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10/02/2008
IVme confrence des ministres francophones de la justice
Diversit juridique (3)
Une ralit au cur des systmes de droit des membres de la Francophonie


(MFI) La division classique entre common law et civil law ne permet pas de rendre compte de la multitude et de la diversit des systmes de droit existant. Elle illustre, en revanche, une tendance la domination de la tradition occidentale du droit.

Elabor en Angleterre aprs la conqute normande, le common law accorde une place centrale au juge et ses dcisions qui sont les sources primordiales du droit. A linverse, le civil law privilgie la codification du droit et renvoie gnralement aux pays dEurope continentale qui disposent de codes, eux-mmes inspirs du droit romain. Selon Jean-Marc Bassus, directeur gnral de la Fondation pour le droit continental, en se focalisant sur lopposition caricaturale et strotype entre common law et civil law, on simplifie la carte mondiale des droits lextrme, en ignorant lexistence dautres traditions juridiques, arabo-musulmanes, talmudique ou asiatique notamment . De plus, on trouve lintrieur de chacune de ces traditions juridiques, une grande varit de droits.

Mixit de droits et de cultures

Comme le relve le professeur du Bois de Gaudusson : A une poque o se multiplient les changes juridiques, les processus dhybridation et de mtissage juridique, les interactions entre ordres juridiques sont nombreuses ; ainsi leuropanisation du droit, son internationalisation ne laissent pas beaucoup de place dans les pays europens un droit qui serait purement national sur lequel lEtat et ses relais auraient une certaine emprise . Le phnomne est identique lchelle francophone : il ny a pas un systme juridique francophone, il y a des systmes juridiques dans la Francophonie.
Parmi les 68 membres et observateurs de lOIF, 32 disposent dun droit relevant de la tradition civiliste, 3 ont un systme de droit de common law, et enfin 33 disposent de systmes de droit mixte ou hybride. Au sein du groupe de droit mixte, 18 membres mlent droit coutumier et tradition civiliste, 6 font coexister droit civil et droit musulman, 4 combinent droit civil et common law, 2 partagent un systme reposant sur le droit civil, le droit coutumier et le common law. Djibouti possde un systme juridique fond sur le droit civil, le droit coutumier et le droit musulman. Quant au Ghana, il dispose dun droit fond la fois sur le common law et la coutume. Enfin, Andorre dispose dun systme fond sur le droit coutumier.
Au sein de la Francophonie, le Canada figure parmi les systmes juridiques hybrides les plus aboutis. Il nest pas seulement un pays bilingue, il fait aussi coexister harmonieusement en son sein la tradition de common law et la tradition civiliste du Qubec. Le fdralisme canadien pos par la Constitution de 1867 sest construit en tenant compte des identits culturelles et des traditions juridiques provinciales. Cette cohabitation entre droits pose parfois quelques problmes au plan de la cohrence ou de la scurit juridique, notamment en matire dchanges commerciaux. Cest pourquoi les autorits canadiennes poursuivent leurs efforts pour maintenir une interface entre les diffrents droits, par ldiction de rgles dinterprtation, la traduction des lois et des dcisions dans les deux langues, mais aussi par la formation des acteurs judiciaires une double culture. Comme le rappelle le juge canadien Michel Bastarache : Le bi-juridisme au Canada est davantage que la simple coexistence des deux traditions juridiques. Il suppose le partage de valeurs et de traditions.


