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MFI HEBDO: Politique Diplomatie Liste des articles

10/02/2008
IVme confrence des ministres francophones de la justice
Justice transitionnelle (2)
Les mcanismes et leurs limites


(MFI) Dans une tentative ncessaire de rconciliation avec le pass, les socits ont cr diverses formules pour surmonter les exactions massives commises sur leur sol. Avec deux objectifs indissociables : rendre justice aux victimes et rechercher la paix. Prises dans les filets de la diplomatie, les victimes ont-elles vraiment leur mot dire ?

Quarante-six ans dapartheid en Afrique du Sud, des milliers de personnes disparues en Argentine, 800 000 massacres au Rwanda, 550 000 personnes dplaces au Timor Leste Les exemples de violations massives des droits de lhomme sont lgion. Au point que depuis la Seconde Guerre mondiale, le combat contre limpunit est devenu une cause universelle. Des stratgies nationales sont censes (r)tablir la primaut du droit dans une perspective de gouvernance dmocratique. Mais lors de la signature daccords de paix ou du retour un Etat de droit, quel responsable politique peut-il accepter de voter une loi qui risquerait de le condamner ?

Vrit contre amnistie

Vritable cas dcole, la Commission Vrit et Rconciliation dAfrique du Sud est un chemin vers la recherche de la justice et aussi dune socit juste , affirme Alex Boraine, ancien vice-prsident de la commission. Clbre entre toutes, elle est le fruit dun compromis politique : la sortie ngocie de lapartheid aprs les premires lections dmocratiques du pays en avril 1994. Le prsident Nelson Mandela propose alors une loi damnistie couvrant les crimes et dlits politiques, inscrite dans la constitution provisoire adopte par les principaux partis (Parti national et Congrs national africain). Les victimes obtiennent justice par la reconnaissance publique de leurs souffrances passes. Mais en vertu du concept vrit contre amnistie , leurs anciens bourreaux peuvent demander lamnistie contre la divulgation complte de leurs crimes, et esprer ainsi chapper aux poursuites en change de leur collaboration dans le processus de rconciliation.
Larchevque Desmond Tutu a justifi la cration de cette catharsis nationale par la compassion, accordant une valeur absolue au pardon et la repentance1. Mais la famille de Steve Biko, militant anti-apartheid tortur et tu par la police sud-africaine, sopposa aux lois damnistie. Limpossibilit de traduire en justice les responsables de la mort dun personnage aussi important que Steve Biko est videmment un obstacle en soi la rconciliation, reconnat Christian Nadeau2. Mais dun autre ct, si la rparation et la rconciliation passent par lamnistie, il devient impossible de rpondre diffremment aux membres de la famille dune victime peu connue et la famille Biko.

Battre en brche la culture de limpunit

Dans la Rgion des Grands lacs, limpunit passe pour tre la base des crises ou des cycles de violence. Cette culture de limpunit est conscutive aux dysfonctionnements de linstitution judiciaire et se rvle tre notamment la consquence des carences de son indpendance. Au Rwanda, limpunit cumulative fut une des causes du gnocide. Depuis les accords dArusha, en 1993, la ville a abrit le Tribunal pnal international pour le Rwanda, symbole de la volont de la communaut internationale de sanctionner les auteurs du gnocide. Paralllement, le parlement rwandais a adopt la loi gacaca , un systme judiciaire inspir de la justice autochtone. Il tait politiquement inenvisageable de librer les dizaines de milliers de personnes souponnes davoir pris part au gnocide, concrtement impossible de juger tous les responsables et foncirement injuste de maintenir en dtention provisoire, des annes durant, les personnes dans lattente dun procs , rappelle Mark Freeman3. Objectifs : tablir la vrit sur le gnocide de 1994, condamner ses responsables et bien sr, acclrer les procdures engages avec la participation des populations afin de battre en brche la culture de limpunit. Si cette loi na pu imposer les critres minimaux de procs quitables, elle a permis dinciter les citoyens mettre en place eux-mmes les outils pour la rconciliation nationale. Plus de 10 000 tribunaux, administrs par quelque 250 000 juges gacaca , ont t recenss travers le pays.


Sierra Leone : trouver les voies du pardon

En Sierra Leone, la guerre civile a fait prs de 200 000 morts et les accords de paix successifs ont accord des conditions de sortie de conflit avantageuses aux rebelles du RUF, qui on attribuait les amputations volontaires ou lenrlement denfants soldats. Laccord de Lom (1999) a garanti lamnistie leurs chefs, exception faite toutefois pour les crimes internationaux. Le pays sest engag avec dtermination dans la transition o il a mis en place un modle judiciaire mixte. A la demande de Freetown, un Tribunal spcial pour la Sierra Leone (TSSL) a t cr, soutenu par lOnu (2002), tandis que les autorits et la socit civile installaient une Commission de Vrit et Rconciliation (CVR) sur un modle sud-africain, double dune Commission anti-corruption. Lun comme lautre a eu pour premire tche de savoir qui juger. Devant le cot et les conditions des 120 000 Rwandais en attente de jugement devant le TPIR et les tribunaux nationaux rwandais, les concepteurs de la justice post-conflit en Sierra Leone ont circonscrit la mission du Tribunal Spcial aux plus hauts responsables (de toutes les parties), laissant la CVR le soin de trouver les voies du pardon.

Algrie : une justice transitionnelle lors dune transition relle

Tous les pays en sortie de crise nen sont pas l, loin sen faut. En Algrie, aprs la guerre civile dclenche en 1992 et la situation de violence qui perdurait, diffrentes lois ont t promulgues Rahma (1995), Concorde civile (1999), Charte pour la paix et la rconciliation nationale (2006) , trop rapidement assimile par les autorits en place une justice transitionnelle. Une coalition dassociations de victimes, soutenue par la FIDH, a rclam en mars 2007 la cration dune Commission pour la vrit, la paix et la conciliation sinspirant de lInstance quit Rconciliation (IER) qui a rpertori les violations commises entre 1956 et 1999 au Maroc. Une demande qui na pas eu lcho escompt. Pour Algeria-Watch, la proposition de la coalition algrienne fait lconomie dune analyse des causes de la crise et ne peut dboucher sur une paix relle et durable . La recherche de la vrit implique des enqutes impartiales et rigoureuses sur les violations des droits humains quels quen soient les responsables . Et la justice transitionnelle ne sera satisfaisante qu la condition dtre mise en uvre au cours dune priode de transition relle. Et lissue dune ngociation entre acteurs indpendants et intgres, dobdiences diffrentes, dans le but de trouver ensemble une sortie la crise viable, durable et acceptable par le plus grand nombre .

1. Il ny a pas davenir sans pardon, Albin Michel, 2000.
2. Christian Nadeau,, op. cit.
3. Mark Freeman, op. cit.


Antoinette Delafin

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