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18/03/2008 | |||
Questions internationales (1) Pavillons noirs sur les mers | |||
(MFI) La piraterie maritime na pas disparu. Elle est mme, au contraire, en pleine recrudescence aujourdhui. Les ctes africaines et la mer de Chine sont les eaux les plus dangereuses. Et les pirates, de mieux en mieux organiss, sont puissamment arms et parfois lis des mafias internationales. Pour autant, ils restent des bandits de grand chemin et aucun lien na t tabli entre terrorisme et piraterie maritime. | |||
Quelle est limportance de la piraterie maritime dans le monde ? Le sujet embarrasse les armateurs, les marins et les assureurs. Chacun saccorde pourtant reconnatre que la piraterie maritime constitue une relle menace. A chaque fois que je longe les ctes africaines ou que je franchis le dtroit de Malacca, entre la Malaisie et lIndonsie, je ne peux pas mempcher de craindre lattaque de pirates , reconnaissait le commandant dun porte-conteneurs, interview dans lmission Thalassa sur France 3. Attaques de navires, vols de cargaisons, prises en otage dquipages, le nombre dactes de piraterie a tripl entre 1994 et 2004, pour atteindre 468 attaques cette anne-l, selon le Bureau maritime international (BMI). Depuis, la piraterie a sembl marquer le pas, avec seulement 232 agressions enregistres par le BMI en 2006. Mais lespoir fut de courte dure : en 2007, les mers sont redevenues des zones risque, avec 379 attaques rpertories contre des cargos. Une recrudescence due en grande partie une augmentation des violences le long des ctes africaines, en particulier celles de la Somalie (voir larticle : Le retour de la flibuste africaine). La persistance de la piraterie maritime na rien de surprenant. Chaque jour, prs de 46 000 ptroliers, porte-conteneurs et autres mthaniers croisent sur les ocans. Et 97 % des marchandises changes dun continent lautre le sont par voie maritime soit six milliards de tonnes de fret. Or, les navires sont devenus des monstres de technologies. Mme longs de deux cents mtres, ils nont besoin que dune trentaine de membres dquipage. Leur cargaison peut avoir beaucoup de valeur. Souvent, le coffre dun bateau peut renfermer une fortune destine payer lquipage, les taxes douanires et les droits de ports. Or ces navires voluent lentement (40 km/h environ) et sont peu manuvrants. De plus, limmensit des ocans rend illusoire une protection efficace par des patrouilles de police. Quant aux possibilits de se cacher, elles nexistent pas. Il est probable que le nombre dactes de piraterie est sous-estim. Les armateurs prfrent se taire plutt que de payer des primes dassurance dj trs leves ; ils ne veulent pas non plus affoler les affrteurs. En outre, plainte signifie enqute, donc obligation dimmobiliser le navire alors quune journe quai oscille entre 15 000 et 30 000 dollars pour un porte-conteneurs. Quelles sont les rgions les plus dangereuses ? A lexception des ctes europennes, nord-amricaines et du Pacifique, toutes les mers du monde sont en proie, des degrs divers, la piraterie. En Amrique latine, les ctes du Venezuela, du Brsil, du Prou, et toute la rgion des Carabes constituent le terrain de chasse favori des cumeurs des mers. En Asie, la partie mridionale de la mer de Chine, le canal qui mne jusquau port de Chittagong, au Bangladesh, et les ctes des Philippines sont les plus dangereuses. De sinistre rputation il y a peu de temps encore, le dtroit de Malacca est devenu apparemment plus sr. Les autorits malaisiennes et singapouriennes ont certes pris les grands moyens pour cela. En Afrique, ce sont les ctes somaliennes, ds le sud de la mer Rouge, et le golfe de Guine, particulirement le littoral du Nigeria, qui suscitent les plus grandes inquitudes chez les marins. A en croire Serge Roche, spcialiste des menaces criminelles contemporaines luniversit Paris II, les ctes dIndonsie, de Somalie, du Nigeria, ainsi que la mer de Chine mridionale, sont de trs loin les rgions les plus dangereuses. Les attaques peuvent avoir lieu en pleine mer comme dans les ports. La Lloyds, la clbre compagnie dassurance britannique, a dailleurs class les eaux territoriales de Somalie zone de guerre. Et luniversitaire de raconter lhistoire de ce cargo disparu sans laisser de traces entre lIndonsie et la Core du Nord, retrouv deux ans plus tard avec un faux quipage dans le port de Shanghai aprs avoir chang trois fois dimmatriculation. Malgr plus de 4 000 