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04/03/2008
Questions internationales (1)
Les Roms, derniers parias de lEurope


(MFI) Avec 10 millions de membres, les Roms sont la premire minorit transnationale dEurope. Les premiers vrais Europens, attachs la notion de communaut, pas de frontire , estiment les spcialistes. Pourtant, ils souffrent de prjugs tenaces et de graves discriminations. La moiti dentre eux vit sous le seuil de pauvret. Ladhsion de leurs pays de rsidence lUnion europenne leur permettra peut-tre damliorer leurs conditions de vie. Reste faire voluer les mentalits.

Qui sont ces Roms si souvent mconnus ?

Roms, Tsiganes, Gitans, Yeniches, Kals Leur nom varie dun pays lautre, au gr des langues, des clans, des religions, des traditions et de lHistoire. Les Roms sont tous issus dun mme peuple, venu du nord de lInde au XIIe sicle. Ils se sont installs dans lEmpire ottoman, puis en Europe. Ils partagent une mme langue, le romani, proche du hindi.
Leur histoire est faite derrance et de perscutions. Le mot tsigane vient dailleurs du grec atsinkanos qui signifie paria . Nulle part, on ne leur a reconnu un droit sur la terre, encourageant leur nomadisme et faisant deux des serfs la disposition des propritaires terriens. En 1496, lAllemagne les dclare tratres aux pays chrtiens et porteurs de la peste. Au XVIe sicle, en Europe centrale, on les pend le long des routes pour les dissuader de venir. Leur esclavage sera lgal en Roumanie jusquen 1860. Leur libert, leur diffrence, leur sens de la communaut inquitent et font envie la fois. Comme lcrivait Gustave Flaubert en 1869 : Ils attisent la haine des bourgeois. Cette mme haine quils ressentent pour le bdouin, le philosophe, le solitaire, le pote. Il y a de la peur dans cette haine-l. Les choses nont gure volu depuis. Pendant la Seconde guerre mondiale, les nazis ont extermin 500 000 Roms ; cest le Porrjmos, lholocauste rom. Mais leur cas na pas t voqu au procs de Nuremberg, et aujourdhui ils sont souvent oublis des commmorations.
Les Roms partagent une origine ethnique, une langue et une histoire ancienne communes. Mais leurs diffrences sont importantes aussi. Certains sont catholiques, comme les Gitans du sud de lEurope, dautres musulmans, comme les Millets en Bulgarie, dautres encore suivent le rite orthodoxe comme les Rudaris en Roumanie. La majorit est sdentaire, mais certains restent nomades. Lappartenance clanique et le pays de rsidence fondent aussi des caractres propres.
Avec ses dix millions de membres, les Roms les hommes, en langue romani constituent la premire minorit transnationale en Europe. Ce sont les premiers vrais Europens puisquils ne reconnaissent pas la notion de frontire, mais celle de communaut , souligne Alain Reyniers, le directeur de la revue Etudes tsiganes ; 70 % dentre eux sont installs en Europe centrale. Ils sont deux millions en Roumanie et 800 000 en Bulgarie, soit 9,5 % de la population des deux pays. Ils reprsentent 6 % de la population hongroise et 7,8 % des Slovaques. En Espagne, on en croise 750 000 et 350 000 en France. Ladministration franaise continue les appeler gens du voyage , alors quils ne sont que 10 000 mener une vie nomade dans lHexagone. Comme si on rvait de nous voir repartir , soupire Saimir Mil, un militant rom cit par le quotidien Libration. En Europe, la majorit sest sdentarise dans les annes soixante. Mais partout, ils vivent en marge de la socit. A la fois par choix et par rejet des autres.

Les Roms souffrent-ils toujours de discriminations ?

En novembre 2007, le meurtre dune Italienne par un Rom a dclench une vague anti-Tsiganes dune extrme violence. Plusieurs campements autour de Milan, Florence et Rome ont t attaqus ; les hommes politiques, de droite comme de gauche, se sont livrs une surenchre de dclarations enflammes ; une centaine de Roms ont t expulss sans que leurs droits soient respects. Souvent, lopinion a confondu Roms et Roumains. Au-del de ce crime inadmissible, on retrouve dans la raction des Italiens un mlange dinquitude face llargissement de lUE, dhostilit contre limmigration roumaine et de haine contre les Roms. Nous sommes la plus importante minorit europenne, mais aussi la plus maltraite. Le racisme anti-Tsiganes est si profond quil passe pour acceptable. Les discriminations notre encontre sont admises , dplorait, dans lhebdomadaire Le Point, la Hongroise Viktoria Mohacsi, lune des deux eurodputes dorigine rom. Pour le sociologue Jean-Pierre Ligeois, auteur de Roms en Europe : Quand rien ne va ni politiquement ni conomiquement, les premiers bouc-missaires sont les Roms (voir interview ci-aprs).
En Europe de lOuest, limage des Roms reste ngative. Elle est associe aux enfants sales, aux femmes qui mendient, aux rempailleurs facilement voleurs, aux campements de caravanes lhygine douteuse, aux derniers bidonvilles. En France, ils sont les seuls devoir prouver trois ans de rsidence dans une commune pour avoir une carte dlecteur. Les expulsions de ceux qui nont pas la nationalit franaise (10 % dentre-eux) ont tripl entre 2006 et 2007. Pourtant, lorsque des municipalits dveloppent des projets, leur intgration est gnralement un succs. Mais ce genre dopration est mal admise par les administrs. Les Roms restent associs des problmes dhygine et de dlinquance. Ce nest pas faux non plus , reconnaissait dans Le Point Claudine Pjoux, une lue dAubervilliers. Dsormais ressortissants de lUnion europenne, les Roms rcemment installs en Italie, en Angleterre ou aux Pays-Bas sont renvoys chez eux pour situation de dnuement contrevenant la dignit humaine . On ne parle dailleurs pas dexpulsion, mais de rapatriement humanitaire. Beaucoup reviennent dans les semaines qui suivent, pour des raisons conomiques, mais aussi parce quils souffrent de graves discriminations dans leur pays dorigine.

