Rechercher

/ languages

Choisir langue
 
Liste des rubriques
MFI HEBDO: Politique Diplomatie Liste des articles

16/04/2008
Questions internationales (2):
Les ambitions de lInde en Afrique


(MFI) Les changes commerciaux entre lInde et lAfrique progressent rapidement, et les entreprises indiennes sont nombreuses investir sur le continent africain. Pour Delhi, lAfrique dispose des matires premires indispensables la poursuite de son dveloppement. Mais la Chine est dtermine rsister cette nouvelle concurrence.


LAfrique reprsente un terrain rv pour vendre les produits indiens et y installer de nouvelles usines. Cest lopinion de Karen Monaghan, un conseiller du ministre du Commerce extrieur, Delhi. On pourrait ajouter : et acqurir les matires premires dont le sous-continent a besoin pour soutenir son rapide dveloppement conomique. LInde semble dcide faire les yeux doux au continent africain. Pour preuve, le premier forum Inde-Afrique qui sest tenu, Delhi, du 4 au 8 avril 2008 en prsence de sept chefs dEtat, parmi lesquels le Sngalais Abdoulaye Wade et le Sud-Africain Thabo Mbeki. Certes, ce sommet a t moins important que celui qui avait runi, en novembre 2006 Pkin, les autorits chinoises et les dirigeants de 48 pays africains. Mais cest une premire tape dans lambition de lInde dtre davantage prsente en Afrique.

Des changes encore peu diversifis

En 2002 avait dj t lanc le programme Focus Africa (Regard vers lAfrique), qui a permis dacclrer les relations commerciales entre les deux rgions. Les changes bilatraux sont passs de 967 millions de dollars en 1991 25 milliards aujourdhui. LInde exporte des pices, des crales, des textiles et du th, et elle importe essentiellement des minerais et des hydrocarbures. Elle commence cependant largir son panier au coton et aux denres alimentaires. Comme lexplique Harry Broadman, conomiste la Banque mondiale : Les besoins nergtiques de lInde sont en hausse constante. Cest pourquoi les changes ne se font quavec une poigne de pays africains, pour la plupart producteurs de ptrole. 68% des exportations africaines vers lInde proviennent dAfrique australe et concernent des minerais, des alliages et des mtaux. Mais lheure est la diversification, et un nombre croissant de firmes indiennes entendent investir en Afrique, dans tous les secteurs (pharmacie, BTP, construction de machines agricoles), non seulement pour rpondre aux besoins du march africain, mais aussi pour disposer dune plateforme vers lEurope. Le groupe Tata, la firme pharmaceutique Cipla, le constructeur automobile Mahindra, pour ne citer que quelques exemples, sont dj prsents avec succs sur le continent.

La bataille Inde-Chine

Cette ambition de lInde se heurte lapptit de Pkin : 800 entreprises chinoises sont dj prsentes en Afrique ; Delhi accuse un retard certain. Les autorits indiennes affirment cependant haut et fort ne surtout pas vouloir adopter la mme politique que celle de lEmpire du milieu. Les Chinois sont de moins en moins aims en Afrique. Ils se comportent en terrain conquis, pillent les ressources naturelles, ne crent pas demplois mais au contraire en dtruisent puisquils arrivent avec des ouvriers chinois ; enfin, ils entretiennent des relations troubles avec les dirigeants politiques. Les firmes indiennes au contraire entendent simpliquer long terme en Afrique, crer des emplois, transfrer des technologies, favoriser le dveloppement des pays , assure Karen Monaghan. Mais la bataille est loin dtre gagne. En 2003, lInde avait propos 200 millions de dollars au gouvernement angolais pour obtenir une concession ptrolire. Au dernier moment, la Chine a remport le march en offrant 2,3 milliards daides Luanda. La force de lInde repose sur sa bonne image auprs du public africain, celle de la Chine sur son portefeuille. Compares la Chine, les entreprises indiennes sont bien mieux intgres dans la socit et lconomie africaines , affirme Sudha Ramachandran, un diplomate indien. Cela ne suffit cependant pas remporter des marchs.