attaques dans les vingt dernires annes, la recrudescence de la piraterie maritime nen menace pas encore pour autant le commerce international. Si tel tait le cas, des mesures plus nergiques seraient dailleurs dj adoptes. Nanmoins, linquitude demeure quand on sait que 62 % de la production mondiale de ptrole est transporte sur les ocans. Le dtroit dOrmuz, entre le golfe Persique et celui dOman, na que 2 km de large, ce qui oblige les supertankers rduire leur vitesse. Or, 15 millions de barils de ptrole transitent chaque jour par ce passage. Une cible rve pour un groupe terroriste. Comment a volu la piraterie maritime ces dernires annes ? Fini le temps des flibustiers hissant le drapeau noir tte de mort, avant de jeter des grappins sur un galion, le sabre la main, et des hurlements la bouche. Les pirates du XXI sicle sont quips de fusils automatiques et de lance-roquettes, de vedettes rapides et de GPS. Ils oprent souvent la nuit, alors que seuls cinq hommes dquipage veillent la navigation, dans une timonerie peine claire. Ils positionnent leur embarcation vers larrire de leur cible et seul point commun avec les saigneurs de la cte du pass montent bord laide de grappins et dchelles de corde. En quelques minutes, ils se rendent matre du navire, nhsitant pas abattre les marins qui rsistent. Les pirates sont de plus en plus audacieux ; ils attaquent des btiments toujours plus grands, et jusqu deux cent milles des ctes. Ils sont aussi de plus en plus violents, tuant parfois avec sadisme lquipage , constate Pottengal Mukundan, le directeur gnral du BMI. Lorsque la piraterie maritime a connu un regain, il y a une vingtaine dannes, les assaillants se contentaient de dtrousser les marins surpris dans leur sommeil et de forcer le coffre du bord, avant de svanouir dans la nuit bord de leur speed-boat. Ils venaient gnralement de villages misrables de pcheurs, et avaient trouv de quoi survivre dans cette nouvelle forme de banditisme de grand chemin. Mais, comme lexpliquait Pottengal Mukundan au quotidien knyan The Daily Nation : Anne aprs anne, ces pirates se sont organiss en bandes structures, davantage hirarchises, mieux armes ; ils sont parfois membres de mafias puissantes. Cest particulirement le cas en Asie, mais aussi aujourdhui en Afrique orientale. Au vol de lquipage a succd le dtournement du navire pour semparer de la cargaison, puis au vol du bateau lui-mme, les marins tant abandonns sur une le voire en pleine mer bord dune chaloupe. On assiste aujourdhui des prises dotages o le bateau et lquipage sont restitus en change dune ranon. Ainsi, le Danica White, un cargo danois, a-t-il t arraisonn le 2 juin 2007 au large des ctes somaliennes par des pirates arms de mitraillettes et de lance-roquettes. Il a fallu plus de deux mois de ngociations pour que larmateur rcupre, le 22 aot, le navire et les onze membres dquipage en change dune ranon dun million et demi de dollars. Quelques semaines auparavant, le China Fong Hwa, un chalutier tawanais, avait connu la mme msaventure ; les cinq marins avaient t relchs contre 77 000 dollars aprs six mois de dtention. Nous navons plus affaire l des flibustiers de petit calibre, mais un syndicat du crime puissamment organis , se lamente Pottengal Mukundan. Comment les navires peuvent-ils se dfendre ? Face cette menace, quipage et armateurs sont globalement dsarms. Le Bureau maritime international recommande aux navires de passer aussi loin que possible des ctes africaines et philippines. La nuit, certains disposent sur leurs flancs des filets lectriques qui envoient une puissante dcharge quiconque lescalade. Dautres sont quips dalarmes sonores et lumineuses qui dstabilisent lassaillant. Des alarmes installes en plusieurs endroits du bateau envoient discrtement un SOS un centre de contrle. Encore faut-il que le btiment se trouve proximit dune terre. Nombre de ces dfenses sont illusoires. Comment un navire pourrait-il sloigner des ctes si sa destination est un port qui, comme celui de Chittagong, est un vritable coupe-gorge ? A quoi bon lancer un SOS si aucune force ne peut intervenir temps ? On ne peut pas se cacher en mer, et les navires de commerce sont peu manuvrants par rapport aux vedettes rapides des pirates , souligne Serge Roche. Il faut agir en amont, prconise Pottengal Mukundan, que des btiments militaires multiplient les contrles des embarcations, quils fassent acte de prsence. Lessentiel est dempcher les pirates de semparer du