Leur situation serait donc plus difficile en Europe centrale ?

Gnralement oui. Parce quils sont plus nombreux et parce que ces pays sont plus pauvres. A Radnevo, une ville industrielle du centre de la Bulgarie, les maisons du quartier rom sont des taudis sans eau ni lectricit. Les rues en terre se transforment en cloaque lorsquil pleut. Ici, les Millets sont sdentariss depuis 1958, mais les municipalits nont rien fait pour eux. Tous les hommes sont au chmage alors que la ville compte de nombreuses usines. Avant ladhsion lUE, le gouvernement avait promis de rhabiliter 70 maisons ; seules six lont t, et maintenant que nous avons rejoint lEurope, les travaux sont arrts , dnonce Teodora Krumova, une militante rom, cite par Le Monde. Le tmoignage de Margarita Matache, membre de lONG Romani Criss, Bucarest, est identique : Les Roms sont encore nombreux vivre dans des cabanes en lisire de fort. En ville, leurs quartiers ressemblent aux pires bidonvilles du tiers-monde. Leur musique nous meut jusquaux larmes, mais leur sort nous indiffre. De plus en plus nombreux, les mouvements dextrme-droite ont pour jeu favori daller casser du Rom. Les dclarations des hommes politiques ne les incitent pas la modration.
En effet, le ministre roumain des Affaires trangres a dclar en novembre dernier quil envisageait dacheter un morceau de dsert pour y dporter les Roms . Il sest ensuite excus, mais le mal tait fait. En fvrier 2006, son homologue tchque avait rpondu un journaliste : Faites-vous bronzer comme les Roms, faites du boucan toute la nuit, cuisinez dans la rue sur un feu de bois, et des politiciens europens vous accorderont des allocations. . Lui aussi sest excus, contraint et forc. Sur les 2,5 millions de Roumains partis tenter leur chance lOuest depuis ladhsion de leur pays lUE le 1er janvier 2007, beaucoup sont des Roms la recherche dune vie meilleure. Les Roumains ne pleurent pas leur dpart. Quils partent. Les Occidentaux vont dcouvrir cette peste ; ils vont voir sil est possible de les intgrer , dclarait un ingnieur de Bucarest dans Le Point.
Au-del de ces propos haineux, une enqute mene en 2004 par le Programme des Nations unies pour le dveloppement (Pnud) dans dix pays dEurope de lEst a rvl chez les Roms des taux dalphabtisation, de mortalit infantile et de malnutrition plus proches de ceux de lAfrique subsaharienne que de lEurope. Moins de 20 % des enfants roms terminent lcole primaire. Les instances de lUE ont dnonc le placement abusif de nombreux enfants roms dans des coles pour handicaps mentaux en Roumanie, en Bulgarie et en Rpublique tchque. Quant la proportion de personnes vivant sous le seuil de pauvret, elle est cinq fois plus leve chez les Roms que dans le reste de la population en Bulgarie et en Serbie, trois fois plus leve en Macdoine et en Roumanie. Peu surprenant quand on sait que le taux de chmage oscille entre 70 % et 90 % chez les hommes. Rien nindique une amlioration de leur niveau de vie. Au contraire, ces dernires annes ils sappauvrissent relativement au reste de la population , souligne le Dr Michle Mzard, responsable du collectif Roms Europe.

Que fait lUnion europenne en faveur des Roms ?

