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11/03/2008
Questions internationales (1)
La Birmanie sous la botte des gnraux


(MFI) A linitiative de moines bouddhistes, des milliers de Birmans ont manifest en septembre 2007 contre les abus de la junte militaire au pouvoir. La rpression a t sanglante. Six mois aprs, la Birmanie reste une dictature implacable. Selon les spcialistes, le changement ne viendra pas dune rvolution, mais de luttes de pouvoir entre les gnraux Et du rle de la Chine.

Six mois aprs la rvolte des bonzes , quelle est la situation en Birmanie ?

Lordre rgne Rangoun, selon les tmoignages de visiteurs rcemment revenus de Birmanie. Larme quadrille les grands axes de la premire ville du pays o on ne croise que rarement ces bonzes qui, avec leurs robes safran, mettaient un peu de couleur dans les rues. Pire : larme a investi les pagodes, ce quelle navait jamais fait dans un pays dont 85 % des habitants sont bouddhistes. A en croire Thierry Ribaux, dlgu adjoint du Comit international de la Croix-Rouge (CICR) en Birmanie : Des moines ont t reconduits de force dans leurs villages par larme. Dautres se cachent en attendant que la tension sapaise. Beaucoup seraient victimes de tortures en prison. La junte entend faire payer au clerg bouddhiste son engagement dans les manifestations de septembre dernier.
La rpression est donc toujours vive au Myanmar, ainsi que la junte a rebaptis la Birmanie en 1989. Impossible de savoir avec certitude le nombre de manifestants tus en septembre (on parle dune trentaine au minimum), ni le nombre de ceux qui croupissent en prison : le CICR na plus accs aux lieux de dtention. Selon un avocat de lopposition, douze activistes accuss davoir jou un rle cl dans la rvolte ont t inculps, dbut fvrier, de tentative de coup dEtat. De mme, Nay Phone Latt un blogueur qui, via Internet, avait inform le monde de ce qui se passait en Birmanie a t arrt le 29 janvier. Il serait dtenu la terrible prison dInsein.
En janvier, le pays a t secou par plusieurs attentats qui ont fait quatre morts et une dizaine de blesss. En dcembre dj, onze personnes avaient t tues lors dattaques contre des bus dans lest du pays. Ces attentats nont pas t revendiqus, mais les militaires accusent lUnion nationale Karen, un groupe ethnique en lutte contre le pouvoir central. Une accusation qui laisse sceptique les diplomates Rangoun. La junte joue la carte de Nous ou le chaos. Sans un rgime fort, le pays se dsintgrera . Cela na pas de sens. Sils revendiquent leur autonomie, les groupes ethniques nont jamais eu lambition ni les moyens des renverser le pouvoir central. La junte est probablement derrire ces attentats , estime Kyaw Zwa Moe, un opposant en exil. Au demeurant, le chef des Karens, Pado Manh Sha, a t tu le 14 fvrier prs de la frontire thalandaise.

Aucun signe despoir ne viendrait donc de Birmanie ?

Loptimisme nest pas de mise. La dernire mission du Reprsentant spcial du secrtaire gnral de lOrganisation des Nations unies (Onu) pour la Birmanie, Ibrahim Gambari, a chou. Il stait rendu une premire fois Rangoun en novembre dernier, et se voulait, lpoque, prudemment confiant. Le processus de dialogue parat tre engag avec lopposition, mme sil est fragile et rversible. Un ministre charg de faire la liaison avec Aung San Suu Kyi a t nomm, et cette dernire a pu rencontrer les responsables de son parti. Plus de 2 600 prisonniers ont t librs, et le rapporteur spcial de lOnu pour les droits de lhomme, Paulo Sergio Pinheiro, sest rendu Rangoun pour la premire fois depuis quatre ans , rsumait-il dans Le Monde. Mais le diplomate nigrian a t expuls de Birmanie lors de son second sjour en dcembre. Le leader de la Ligue nationale pour la dmocratie, Aung San Suu Kyi, en rsidence surveille depuis douze ans, a certes rencontr des membres de son parti ainsi que des reprsentants du gouvernement, mais rien de concret nen est sorti. Le prix Nobel de la paix 1991 sest dclar profondment inquite de la situation politique en Birmanie . Au point quelle a averti le 30 janvier : Esprez le meilleur, mais prparez-vous au pire . La libration de prisonniers ne tmoigne pas dun assouplissement du rgime. Il suffit darrter une personne dans la rue devant de nombreux passants pour que tout le monde soit terroris. Cest comme si chaque Birman tait en prison , souligne Kyaw Zwa Moe.
Toutefois, le 9 fvrier dernier, la junte militaire sest engage transfrer le pouvoir un gouvernement civil en 2010 lissue dlections multipartites, et organiser pour ce faire un rfrendum en mai 2008 pour approuver ce changement constitutionnel. Une annonce laquelle personne ne croit. En 2003, les gnraux avaient dj prsent une feuille de route vers la dmocratie en sept tapes , dont on attend toujours lapplication. Il sagit dun moyen de lgaliser la dictature , dnonce le groupe dopposition Gnration 1988. En effet, entre une opposition lamine, des mdias aux ordres, des bonzes interdits de paroles, cette chance lectorale ventuelle parat joue davance. Les militaires ont dj averti : Aung San Suu Kyi ne pourra pas tre candidate car son mari (aujourdhui dcd) tait Britannique. Personne nest dupe. Pour les observateurs, les gnraux tentent par cette annonce daffaiblir la pression diplomatique contre leur rgime et de retarder dventuelles sanctions des Etats-Unis.

