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22/04/2008 | |||
Questions internationales (1) LAmrique centrale confronte la violence des gangs | |||
(MFI) En Amrique centrale, des gangs luttent mort pour le contrle des quartiers et des trafics. On les appelle les maras. Leur violence est telle quelle menace la fragile stabilit politique de la rgion. La misre, les ingalits sociales, limpunit, favorisent leur dveloppement. En rponse, les autorits ont fait le choix du tout rpressif. Mais des ONG interviennent aussi. | |||
Dans quel contexte sont apparus les maras en Amrique centrale ? Au Guatemala, au Salvador ou au Honduras, le simple fait de parler des maras fait peur. Driv de largot espagnol qui signifie gang, le terme dsigne des bandes de jeunes de quinze vingt-cinq ans, ultraviolents, qui se livrent des batailles mort pour le contrle dun territoire et des trafics qui y sont associs. Les maras sont nes dans les annes 1980 Los Angeles, o vivent nombre dimmigrs latino-amricains. Lappartenance une bande relve alors de la contre-culture propre aux minorits, mais aussi de lautodfense face aux gangs de Noirs qui habitent les mmes quartiers. Au dbut des annes 1990, les guerres civiles qui ravagent lAmrique centrale prennent fin. De nombreuses familles rentrent au pays ; les autorits amricaines expulsent plus facilement les clandestins, notamment ceux qui ont purg une peine de prison. Des milliers de jeunes sont alors arrivs dans un pays quils ne connaissaient pas, toujours en proie la violence et la pauvret. Ils portaient des vtements made in USA, des tatouages, se serraient la main de faon code, sexprimaient dans un mlange danglais et despagnol, portaient une arme. Pour les gamins pauvres rests au pays, ils sont devenus des hros , raconte dans le quotidien Le Monde Ernesto Romero, un ancien mareros (membre dune mara) de Santa Ana, une ville moyenne du Salvador. Par rapport aux bandes de voyous qui existaient en Amrique centrale, les maras apportent une culture de lultra violence, une organisation hirarchique trs forte et une appartenance au groupe impossible renier. La vida por la mara la vie pour le gang est leur rgle. On reconnat les mareros aux tatouages qui leur couvrent le corps et le visage. Une larme dencre sur les pommettes pour chaque meurtre commis, deux cornes lextrmit des sourcils pour dsigner un tueur gages, des crucifix et des couteaux sur le torse Et le chiffre 18 ou MS13, selon quils appartiennent la mara 18 ou son ennemi jur, la mara Salvatrucha 13. Rejoindre un gang impose de subir un rite de passage. Avant, il sagissait dune terrible bastonnade ; aujourdhui, les chuchos les chiots doivent abattre un quidam innocent au hasard. Difficile de connatre avec exactitude le nombre de mareros. Le chiffre de 150000 pour les cinq pays dAmrique centrale est souvent avanc ; essentiellement au Guatemala, au Salvador et au Honduras, moins au Nicaragua et au Costa Rica. Le nombre de meurtres bat des records : 13400 pour la rgion en 2007 ; treize par jour au Guatemala ; 60 pour 100000 habitants chaque anne au Salvador (contre 3 pour 100000 habitants en France). Ces jeunes se tuent pour le contrle de quartiers qui nont rien leur offrir , soupire Ernesto Romero. Comment expliquer le dveloppement des maras ? La culture de la violence en Amrique centrale y est pour beaucoup. Le Guatemala a connu trente-six ans de guerre civile (1960-1996) qui a fait 200000 morts, le Nicaragua et le Salvador plus de dix ans de conflits qui ont tu 50000 personnes. Le scnario est partout le mme : gouvernement militaire contre gurilla dextrme-gauche ou vice-versa. Dix ans aprs la fin des hostilits, les organisations paramilitaires qui auraient d tre dmanteles lont rarement t. Elles sont au service de la mafia, des narcotrafiquants, voire des propritaires terriens et des organisations patronales. Les armes circulent librement. A en croire le juriste guatmaltque, Carlos Castresana, interview dans El Pais : Il est plus facile ici de sacheter un revolver quun kilo de viande. Outre la violence endmique, limpunit est un flau. Le tueur en srie, lautomobiliste inconscient ou lescroc financier ne craignent rien. Les institutions ne fonctionnent pas et la corruption achte tout. Ces dernires annes, sur 250000 crimes et dlits, seuls 2 400 ont dbouch sur un procs . Les accords dEsquipulas qui ont mis fin aux guerres civiles dans la rgion prvoyaient dacclrer le dveloppement et dtablir des socits galitaires et libres de la misre . Pourtant, selon lUnicef, 17 des 40 millions de Centre-Amricains vivent dans lextrme