Depuis llargissement de lUE vers lEst et ladhsion, le 1er janvier 2007, de la Roumanie et de la Bulgarie, la question des Roms simpose lUE. Ils sont dsormais des citoyens europens disposant, comme les autres, de la libert de circulation. Plusieurs pays ont encadr cette libert pour les nouveaux entrants, mais cela ne pourra tre que provisoire. A chaque capitale de se prparer dventuels mouvements migratoires tant que les ingalits conomiques et sociales seront importantes entre Etats. Malgr des conditions de vie prcaires, faire la manche Paris rapporte cinq fois plus quun salaire douvrier agricole en Roumanie , rappelle Michle Mzard. LUE a dot son dpartement Emploi et affaires sociales dun service spcialement charg de la question rom. Une directive pour promouvoir leur intgration est galement ltude.
Bulgare dorigine rom, Ivan Ivanov a ouvert lOffice europen dinformation sur les Roms, qui fait du lobbying auprs des instances europennes. Comme il lexplique : LUE veut agir, mais manque dinformations fiables sur les Roms. Quant ces derniers, ils esprent de lEurope les avances que leurs pays de rsidence ne leur ont pas offertes. Pour linstant, ils sont dus. Rponse dun haut-fonctionnaire europen dans Le Monde : LUE a fait un gros travail lgislatif via la lutte contre le racisme, le dveloppement rgional, les droits des minorits. La libert de circulation ne sera pas remise en cause pour quiconque. Nous avons investi 275 millions deuros pour lamlioration des conditions de vie des Roms. Les rsultats sont ingaux, mais rien ne peut se faire sans lengagement des Etats. LUE ne peut pas non plus changer les mentalits.
La Commission europenne avait exig des pays candidats des actions en faveur de leurs minorits dont les Roms pour maximiser leurs chances dadhsion. Maintenant quils sont membres de lUE, ils ont ralenti leurs efforts, lexception notable de la Hongrie.
Avec la Banque mondiale et la Fondation Soros, lUnion europenne finance pour 150 millions deuros la Dcennie pour lintgration des Roms 2005-2015, dans neuf pays et provinces dEurope centrale. Un ensemble dactions qui concernent la sant, lducation, le logement et lemploi. L encore, les rsultats sont ingaux. Des progrs ont t enregistrs sur le front de lcole primaire et de la vaccination. Mais les choses voluent lentement , souligne Florina Busuioc, charge du dossier en Roumanie.

Comment alors amliorer la condition des Roms en Europe ?

Il faut une rvolution du regard , estime Alain Reyniers, le directeur de la revue Etudes tsiganes. Tant que lamalgame Roms = voleurs persistera, tant que leurs diffrences feront peur, aucune politique dintgration ne russira. Cest un cercle vicieux : les Roms rebutent donc ils ne trouvent pas demploi ; sans emploi, ils sombrent dans la dlinquance et vivent dans des taudis ; du coup, ils rebutent, etc. Les allocations familiales et les indemnits chmage reprsentent toujours la premire source de revenus des Roms. Aucune dynamique nest enclenche , indique le rapport 2007 du Fonds roumain dducation des Roms.
Il ne faut pas tout attendre des gouvernements et de lUnion europenne. Nous ne sommes pas uniquement confronts un problme de discrimination. A nous de mieux nous prendre en charge. Nous ne sommes pas organiss politiquement, et cela nous nuit , estime Costel Bercus, directeur de lInstitut culturel rom de Timisoara, en Roumanie. Et dajouter : Les clivages identitaires sont si forts entre les diffrentes communauts les Rudaris, les Yerlis, les Sints que nous nobtenons jamais de reprsentation parlementaire. Le constat est le mme en Bulgarie o les Kardarashs, trs investis en politique, ne sont pas reconnus par les autres groupes. Rsultat : la minorit turque qui reprsente aussi 10 % de la population, mais qui est trs organise compte 34 dputs contre un seul chez les Roms. Les Gadjos (les non-Roms, ndlr) considrent les Roms comme un seul et mme groupe uni, alors que nous sommes une socit complexe et multiforme , explique Costel Bercus. Lamlioration des conditions de vie des Tsiganes passerait donc aussi par lmergence de leaders roms.
En France, plusieurs municipalits ont men des programmes dinsertion (formation professionnelle, relogement, remise niveau scolaire) qui ont t des succs. Tout le monde est intgrable si on offre un minimum de stabilit et de dignit dans les conditions de vie. Le regard des autres change alors rapidement , estime Claudine Pjoux, une lue dAubervilliers, charge dun programme de ce genre. Le problme est que ces projets ne sont gnralement mens que sur un nombre limit de familles, rigoureusement slectionnes au dpart. Beaucoup refusent des programmes dont ils comprennent quils les amneront vivre anonymement dans une HLM. Lhistoire tourmente des Roms, les consquences dramatiques de leur fichage pendant la seconde guerre, font quils se mfient souvent de ce qui leur semble une tentative de rcupration , commente Costel Bercus. Comment sintgrer tout en conservant ses spcificits culturelles ? La question nest pas propre aux Roms. La particularit de ces derniers est quils veulent vivre en communaut ; cela relve de leur identit mme. Lintgration est alors plus difficile. Rien ne doit leur tre impos de lextrieur. Ce sont les Roms qui dtiennent les cls de leur dveloppement , conclut Jean-Pierre Ligeois.

Jean Piel

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