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06/05/2008
Questions internationales (3)
Tsahal : une arme sous le feu des critiques



(MFI) Dans un pays confront une menace permanente, larme isralienne est trs respecte. Elle jouit dune influence norme sur la vie politique et la socit. Mais elle est aussi critique. On lui reproche ses exactions dans les Territoires occups, son ascendant excessif sur le gouvernement et des rsultats mdiocres lorsquelle fait face un adversaire solide.

De ses actions dans les Territoires occups son chec face au Hezbollah lors du conflit de lt 2006, larme isralienne fait face de nombreuses critiques, avec une toile de fond commune : sa puissance et son poids politique sont tels quelle se comporte comme un Etat dans lEtat. Les exemples en ce sens sont nombreux. Le 4 janvier 2007, les blinds de Tsahal font une entre fracassante dans les rues de Ramallah o sige lAutorit palestinienne. Au mme moment, le Premier ministre, Ehoud Olmert, rencontre Sharm el-Cheikh le prsident gyptien, Hosni Moubarak, pour discuter du processus de paix. Ehoud Olmert navait pas t prvenu de cette offensive que rien ne justifiait sur le terrain. Larme aurait voulu saboter les discussions, elle ne sy serait pas prise autrement , raconte Avika Eldar, journaliste au quotidien Haaretz. Signe de lascendant des militaires sur la classe politique, laffaire na donn lieu aucune rprobation publique.

Obsession scuritaire dans les Territoires occups

Depuis le divorce entre le Hamas (qui contrle la bande de Gaza) et lAutorit palestinienne (prsente en Cisjordanie), Tel-Aviv sest rapproch de Mahmoud Abbas, le prsident de lAutorit, afin de favoriser le plus modr des mouvements palestiniens. Officiellement du moins, car sur le terrain rien na chang. Selon le dcompte de lOCHA, lagence humanitaire des Nations unies en Palestine, en 2007 huit Palestiniens ont t tus chaque mois en Cisjordanie, 100 blesss et 410 arrts, soit 96 morts en un an dans une rgion o le nombre dattaques palestiniennes sest effondr et qui na connu quun seul attentat. Mais cela na pas modifi le mode opratoire de Tsahal. Comme lexplique Avika Eldar : Larme isralienne est une pyramide inverse. Ce sont les officiers de terrain qui faonnent la politique la place du Premier ministre. Du jour au lendemain, ils peuvent barrer laccs un village, autoriser la construction dune colonie, procder des arrestations arbitraires. Les grandes messes comme la confrence de paix dAnnapolis nont aucun intrt si elles ne sont pas suivies deffets. Pire, elles font passer les dirigeants israliens pour des faibles ou des menteurs. Pour Tsahal, seule la force marche ; elle a le plus grand ddain pour la ngociation. Une analyse partage par Ilan Paz, un gnral la retraite qui participe aux pourparlers de paix : Tsahal se comporte comme si les Palestiniens en taient encore la case dpart. Elle est dans une logique dradication qui menace de rduire nant tous les progrs politiques. LEtat-major est persuad que le dclin de lIntifada provient de son action anti-terroriste. Ce nest qu moiti vrai. Les barrages crent une frustration qui, long terme, alimente le terrorisme.
Des accusations que rcuse le porte-parole de larme, Avital Leibovich, cit par Le Monde : Sil ny a pas eu en 2007 dinfiltrations terroristes depuis la Cisjordanie, cest grce au mur de scurit, aux check-points et au srieux de nos soldats. Toutes les semaines, ils saisissent aux barrages des couteaux, des munitions, des explosifs. Cest la preuve de la motivation intacte des groupes palestiniens. Tsahal est une institution responsable, courageuse, discipline. Elle obit au pouvoir politique.

Une classe politique aux ordres ?

