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04/03/2008
Questions internationales (2)
Jean-Pierre Ligeois : Les Roms dtiennent les cls de leur dveloppement


(MFI) Professeur luniversit de la Sorbonne, Jean-Pierre Ligeois est lauteur de Roms en Europe. Selon lui, mme si leurs conditions de vie samliorent, les Roms restent mpriss et discrimins en Europe. Aucun programme dinsertion ne russira sils ne sont pas dabord consults.

MFI : Ladhsion lUE des pays dEurope de lEst a-t-elle permis damliorer la situation des Roms dans cette rgion ?

Jean-Pierre Ligeois : Le processus dadhsion a t double tranchant. Lorsque la Finlande occupait la prsidence tournante de lUE, sa ministre des Affaires trangres a beaucoup insist pour faire de lamlioration du sort des Roms une des conditions dadhsion des anciens pays communistes dEurope centrale et orientale. Ceux-ci ont d agir, et des progrs ont t enregistrs dans le logement, la sant, laccs au droit Le revers de la mdaille est que lopinion publique a encore durci son discours contre les Roms. Les gens disaient : Si Bruxelles est aussi exigeant avec nous, cest cause des Roms. En outre, les pays dj membres de lUE ont pu ainsi dtourner lattention sur la situation de leurs propres communauts tsiganes. Or, celle-ci est loin dtre toujours satisfaisante en France, en Espagne ou en Italie. On a vu un village entier attaquer un campement gitan en Espagne aprs un fait divers. Lambassadeur de France au Conseil de lEurope a rcemment reconnu que, dans lHexagone, 40 % des enfants roms ntaient pas scolariss. A contrario, la Roumanie souvent au banc des accuss sur ce sujet est le premier pays avoir cr un poste de mdiateur scolaire pour les Roms, en charge de linterface entre ladministration, les familles et les enseignants.
Certes, la situation des Roms est moins bonne en Europe centrale quen Europe de lOuest. Mais le dveloppement conomique de ces deux rgions nest pas le mme non plus. Il y a en outre une question dchelle ; les Roms reprsentent 10 % de la population en Roumanie, en Slovaquie ou en Bulgarie, cest comme si on comptait six millions de Roms en France. Etre membre de lUnion europenne permet un partage dinformation utile. Par exemple, lorsquun programme en faveur de Roms a t un succs dans un pays, il est plus facilement transpos dans un autre. Ainsi la Sude possdait du matriel pdagogique conu pour une communaut Rom, quelle a pu proposer la Macdoine. Cela dit, membres de lUE ou non, le droit ne permet pas tout. Il faut encore quil soit appliqu, et il ne permet pas de changer les mentalits. Ce qui est partag dans toute lEurope, ce sont les prjugs et les strotypes contre les Roms. Les relations entre les Roms et les populations locales nont jamais ni nulle part t sereines.


MFI : Comment expliquez-vous cette mfiance, voire cette haine, contre les Roms ?

JPL : Cest la peur de la diffrence. Cest aussi lhritage dune mfiance trs ancienne qui sest perptue de gnration en gnration sans jamais tre discute. Cest enfin le fruit de la mconnaissance ; les histoires, les prjugs, les fantasmes contre les Roms sont innombrables. Cette mfiance est dsormais ancre dans les esprits. En Roumanie, lesclavage des Roms a t lgal jusquen 1860. Environ 500 000 sont morts en dportation pendant la Seconde guerre mondiale. Dans les annes cinquante, pour apprendre le son ien lcole primaire en France, les lves rcitaient la phrase : Si la poule na pas t mange par le chien, elle a t vole par le bohmien.
Il existe toujours la peur, mlange dincomprhension et de jalousie, du sdentaire pour le nomade. Cette mfiance est aussi institutionnelle ; les Roms sont fichs, contrls, on leur impose un carnet de circulation. Si dans les discours de certains hommes politiques, on remplaait le mot Roms par Juifs ou Bretons, plus personne noserait les prononcer. Pourtant, les Roms sont dauthentiques Europens. Ils sont arrivs au XIIe sicle. Cela me semble une priode assez longue pour tre reconnu comme ressortissant de lEurope.

MFI : Leur volont de vivre en communaut ne rend-elle pas plus difficile leur intgration ?

JPL : Cest plus ou moins vrai. La responsabilit est en effet partage entre une population locale qui rejette et des Roms qui naiment pas se mlanger. Les nomades vivent dans des campements par la force des choses ; les sdentaires habitent souvent le mme quartier.
Mais cette importance de la communaut relve de lidentit mme des Roms ; elle doit tre respecte. Il sagit dune population pour qui lidal, dans le dveloppement de la personne, est la fusion avec la communaut, alors que pour les Occidentaux la personnalit se dveloppe par lacquisition de lautonomie. Couper un Rom de sa communaut est extrmement dstructurant ; on ne peut pas limposer. Cest un lment prendre en compte dans les politiques dintgration. Ces dernires ne doivent pas tre synonymes de renoncement la culture rom. Leur histoire derrance et de perscution fait que vivre ensemble dans un mme quartier est aussi un moyen de faire face ladversit. Enfin, leur laisse-t-on vraiment le choix ? Les Roms vivent souvent dans les quartiers misrables que personne naccepte dhabiter. La force des Roms est certainement davoir conserv leur culture et leur communaut, malgr les voyages, lexclusion, les pogroms, les perscutions.

MFI : Le manque de reprsentation politique des Roms ne limite-t-il pas la dfense de leurs intrts ?

JPL : Cest lun des problmes. En Roumanie et en Bulgarie, ils reprsentent 10 % de la population, et mme 70 % dans certains districts. Or, ils ne psent pas le mme poids au Parlement. Leur histoire terrible fait quils ont peur de safficher. Ils ne gotent gure la visibilit et prfrent la discrtion. En outre, cest une population moins homogne quon ne le croit. Les diffrences entre les communauts peuvent tre grandes. Si la solidarit est forte au sein dune mme famille, dun mme clan, ce nest pas toujours le cas dune communaut lautre. Ils peuvent donc ne pas se reconnatre dans la candidature dun membre dune autre famille. Je compare souvent les Roms une mosaque ; chaque pice a ses propres caractristiques, mais elle compose un ensemble. Si on enlve une pice de la mosaque, cette dernire perd de son clat et de son intrt. Quant la pice isole, elle ne sert plus rien et on ne la comprend pas.
Les Roms dtiennent les cls de leur propre dveloppement. On dfinit souvent des projets dinsertion, des programmes scolaires, des ides de relogement sans les consulter. Les gens qui dfinissent ces projets sont peut-tre pleins de bonne volont, mais il est essentiel que les Roms soient associs aux dcisions les concernant. Sinon, aucun programme dinsertion ne russira. Il faut les consulter avant toute dcision. Hlas ce nest pas assez souvent le cas.



Roms en Europe, par Jean-Pierre Ligeois, ditions du Conseil de lEurope, Strasbourg, 2007.

Propos recueillis par Jean Piel

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