Loriginalit du bi-juridisme mauricien

LIle Maurice, membre de lOIF, est galement un pays qui possde un systme mixte. Ce bi-juridisme provient du pass colonial de lle, sous administration successive de la France de 1715 1810, puis de lAngleterre jusqu lindpendance obtenue en 1968. Les Mauriciens ont su relever les dfis du multi-juridisme en ralisant une intgration des diffrentes traditions. Ainsi trouve-t-on Maurice un Code civil, un Code de commerce et un Code de procdure civile de source franaise. Il en va de mme du Code pnal, qui prsente nanmoins un caractre trs osmotique, puisque les dispositions pnales sont appliques par les tribunaux selon des principes dgags par la jurisprudence britannique. Par ailleurs, lincorporation des rgles de common law au droit mauricien a emport lintroduction du grand principe juridique anglais : lEquity. En consquence, le juge mauricien est habilit statuer tant en droit quen quit.
La diversit du droit mauricien est bien plus vaste que le simple bi-juridisme. Lintgralit de notre droit des socits anonymes est, par exemple, calqu non pas sur le droit anglais, mais sur le droit no-zlandais , prcise M. Dwarka, notaire diplm de la Cour Suprme de lIle Maurice. Pour les praticiens mauriciens, il ne fait aucun doute que le multi-juridisme mauricien constitue un atout, une force. Mais la formation initiale des juristes mauriciens en droit mixte reste encore lacunaire. En outre, comme le prcise M. Dwarka, des difficults surgissent lorsque lon recourt des experts trangers dans le cadre de rformes envisages, ce que dmontre lexemple rcent du processus dintroduction dun cadastre foncier dans lIle. LAustralie jouissant dune solide rputation en la matire, des experts australiens furent mandats pour conseiller lEtat mauricien cet effet. Or, ces experts proposrent un remaniement de la substance mme du droit immobilier mauricien, et de laligner sur le common law australien. Quels que soient les mrites du droit immobilier australien, une telle rforme juridique Maurice aurait entran, par ricochet, une rvision de pans entiers du Code civil. Une consultation avec des juristes mauriciens aura toutefois permis de mettre en lumire linapplicabilit pratique de cette proposition, et de chercher plutt linspiration du ct du cadastre franais.


Le systme juridique mixte du Cameroun

Autre pays francophone se distinguant par un systme juridique mixte : le Cameroun. Ce pays est un Etat majoritairement francophone qui comporte une minorit anglophone : sur un total de 10 provinces, deux, situes lOuest sont anglophones. De ce fait, le Cameroun a adopt un systme juridique mixte permettant la cohabitation entre droit romano-germanique et common law. Cependant, limportance des traditions juridiques occidentales ne doit pas masquer celle des droits endognes. Au Cameroun, cest la fois le droit musulman, la coutume islamise et les coutumes propres chaque groupe qui rglent entre 80 et 95 % des diffrends , estime ainsi le professeur Etienne Le Roy, anthropologue du droit et lun des promoteurs franais du pluralisme judiciaire et juridique.
Les populations rurales restent, en effet, trs attaches la justice traditionnelle. Cette tendance est accentue par le fait que le droit dit moderne nest pas suffisamment connu de tous et quil existe des problmes en terme daccessibilit, dus tant au manque de moyens qu lloignement gographique. Si les tribunaux coutumiers rglent une grande partie des litiges relevant, par exemple, du droit de la famille, au fil du temps, lapparition de nouvelles problmatiques, la modernisation et linstitutionnalisation de la justice tant au plan de lorganisation juridictionnelle que des acteurs judiciaires eux-mmes et de leurs formations a permis dassister un glissement du droit traditionnel vers un droit moderne , tempre cependant Georges Nakseu Nguefang, responsable de projet la Dlgation la paix, la dmocratie et aux droits de lhomme de lOIF. Le principal dfi relev par les autorits camerounaises est ainsi dharmoniser la lgislation pour intgrer trois systmes juridiques : droit civil, common law et droit traditionnel. La diversit juridique camerounaise permet de prserver les quilibres entre populations, de tenir compte des cultures et de respecter les traditions des divers groupes ethniques , insiste M. Nakseu Nguefang.
Larticulation de diffrentes traditions juridiques au sein dun mme systme est toujours complexe et rend limposition dun modle juridique cl en main pas forcment pertinente. Elle encourage plutt tudier les diffrentes manires de mettre en ordre la diversit des droits.



Olivier Rabaey

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