pauvret, avec un dollar par jour, et 17% des enfants souffrent de malnutrition. La croissance conomique avoisine les 5%, mais les ingalits restent criantes. A ct dune lite qui senrichit, la majorit de la population vit dans la misre. La plupart des Guatmaltques ne survit que grce largent envoy par leurs familles immigres aux Etats-Unis. Ce qui est vrai pour lconomie lest pour la socit. Les Indiens, les sans-terres sont mpriss ; nous sommes une socit cloisonne lextrme , dplore Iduvina Hernandez, la prsidente de lONG Action Citoyenne. Les maras sont le produit de la guerre civile et de la mondialisation , ajoute Maurice Lemoine, rdacteur en chef du Monde diplomatique (voir interview). Pour la sociologue salvadorienne Maria Santacruz, la pauvret ne suffit pas expliquer le phnomne des maras : Les mareros sont issus de milieux prcaires, mais ils ne viennent pas des rgions les plus pauvres. Les quartiers et les villages qui ont su maintenir du lien social sont peu touchs par les maras . Une analyse partage par Frdric Faux, auteur du livre Les maras, gangs denfants : violences urbaines en Amrique centrale (Ed. Autrement). Selon lui, Cest la carence sociale, combine la faillite de lEtat, qui a contribu lapparition de gangs violents. Dans des pays petits et densment peupls, les ingalits sont dautant plus insupportables quelles sont visibles . Les maras reproduisent leur chelle le machisme des socits centre-amricaines : solidarit lintrieur, violence lextrieur, hirarchie, obissance au chef. Ce que confirme lancien mareros Ernesto Romero : La mara est une famille, une exprience diffrente par rapport ce que nous offrent des pays o tous les cadres sociaux ont vol en clat. Nous formons une communaut soude o lentraide est systmatique . Comme lexplique le journaliste guatmaltque Manolo Maqueira : Le mareros est un exclu. Puisque la socit ne veut pas de lui, il sen construit une autre, avec ses codes, ses valeurs, ses territoires, ses dirigeants, ses lois . Des analyses que nuance Maria Santacruz : Certes, les maras offrent un fort sentiment dappartenance. Mais ce nest pas le paradis. Cest une famille violente, o la mort est omniprsente, la vie quotidienne douloureuse . Ernesto Romero le reconnat : On assiste un conflit irrationnel entre des jeunes dont la seule raison de vivre devient llimination du gang concurrent. Il ny a pas de rivalit de classe sociale, de race, dopinion politique, de religion entre les maras. On tue pour un tatouage, une identit taille dans la chair, une place dans le groupe . Ce tableau nest pas identique partout en Amrique centrale. Le problme des maras est particulirement aigu au Guatemala, au Salvador et au Honduras, nettement moins au Nicaragua et au Costa Rica. Comment voluent les maras ? Le mouvement nest pas en perte de vitesse, au contraire. Les gangs recrutent toujours plus ; les liens avec le crime organis se renforcent. Car les maras ne se contentent pas de sentretuer pour le contrle dun quartier ; elles sont impliques dans la prostitution, le racket, le trafic de drogue, les enlvements, les braquages de banques Une mara a besoin dargent pour sacheter des armes, nourrir ses membres et payer les avocats de ceux emprisonns , explique Ernesto Romero. LAmrique centrale est une zone de transit des stupfiants entre la Colombie et les Etats-Unis, et les maras jouent un rle essentiel dans ce trafic en se mettant au service des cartels colombiens. Les principaux dirigeants des maras, ceux qui sont au sommet de la hirarchie, ne portent pas de tatouages, mais des costumes croiss dsormais. Ce sont des businessmen du crime qui ont professionnalis les gangs. Ces derniers se sont radicaliss car le trafic de drogue est synonyme de fortunes , souligne le journaliste Manolo Maqueira. A en croire le Pre Jos Maria Moratalla, qui dirige une ONG en faveur des mareros San Salvador : Les gangs sont de plus en plus violents. Lpreuve dentre qui tait un passage tabac est dsormais un meurtre. On assiste des rites sataniques au cours desquels des enfants sont sacrifis et leur sang bu par les mareros. Les ttes des victimes sont conserves telles des trophes. Il ny a plus de limites la violence . Cest au point que des observateurs estiment que les maras menacent la fragile stabilit politique de pays comme le Guatemala ou le Salvador. Quelle est la rponse des autorits face aux maras ? La rpression : cest la seule option retenue par les dirigeants de la rgion. Mais une rpression tardive. Jusquen 2002, en effet, les maras taient traits comme nimporte quel problme dinscurit. Il a fallu leur