navire. Car une fois quils sont bord, lquipage ne doit surtout pas rsister ; il perdrait coup sr une bataille contre des attaquants bien arms et sans piti. Ainsi, la piraterie a diminu dans le dtroit de Malacca, considr il y a peu de temps encore comme le repaire de la flibuste, aprs ladoption par les autorits malaisiennes et singapouriennes de lInitiative rgionale de scurit maritime (RMSI, pour son acronyme anglais). Ce vaste plan prvoit notamment des patrouilles permanentes des marines des deux pays. Tout navire de commerce qui entre dans le dtroit est galement pris en charge par des radars installs Singapour, dtectant tout rapprochement suspect entre deux bateaux qui dclenche alors une intervention des forces de lordre. Enfin, les armes des deux pays ont dploy des units sur plusieurs rcifs du dtroit, qui disposent dhlicoptres et de speed boats afin de pouvoir intervenir la moindre alerte. Mais un tel dispositif nest possible que parce que des terres se trouvent proximit. Cette RMSI reprsente aussi un cot lev, pris en charge par lOnu, le BMI, les affrteurs et les pays limitrophes. Or, Singapour et la Malaisie sont des pays riches, aux forces de lordre disciplines, qui peuvent donc contrler leurs eaux territoriales. Ce qui nest pas le cas partout. Certains affrteurs font parfois escorter leurs navires. Des entreprises prives de scurit comme Kroll ou Maritim Risk ont t cres cette fin, employant danciens marins de la Navy britannique. L encore, leur cot est lev, ce qui fait que de telles escortes restent exceptionnelles. Aprs plusieurs attaques, les bateaux du Programme alimentaire mondial destination de la Somalie sont dsormais souvent escorts par des btiments des marines franaise ou amricaine. Existe-t-il un lien entre piraterie maritime et terrorisme ? Rares sont les mouvements rebelles qualifis de terroristes par les uns, de hrauts de la libration nationale par les autres possder des moyens maritimes denvergure. Aujourdhui, seul le mouvement sparatiste tamoul (en anglais Liberation Tigers of Tamil Eelam, LTTE) possde plusieurs navires qui ont dj inflig de lourdes pertes la marine sri-lankaise. LOrganisation de libration de la Palestine avait un temps cherch crer une flotte de combat. Sans succs. Au Nigeria, certains pirates affirment ne sen prendre quaux cargos de ravitaillement des plates-formes ptrolires. Un moyen de revendiquer un meilleur partage des richesses en hydrocarbure du pays. Mais cette prtention laisse sceptique le directeur du BMI, Pottengal Mukundan : Certains groupes arms recouvrent leur activit criminelle dun vernis politique. Leurs revendications sont trop fluctuantes et leur appt du gain trop manifeste pour y voir un quelconque message politique. Ce ne sont que des pirates. A en croire la revue Foreign Affairs citant les services de renseignements amricains, Al-Qaeda et les groupes qui sen rclament possderaient une douzaine de bateaux fantmes , savoir des btiments dtourns, puis repeints, dont les certificats de navigation sont falsifis et les quipages composs de combattants de la cause. A ce jour cependant, aucun attentat nest venu tayer cette affirmation des services amricains. Les experts en scurit planchent cependant sur des scnarios catastrophes o des terroristes dtourneraient un navire pour le faire exploser, une fois charg de bombes voire darmes de destruction massive, dans un port ou un terminal ptrolier. Dans leur livre1, Solomon Kane et Francis Martin imaginent un 11-septembre maritime. Dans le dtroit de Malacca, un groupe terroriste ventre un superptrolier et un chimiquier puis pousse dans la fournaise plusieurs cargos. La mare noire et lincendie sont impossibles juguler en moins dune semaine. Le trafic maritime est bloqu dans cette partie du monde ; les bourses asiatiques seffondrent, puis par contamination, celles dEurope et des Etats-Unis ; prives de pices, les entreprises doivent rduire leur activit. Lattentat fait peu de victimes, mais cote des centaines de milliards de dollars lconomie mondiale. Il ne sagit cependant que dun livre, qui sappuie sur des menaces plausibles mais encore jamais ralises. Si les pirates sont de mieux en mieux organiss, ils grimpent toujours sur les navires avec des chelles de corde ! 1. Pirates et terroristes en mer dAsie, un maillon faible du commerce mondial. Solomon Kane et Francis Martin. Paris, ditions Autrement, 2005. | |||
Jean Piel | |||
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