Au-del de lconomie, un partenariat durable

Afin de mettre toutes les chances de leur ct, les autorits indiennes ont cr le Pan-African e-network, un rseau qui permettra aux coles et hpitaux de 53 pays africains dtre en lien avec les meilleurs universits et instituts de recherche indiens afin de bnficier de leur comptence. Il ne sagit encore que dun projet. Comme la dfendu Anand Sharma, le secrtaire dEtat indien aux Affaires trangres, lors du Forum Inde-Afrique : Nous souhaitons dfinir un modle de coopration durable avec lAfrique, un partenariat mutuellement bnfique et diversifi, qui embrasse tous les secteurs, de lagriculture aux transports en passant par la sant, lducation et les biotechnologies. LInde est prte offrir ses connaissances et son expertise dans ces domaines. Nous ne nous limitons pas aux relations conomiques. Faisant preuve de moins de diplomatie, un officiel indien dclarait : Nous voulons des changes rciproques et quitables. Au demeurant, lInde na pas les poches assez profondes pour saccaparer les richesses africaines et imposer ses industries comme le fait la Chine de manire agressive.
Lapproche des deux gants asiatiques lgard du continent africain est en effet diffrente. Lengagement de la Chine se fait sous limpulsion de lEtat, cest lui qui approuve et finance les projets, tandis que ct indien, ce sont les entreprises prives qui dcident des investissements et des changes commerciaux. Une dmarche qui, du coup, a moins de visibilit, mais qui est plus prenne.
Considr comme lun des meilleurs experts indiens en gostratgie, Raja Mohan insiste sur les liens anciens qui lient lAfrique et le sous-continent : LOcan indien borde nos rives respectives et a tiss des liens commerciaux sculaires entre les deux rgions. Durant la colonisation britannique, de nombreux Indiens se sont installs en Afrique de lEst et en Afrique australe. Deux millions dIndiens y vivent toujours. Le plus illustre de nos grands hommes, le Mahatma Gandhi, a longtemps vcu en Afrique du Sud. Cest dans ce pays que sa conscience politique sest aiguise. Nous avons en outre une exprience commune de la pauvret, de la vie villageoise, du fait religieux. Les Indiens sont certainement beaucoup plus proches des Africains que ne le sont les Chinois.


Une coopration Sud-Sud plus sduisante pour lAfrique

La rfrence un pass et un socle culturel commun importe gure cependant lorsquon parle affaires. La Chine est prsente conomiquement depuis plus dannes en Afrique, et dispose de plus de moyens financiers pour simposer. Elle est probablement aussi mieux organise et plus efficace. Certains ajouteront quelle a aussi moins dtat dme lorsquil sagit de remporter des contrats. Mais pour Harry Broadman : Il ne faut pas caricaturer le tableau entre des mchants Chinois et des gentils Indiens. Les firmes indiennes sont dtermines prendre des parts de march en Afrique, quels quen soient les moyens. Les enjeux sont essentiels ; il sagit pour des entreprises de gagner de largent et pour lInde de disposer des matires premires essentielles la poursuite de son dveloppement. LAfrique doit tre vigilante car ses relations conomiques avec la Chine sont dj dsquilibres, il ne faudrait pas encore quelles le soient avec lInde. Or, cela en prend le chemin.
Les responsables africains apprcient ce regain dintrt pour le continent. Cest ce quexpliquait au journal algrien Le Quotidien dOran Henrie-Elie Ngoma Binda, professeur de philosophie politique luniversit de Kinshasa : Etre ainsi courtis flatte notre ego. LAfrique est enfin reconnue pour son potentiel, et non pas seulement prsente comme une terre de conflits et de misre. La Chine et lInde, deux pays autrefois pauvres qui connaissent un rapide dveloppement conomique, peuvent constituer des modles pour nous. LAfrique se reconnat davantage dans dautres pays du Sud que dans les pays europens. Cette coopration Sud-Sud nous sduit ; nous avons t tellement dus par nos relations avec lEurope et les Etats-Unis.


Jean Piel

retour