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18/03/2008
Questions internationales (2)
Le retour de la flibuste africaine


(MFI) Les ctes de Somalie sont parmi les plus dangereuses au monde, de lavis des marins et des armateurs. La piraterie maritime connat dans cette rgion une nette hausse depuis le retour au pouvoir du gouvernement fdral de transition Mogadiscio. Au point de menacer larrive de laide humanitaire du Programme alimentaire mondial bon port.

Zone de guerre . Lappellation est pour le moins alarmiste, mais cest ainsi que la Lloyds, la clbre compagnie dassurance britannique, a class les ctes somaliennes. Selon le Bureau maritime international (BMI), vingt-six attaques de navires ont t perptres en 2007 dans cette rgion ; dans dix des cas, lquipage a t enlev puis libr contre ranon. Laffaire la plus clbre concerne le Danica White, un cargo danois arraisonn par des pirates le 2 juin 2007 et restitu seulement le 22 aot, aprs que son armateur a pay 1,5 million de dollars de ranon. Il est probable que les attaques contre des navires ne sont pas toutes dclares afin de ne pas affoler les affrteurs et de prvenir la hausse de primes dassurance dj leves. Linscurit des ctes somaliennes est lune des principales causes de recrudescence de la piraterie maritime en 2007, selon le BMI.

Cent-onze jours aux mains de pirates

La technique des pirates est toujours la mme. Arms de lance-roquettes et de mitraillettes, ils se dplacent avec des vedettes rapides quipes de GPS. Ils oprent la nuit, lorsque lquipage est rduit au minimum, et grimpent bord laide dchelles de corde. Rapides, mobiles, extrmement violents aussi, ils prennent vite le contrle du navire, nhsitant pas abattre ceux qui rsistent. Un autre bateau les suit, gnralement un chalutier maquill, et donc difficilement reprable, qui leur sert de base arrire. A son bord se trouvent dautres pirates, des vivres, du fioul. Cest parfois l que sont retenus les quipages pris en otage.
Juma Vita, un chef mcanicien dorigine tanzanienne, a t dtenu par des pirates somaliens pendant cent-onze jours en 2005. Il racontait ainsi sa msaventure dans le quotidien Libration : Jtais aux machines lorsque jai entendu des tirs. Personne navait vu les pirates arriver. Ils fonaient sur des petits speed-boats et ont pris le contrle de notre vraquier par larrire ; nous navons rien pu faire. Ils taient vingt-cinq pirates bord, et se relayaient tous les dix jours. Aprs quelques semaines, notre bateau a mouill Harardere, une localit 400 km au nord de Mogadiscio. Jai appris quil sagissait dun des principaux bastions de la piraterie en Somalie. Nous avions peur, faim, soif. Nous pensions que cela nen finirait jamais et quils nous tueraient tous. Aprs plusieurs semaines encore, le commandant et moi avons t dbarqus terre pour rencontrer un chef de guerre. Il y a eu des ngociations, peut-tre une ranon, je ne sais pas, mais nous avons t librs ; ctait lessentiel.

Le contexte politique somalien

A en croire Pottengal Mukundan, le directeur du BMI : Les pirates sont de mieux en mieux organiss et de plus en plus audacieux. Ainsi le Danica White a t attaqu 240 milles des ctes, soit prs de 400 km. La piraterie maritime en Somalie est devenue un secteur dactivit lucratif. Nous avons peu dinformations sur les ngociations aprs une prise dotages. Nous savons juste quelles seffectuent en Somalie par lintermdiaire de notables locaux. Le retour des cumeurs des mers au large des ctes est-africaines concide avec la victoire du gouvernement fdral de transition (GFT) et de ses allis thiopiens contre les Tribunaux islamiques. Lorsque ces derniers dtenaient le pouvoir Mogadiscio, de juin dcembre 2006, ils avaient russi rduire les attaques de navires en menant des raids contre les principaux points de regroupement des pirates. Ces derniers appartiendraient en majorit lancienne marine de guerre, tombe en dshrence aprs la chute de Siad Barr en 1991, ou seraient des pcheurs reconvertis dans le grand banditisme sous les ordres de chefs de guerre locaux. Aujourdhui, le gouvernement lgal en Somalie narrive pas assurer lordre dans la capitale ; lutter contre la piraterie ne constitue donc pas sa priorit.

Une menace pour la scurit alimentaire

Cette recrudescence des attaques en mer menace la livraison de laide humanitaire du Programme alimentaire mondial (PAM), qui transite par le port de Mogadiscio. Au point que les cargos affrts par le PAM sont souvent escorts par des navires militaires franais ou amricains, ou prennent leur bord pour les derniers milles des membres des commandos de marine. Comme lexpliquait lun deux Libration : Nous dfendons les navires, mais nous ne traquons pas les pirates. Ce nest pas notre mission. Lorsque nous reprons un bateau suspect, nous commenons par des avertissements verbaux, puis des fumignes, des tirs de semonce et, en ultime recours, des tirs rels. Nous sommes dailleurs trs bien arms. Commandant dun aviso descorte, le capitaine de frgate Philippe Le Gac ajoute : Ces actions de piraterie sont le fait dhommes entrans et bien organiss. Pour lutter contre ce phnomne, il faudrait avoir les moyens de patrouiller le long des 3 400 km de ctes et disposer dunits spcialises prtes intervenir immdiatement.
De nombreux btiments militaires patrouillent pourtant dans la rgion, dans le cadre du volet maritime de lopration Libert immuable. Mais leur mission est de lutter contre le terrorisme, pas contre la piraterie. Au demeurant, lattaque du Danica White avait t repre par un navire de guerre amricain qui avait mme fait feu. Mais les pirates avaient russi chapper sa poursuite.
Cette inscurit des eaux territoriales somaliennes inquite videmment les quipages et les armateurs. Et bien sr aussi les responsables du PAM : Notre capacit nourrir un million de Somaliens est menace par la piraterie ; 80 % de notre aide alimentaire est achemine par voie maritime, or nous avons dsormais du mal trouver des navires qui acceptent de croiser dans la rgion. Du coup, depuis dcembre dernier, nous recommenons acheminer laide par voie terrestre. Cest beaucoup plus cher, mais nettement plus sr. Les flibustiers ont peut-tre une image romantique au cinma, mais pas pour les personnes dont la survie dpend de laide alimentaire dans les camps de dplacs en Somalie , confiait Josette Sheeran, la directrice gnrale de lagence onusienne, au quotidien sud-africain Mail & Guardian.
Les experts saccordent dire quune action internationale coordonne est ncessaire pour prvenir les attaques des cumeurs des mers. Mais tant que la Somalie naura pas rebti un Etat de droit mme de mettre en place un cadre rpressif et lgislatif, la lutte contre la piraterie maritime restera une illusion long terme dans cette partie du monde.

Jean Piel

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