bernard Kouchner, le ministre franais des Affaires trangres, sest rendu huit fois Beyrouth depuis septembre, sans compter plusieurs voyages Damas. Les principaux acteurs de la crise ont galement t reus Paris. Sans succs. LElyse a cru pouvoir neutraliser la Syrie en lui promettant une normalisation des relations diplomatiques bilatrales en change de sa non-ingrence dans llection prsidentielle libanaise. Le prsident Nicolas Sarkozy a galement voulu rquilibrer les relations de la France avec les diffrentes factions libanaises alors que, par le pass, la forte amiti qui liait Jacques Chirac Rafic Hariri donnait aux relations franco-libanaises un caractre passionnel. Non seulement Damas na pas rpondu positivement aux attentes franaises, mais en outre les Etats-Unis ont vu dun trs mauvais il cette tentative de rapprochement entre la France et la Syrie. Le 30 dcembre dernier, devant labsence de rsultat, Nicolas Sarkozy alors en voyage en Egypte a sonn la fin de la partie avec Bachar Al-Assad. Retour la case dpart pour la diplomatie franaise. Fidle son habitude, Nicolas Sarkozy a cru quil tait possible de passer en force, en faisant fi de lHistoire et de la complexit de la rgion , analyse, dans LExpress, un diplomate jordanien. La balle est maintenant dans le camp de la Ligue arabe. Lorganisation, base au Caire, a propos le 5 janvier un plan de sortie de crise en trois points. Primo, llection immdiate de Michel Sleimane comme chef de lEtat et la reconnaissance de son rle darbitre suprme entre les factions ; secundo, la constitution dun gouvernement dunion nationale dans lequel aucune faction ne pourra imposer ses dcisions car toutes disposeront dune minorit de blocage ; tertio, ladoption dune nouvelle loi lectorale en vue des prochaines lgislatives. Ce plan de la Ligue arabe a t approuv tant par la majorit pro-occidentale du Premier ministre Fouad Siniora que par lopposition pro-syrienne. Nous sommes impatients de tourner une nouvelle page et de nous appuyer sur la feuille de route arabe , a dclar Saad Hariri, le chef de la majorit parlementaire, tandis que Nabih Berri, le leader du parti chiite Amal, affirmait en cho : Nous nous rjouissons de ce futur gouvernement dunion nationale dans lequel aucun camp ne pourra imposer ses vues. Mais ces dclarations enthousiastes se sont heurtes une multiplication darguties juridiques, dopposition de calendrier, de msentente sur la rpartition des portefeuilles ministriels, de dsaccord sur la faon de reconnatre limportance respective de chaque faction. Bref, tout le monde approuve le plan de la Ligue arabe, mais personne ne veut lappliquer. Le 9 fvrier, Amr Moussa, le secrtaire gnral de lorganisation panarabe, a court de 24 heures son sjour Beyrouth, aveu de son impuissance. Le Liban risque-t-il de sombrer nouveau dans la guerre civile ? Les habitants de Beyrouth vaquent leurs occupations comme si de rien ntait. Mais en ralit, tout le monde a peur de la guerre. Les gens font des stocks de nourriture ; beaucoup cherchent quitter le pays. Lconomie tourne au ralenti , tmoigne, dans Le Monde, une habitante du quartier chrtien dAchrafieh. Un autre ajoute : Juste aprs le dpart des troupes syriennes, lespoir tait immense. Les dirigeants de toutes les familles politiques avaient promis denterrer la hache de guerre religieuse et communautaire pour construire un Etat de droit. Aujourdhui force est de dchanter. Aucune faction ne veut cependant porter la responsabilit de la reprise de la guerre civile ; toutes cherchent contenir leurs troupes. Mais pour combien de temps ? Jusqu prsent, les deux grands clans nont pas franchi la ligne rouge politique : la majorit souverainiste na pas lu de prsident de la Rpublique la majorit simple des dputs comme elle pourrait le faire ; lopposition pro-syrienne na pas constitu de gouvernement parallle. Mais la tentation est forte. Et la tension est palpable Beyrouth. Les voisins de confessions diffrentes ne se frquentent plus, ou alors discrtement. Tous les jours, des manifestations de lopposition o sont scands des slogans haineux, des appels au meurtre dfilent dans les rues de la capitale. La violence appelle irrsistiblement la violence. Et la violence verbale nchappe pas cette rgle. Que les virtuoses de linvective haineuse, les professionnels de lescalade systmatique, dans lopposition, ne viennent pas ensuite jouer les vierges effarouches , avertit Issa Goraieb, lditorialiste du quotidien LOrient-Le Jour. Depuis novembre 2006, quinze dputs, journalistes ou intellectuels anti-syriens ont t assassins au Liban. Le 12 dcembre dernier, le gnral Franois El-Haj a t victime dun attentat. Commandant des oprations de larme libanaise, lhomme avait supervis, en 2007, les combats contre le camp de rfugis palestiniens de Nahr Al-Bared, combats qui ont fait 163 morts chez les soldats et 222 chez les islamistes. Il tait pressenti pour succder Michel Sleimane comme chef dEtat-major. Franois El-Haj est le premier militaire de haut rang victime dun attentat Beyrouth, et selon les observateurs, le but de ses assassins tait dimpliquer larme libanaise dans la crise actuelle. Plus rcemment, un officier des services de renseignements a t abattu. Des attentats ont t perptrs contre des vhicules de lOnu et contre lambassade des Etats-Unis. Enfin, une manifestation de lopposition officiellement contre les coupures de courant rptition a dgnr dans des conditions encore mal claircies, faisant neuf morts. Comme le confiait rcemment Michel Sleimane des journalistes : Nous sommes en prsence dune bombe retardement dont je memploie retarder lexplosion, que jessaie mme de dsamorcer. Car son explosion npargnerait ni la majorit ni lopposition ni larme ni la patrie . | |||
Jean Piel | |||
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