Est-ce si vrai ? Qui de larme et de la classe politique obit lautre en Isral ? Tsahal a donn trois Premiers ministres au pays (Ehoud Barak, Itzhak Rabin et Ariel Sharon), sans compter de nombreux ministres et parlementaires. Son influence sur la vie politique et sociale est immense. Dans un pays jeune, dont lexistence mme est conteste, confront une violence quotidienne, qui a livr cinq guerres en seulement soixante ans, larme est une institution incontournable. Une aura qui simpose aux dcideurs politiques. Comme le racontait dans Le Monde un colonel du Shin Bet, les services secrets israliens : Faute de directives politiques, cest la logique oprationnelle toujours offensive qui tient lieu de stratgie face aux Palestiniens. Lors des runions de cabinet du dimanche matin, le discours du chef dEtat-major simpose tous les membres du gouvernement car ces derniers ne disposent daucune autre source dinformation.
La faiblesse du pouvoir politique expliquerait donc cette toute puissance de Tsahal. Cest ce que croit le politologue Yoram Peri : Larme comble le vide cr par une classe politique faible. Celle-ci narrive pas rsoudre un problme aussi important que le conflit palestinien. LEtat-major propose donc des solutions toute faites. Cela dautant plus facilement que Tsahal dispose de centres dtudes dans tous les domaines. Ayant rarement de solutions alternatives, les politiciens nont dautre choix que daccepter. Quelque part, ils sont prisonniers de larme.
Les hommes politiques ne sont pas seuls en cause. Lensemble de la socit isralienne accepte cette domination. Comme le souligne Yaguil Levy, professeur de sociologie politique luniversit Ben Gourion : Par sa docilit, la socit est responsable de la toute puissance de larme. Certes, il existe des mouvements pacifistes. Mais les menaces aux frontires, les attentats changent toute perception. Nous navons pas de culture civile en Isral. La lgitimit de lemploi de la force et la certitude de son efficacit ont envahi la socit. Les Israliens font confiance larme sans se poser de questions. Les ides de rapports de force, de moyens de pression sont enracines dans les mentalits .

Larme la plus morale du monde

Quelles quen soient les causes, cette force du pouvoir militaire face au pouvoir politique est critiquable, a fortiori dans une dmocratie. De leur ct, les Ong internationales, mais aussi des agences onusiennes, dnoncent rgulirement les abus commis par Tsahal dans les territoires occups : bouclage de villages, arrestations arbitraires, destruction dhabitations, assassinats cibls A en croire Amnesty International, 742 Palestiniens (dont 145 enfants) ont t tus par larme isralienne en 2007 et 3 735 autres blesss. Depuis le dbut de lanne, 58 enfants ont t tus Gaza selon lOnu. Les rcits sont nombreux o, pour arrter un seul Palestinien, larme intervient avec des chars, des obus dtruisant maisons et cultures, interdisant aux ambulances dapprocher, et faisant de nombreuses victimes civiles.
Le cynisme de certains officiers narrange rien. Ce nest pas le job de larme de rduire les frustrations des Palestiniens , dclarait dans Le Monde le major Avital Leibovich. Quant au prcdent chef dEtat-major, Dan Haloutz, interrog sur ce quil ressentait aprs avoir largu une bombe sur Gaza pour liminer un leader du Hamas, bombe qui avait tu seize civils, il rpondait : Ce que je ressens ? Une lgre secousse dans lavion au moment du largage de la bombe. Une seconde aprs, elle a disparu . Difficile alors de partager ces propos dun officier, interview dans le film de Claude Lanzmann, Tsahal : Notre arme est pure. Elle ne tue pas denfants. Les soldats tirent uniquement lorsquils sont en danger. Nous avons une conscience et des valeurs, cest pourquoi il y a peu de victimes palestiniennes. Nous sommes larme la plus morale du monde .