Quelle est lattitude de la communaut internationale lgard de la Birmanie ?

Le rgime birman ne vit plus dans un repli autarcique, son isolement international est trs relatif. Il commerce avec ses voisins, et bnficie du soutien de la Russie, de lInde et de la Chine , observe Renaud Egreteau, chercheur auprs du Centre dtudes et de recherches internationales (CERI), Paris. En septembre 2007, alors que les tlvisions du monde entier diffusaient des images de bonzes et de manifestants tabasss par la police, les quinze membres du Conseil de scurit de lOnu se contentaient de demander au rgime birman de faire preuve de retenue . LOnu a dplor les vnements sans jamais les condamner. Les propositions de sanctions, dfendues par les Etats-Unis et lUnion europenne, ont t rejetes par la Chine et la Russie. Quelques semaines plus tard, le numro un birman, Than Shwe ce gnral de soixante-quatorze ans, au visage grassouillet masqu par dimposantes lunettes noires, la rputation de dictateur sans piti , tait reu avec les honneurs Delhi, dans une Inde dmocratique surtout soucieuse de signer des contrats commerciaux avec Rangoun.
Le soutien de la Russie sexplique aussi par des considrations conomiques : Moscou exporte des armes en change dimportantes concessions ptrolires. Largent est le nerf de la guerre. Quant au gouvernement thalandais, il a dclar que ses intrts conomiques passaient avant les droits de lhomme 30 % de llectricit utilise dans le royaume de Siam provient de Birmanie. Avec sa bienveillante tradition de non-ingrence dans les affaires intrieures de ses membres, lAssociation des nations du sud-est asiatique (Asean) a exclu toute action coercitive contre les gnraux birmans. La Birmanie fait partie de la famille , a rsum le Premier ministre de Singapour, Lee Hsien-Loong.
De son ct, la Chine soutient gnreusement la junte, ce qui a contribu rendre inefficaces les sanctions amricaines. En outre, son aide a permis de construire des routes et le rseau lectrique. Elle dtient des intrts dans les secteurs cls de lconomie. En change, Rangoun lui assure un dbouch maritime sur le golfe du Bengale et un accs ses richesses minires. Les carences dmocratiques de lEmpire du Milieu lui permettent encore mieux de comprendre la position des gnraux birmans, a fortiori lorsque des intrts nergtiques et stratgiques sont en jeu. Pour Pkin, la vue de milliers de manifestants encadrs pacifiquement par des bonzes est cauchemardesque dans la mesure o un scnario identique nest pas impossible en Chine manant des bouddhistes tibtains, des musulmans du Xinjiang ou encore des adeptes du Falungong.

Quen est-il des pays occidentaux ?

La violence de la rpression contre les manifestants a conduit les Etats-Unis, lUnion europenne et lAustralie adopter des sanctions contre Rangoun. Des sanctions surtout symboliques : refus de visas aux membres de la junte et leurs familles, frein aux importations de pierres prcieuses, contrles fiscaux sur les avoirs birmans ltranger De son ct, le Japon a suspendu son aide humanitaire dun montant de 3,4 millions deuros. Mais les pays occidentaux restent diviss quant lopportunit de sanctions. Les Etats-Unis y sont favorables et proposent de svres restrictions conomiques et financires contre Rangoun, notamment geler les avoirs des dirigeants birmans. Dj, les entreprises amricaines nont pas le droit dinvestir en Birmanie. Une interdiction quapprouvent le Royaume-Uni et les pays scandinaves, mais laquelle soppose la France. Il est vrai que Total est le premier investisseur tranger en Birmanie.
Dune manire gnrale, lUE est davantage favorable des pressions qu des sanctions financires, savoir conditionner laide humanitaire une amlioration des droits de lhomme et des conditions de vie de la population ; plus de la moiti des Birmans gagne en effet moins dun dollar par jour alors que les membres de la junte croulent sous les millions (voir article ci-aprs). La rvolte de septembre 2007 a dailleurs commenc suite une hausse des prix de plusieurs denres de base. Disposer dun levier financier sera plus efficace que punir un rgime qui a toujours t indiffrent aux condamnations internationales , dfend Bernard Kouchner, le ministre franais des Affaires trangres.
En attendant, les militaires birmans savourent le soutien de leurs voisins asiatiques et la division des pays occidentaux. Amnesty International a beau rclamer des sanctions effectives contre Rangoun, celles-ci ne sont pas pour demain. Lhistorien birman en exil, Thant Myint-U, estime que seule une action coordonne des pays occidentaux et des puissances rgionales rendraient les sanctions efficaces. Mais puisque les pays asiatiques entendent poursuivre leurs changes commerciaux avec Rangoun, il faut trouver une autre arme. Cest difficile avec un rgime si opaque que des dcennies dopprobre nont jamais incit amliorer les liberts fondamentales .