implication croissante dans le narcotrafic et surtout lenlvement suivi de lassassinat du fils du prsident du Honduras par un gang pour que des actions de grande envergure soient adoptes. Le Honduras a alors appliqu la loi Tolrance zro , sur le modle de celle mise en place par Rudolph Giuliani, le maire de New York. Sans succs cependant, mme si les autorits affirment que le nombre de mareros a diminu de moiti. La campagne pour llection prsidentielle en 2005 a t domine par ce thme de la lutte contre les maras. Un candidat suggrait le rtablissement de la peine de mort ; un autre le doublement du nombre de policiers. Le rsultat a surtout t de radicaliser les gangs , regrette Manfredo Marroquin, un dfenseur des droits de lHomme. Au Guatemala aussi, la lutte contre la violence a domin la campagne pour llection prsidentielle en janvier dernier. Mais le prsident lu, le social-dmocrate Alvaro Colom Caballeros, a accept le soutien dune commission internationale mise en place par lOnu, dont la mission est de rorganiser la police et la justice. Un virage 180 par rapport son prdcesseur qui avait dploy larme contre les maras. L encore sans succs. Le Salvador, pour sa part, a fait le choix de la mano dura, la main dure. Un plan qui a notamment consist arrter tous les jeunes portant des tatouages. La mano dura tait voue lchec puisquelle allait contre lindividualisation de la peine. Mme si la personne arrte tait un mareros, il tait impossible de la relier un crime prcis. Il fallait donc la relcher , soupire un policier dans Le Monde. La lutte contre les maras est loccasion de voir rapparatre des mthodes sales. Ainsi, des escadrons de la mort commettent des excutions extrajudiciaires. Dans les prisons, lordre a t donn de ne plus sparer les membres des diffrents gangs, qui du coup sentretuent. A contrario, des runions ont lieu entre les polices des cinq Etats dAmrique centrale afin de coordonner leurs actions contre les maras. Seule une approche rgionale nous permettra de gagner la guerre contre les gangs , soutient le magistrat Carlos Castresana. Soucieux de freiner le narcotrafic, les Etats-Unis ont dbloqu 3,2 millions de dollars pour aider les polices de la rgion. Les ONG approuvent-elles cette politique rpressive ? La misre, la corruption et limpunit demeurent le plus sr terreau de la violence. Si on ne prend pas le mal la racine, il est illusoire de vouloir le rsoudre , rappelle le cardinal Andres Rodriguez Maradiaga, larchevque de Tegucigalpa, la capitale du Honduras. Sans totalement condamner la rpression, les dfenseurs des droits de lHomme soulignent que celle-ci ne rglera pas seule le problme des maras. Selon eux, la cl est la lutte contre la misre et les ingalits sociales, a fortiori dans des pays qui enregistrent des forts taux de croissance. Le tout rpressif consolide le pouvoir des maras. Il exacerbe les tensions entre les gangs et la volont des mareros de faire parler deux. Diaboliser les maras alimente lescalade de la violence , estime Iduvina Hernandez, de lONG Action citoyenne. Les cinq Etats dAmrique centrale ne conduisent pas de programmes de rinsertion des mareros. Ce travail est laiss aux ONG et aux associations religieuses. A linstar du Pre Jos Maria Moratella, San Salvador : Lextrme pauvret, la dsintgration des familles, la fin des solidarits traditionnelles, la violence de la socit, expliquent le dveloppement des maras. Y mettre un terme sera long et difficile. Rien nest possible si on noffre pas des perspectives davenir aux mareros . Le prtre salsien, surnomm padre Pepe, propose donc des formations de boulanger, de menuisier, dimprimeur, de mcanicien Ce nest pas de lassistanat, mais une formation srieuse avec un emploi la cl. Nous avons cr des entreprises pour commercialiser ce que les jeunes fabriquent, et leur enseigner la gestion et les rgles de la vraie vie , insiste celui qui, de lavis gnral, mne la meilleure exprience de rhabilitation des mareros en Amrique centrale. Toujours San Salvador, dans le quartier Mejicanos, cent mtres de la plus grande prison du pays, le Pre Antonio Rodriguez Lopez offre lui aussi une formation professionnelle et une aide psychologique aux mareros. Il a en outre acquis une machine pour effacer les tatouages par infrarouge. Comme il lexplique : Effacer ses tatouages est lacte de rupture davec une mara le plus dcisif. Cela tmoigne dune volont de sintgrer la socit. Ils sont deux ou trois venir chaque jour. Mais mme pour dcrocher, ils ont d obtenir lautorisation de la mara . | |||
Jean Piel | |||
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