Une modernisation difficile grer

Critique pour ses exactions dans les Territoires occups et pour son influence excessive sur le pouvoir politique, larme isralienne lest galement pour son efficacit toute relative lorsquelle est confronte des adversaires quips et entrans. Tsahal est pourtant considre comme lune des armes les plus puissantes au monde, disposant notamment dune aviation de pointe. Cela ne la pas empch de subir un srieux revers au Liban lt 2006. Certes, elle a durement touch le Hezbollah, mais elle nest pas venue bout de la milice chiite, proche de lIran et de la Syrie. Au cours des 33 jours de combats, elle a perdu 142 hommes, 50 chars Merkava, considrs comme le meilleur blind du monde, et mme une corvette. Elle na pas pu empcher le Hezbollah de tirer des centaines de roquettes sur Isral. Enfin, sa dsorganisation a t flagrante ; des blesss ont attendu des heures avant dtre vacus, des familles de soldats ont d se cotiser pour acheter des casques et des gilets pare-balles leurs enfants.
En cause : un sentiment de supriorit certain face aux Arabes. A force de se battre face des gamins arms de frondes en Palestine, larme isralienne na pas vu que les militants du Hezbollah taient, eux, des vrais soldats, entrans et quips. Les officiers nont vu en eux que des terroristes, alors que les hommes de troupes taient au bord de la rbellion face une telle arrogance , explique le journaliste Amnon Kapeliouk. En cause aussi : une imprparation certaine. Cela faisait plusieurs annes que le Hezbollah squipait, prparait des caches, menait des oprations de reconnaissance. Les services de renseignements israliens nont rien vu venir. Nous navons plus dagents infiltrs. Le renseignement humain a t remplac par la surveillance lectronique. Or un bon espion sera toujours plus efficace quun drone bourr dlectronique , se plaint un officier suprieur. En cause enfin, la stratgie dcide par lEtat-major qui a donn la priorit laviation ; peut-tre pas la meilleure ide face un ennemi mobile, souvent cach dans des bunkers ou au sein de la population civile. Lorsque les gnraux ont appel linfanterie la rescousse, il tait trop tard. Cette stratgie tait cependant conforme lvolution de larme isralienne qui, du peuple en armes, se transforme en une force de professionnels dote des quipements les plus sophistiqus. Cette modernisation que lon retrouve dans toutes les armes du monde aurait-elle affaibli Tsahal ? Certains le pensent. Avant, un gnral menait ses hommes au front. Aujourdhui, il est au centre de commandement, dans une salle bourre de radars et dcrans gants. Sans rien voir, sans rien sentir. Ce type de modernisation est parfait pour les armes qui se projettent loin de leurs frontires. Mais nous, notre ennemi est notre porte, il est motiv politiquement et le combat est quotidien , dplore un officier, cit par Le Monde.

Une arme qui saffaiblit

A en croire Stuart Cohen, professeur de sciences politiques luniversit Bar Ilan (Tel Aviv), la moindre comptence de Tsahal est due lIntifada : Mme la meilleure quipe de football voit son niveau baisser si elle passe son temps jouer contre des quipes moins bonnes . Une mtaphore approuve par Martin Van Creveld, auteur de Tsahal, histoire critique de la force isralienne de dfense : Cela fait vingt ans que Tsahal ne combat que des adversaires plus faibles quelle. Et lorsquon combat un adversaire faible, on saffaiblit soi-mme. Larme vit dans lillusion que la bataille quelle mne contre les Palestiniens est difficile. Mais lorsquon parle de violents combats Gaza, il sagit dune confrontation de chars ultra-modernes contre des kalachnikovs tenues par des adolescents. Une majorit des soldats israliens na aucune ide de ce quest une vraie guerre. Aujourdhui, Tsahal mne avant tout des oprations de police, et non des oprations militaires, face une population souvent dsarme : maintien de lordre, contrle didentit, patrouille de quartiers Sans tre dnues de risques, ces missions ne sont pas dangereuses. On pourrait encore voquer la formation mdiocre des rservistes, qui reprsente 450 000 soldats sur les 630 000 de Tsahal. Le dbat qui divise la socit isralienne sur la Palestine
camp de la paix contre tenants dune ligne dure en dmotive aussi beaucoup. Les jeunes Israliens ont moins le got de la chose militaire. Mais pour Martin Van Creveld : Il faut conserver le systme de la conscription. Que Tsahal soit avant tout une arme de rservistes constitue la meilleure protection pour la dmocratie dans un pays o larme est trs puissante.
Les optimistes souligneront que jamais larme isralienne na commis de coup dEtat, que de faon ultime elle finit toujours par obir au pouvoir politique, mme en grognant, mme lorsquelle dsapprouve lordre reu. On la vu lors de lvacuation de la bande de Gaza. Les pessimistes, eux, rappelleront que cette arme qui a soif de vengeance aprs le camouflet subi contre le Hezbollah et qui oriente souvent sa guise la classe politique dispose de 200 ogives nuclaires. Pour le politologue Yoram Peri : Tsahal est prisonnire de sa culture scuritaire. Amliorer sans cesse la puissance de feu, la seule ide des officiers, est inoprant face un adversaire dont la motivation est politique. Larme isralienne est uniquement concentre sur la destruction des capacits de ladversaire faire du mal ; elle devrait plutt tre concentre sur la destruction de sa motivation faire du mal.

Jean Piel

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