Comment alors esprer une volution de la dictature birmane ?

Opposition dcapite et sans projet, communaut internationale divise, population apeure et affame, le pouvoir militaire birman nest pas prt dtre renvers. Retranchs Naypyidaw, la nouvelle capitale cre de toute pice 400 km au nord de Rangoun en 2005, les gnraux prosprent sans craindre de rvolution. Ne rvons pas. En Birmanie, ce nest pas un soulvement populaire, mme initi par des bonzes, qui renversera le pouvoir. Nos espoirs de changement reposent sur les divisions au sein de la junte et sur les pressions de la Chine , reconnat Aung Kyaw Oo, un opposant en exil cit par le quotidien La Croix.
Des tensions au sein de la junte pourraient-elles favoriser lmergence dun officier rformateur ? Le scnario a failli se produire. Le 18 octobre 2004, le Premier ministre, Khin Nyunt, a t arrt officiellement pour corruption. Lhomme avait ngoci des cessez-le-feu avec les minorits ethniques, favoris ladhsion de Rangoun lAsean et lanc la feuille de route vers la dmocratie en sept tapes . Des initiatives juges dangereuses par les plus conservateurs du rgime. Khin Nyunt a finalement t mis la retraite pour raisons de sant. Sa maladie devait tre contagieuse puisquune vaste purge a suivi son dpart. Certes, en tant quancien chef de la police politique, Khin Nyunt ntait certainement pas un dmocrate modle. Mais il avait compris que le rgime devait voluer , crit luniversitaire David Steinberg.
Une rvolution de palais au sein de la hirarchie militaire apparat donc comme loption la plus probable pour des changements en Birmanie. Il existe des officiers qui ont des opinions plus librales et qui ont compris que le pays avait tout gagner de meilleures relations avec la communaut internationale. Quils naient pas encore agi ne signifie pas quil ny ait pas despoir , estime Kyaw Zwa Moe. Parmi les pragmatiques de la gnration montante, les experts citent le nom de Thura Shwe Mann, le chef dtat-major adjoint. Des chefs militaires reconnaissent quil leur faudrait amorcer une transition vers une dmocratie discipline sils veulent garder le contrle de la situation. Ce ne sera pas une dmocratisation telle quelle est entendue en Occident, mais une volution graduelle du rgime. Etant donne la solide assise de la junte, exploiter ses propres failles semble la stratgie la plus payante terme , analyse le chercheur Renaud Egreteau. Nanmoins, cette hypothse relve encore du fantasme : aucun signe nindique actuellement de divisions au sein de la junte.

Larme est-elle incontournable en Birmanie ?

Cest une certitude partage par tous les spcialistes de la Birmanie : aucun progrs ne sera possible sans larme. Avec 500 000 soldats (autant que le nombre de bonzes), il sagit de linstitution la plus stable et la mieux organise du pays. Elle possde des intrts dans tant de domaines que sa mise lcart plongerait la Birmanie dans le chaos. La politique nausabonde de ses dirigeants ne doit pas conduire jeter lopprobre sur toute linstitution. Au demeurant, le hros de lindpendance tait un gnral : Aung San, le pre de lactuelle leader de lopposition. Mais si larme qui domine la vie politique depuis cinquante ans ne peut pas tre carte dun processus de transition, Aung Sa Suu Kyi et les minorits ethniques ne peuvent pas ltre non plus.
Autre certitude partage : la Chine dtient les cls du changement. Que ses dirigeants ordonnent la junte de lcher du lest, et ceux-ci obiront. Si Pkin premier investisseur et premier vendeur darmes la Birmanie ne souhaite pas sa frontire un rgime dmocratique pro-amricain, elle ne souhaite pas non plus voir le pays sombrer dans le chaos. Lamiti des gnraux birmans est parfois encombrante pour une Chine qui veut convaincre le monde que son accession au statut de superpuissance ne constitue pas une menace pour la plante. Le 11 octobre 2007, Pkin a approuv une rsolution de lOnu appelant la libration des prisonniers politiques birmans. Une premire qui tmoigne dune volution certes timide de lEmpire du Milieu sur ce dossier.
Pour lhistorien Thant Myint-U, La dsintgration sociale et la dcomposition dun pays o seule larme fonctionne sont telles que le temps est dsormais compt. Nous sommes proches dun point de non-retour o toute volution politique deviendra irraliste .

Jean Piel

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