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06/05/2008 | |||
Questions internationales (2) Tsahal, une arme trs politique | |||
(MFI) Le 14 mai 2008 marque le 60e anniversaire de la cration de lEtat dIsral. A cette occasion, coup de projecteur sur Tsahal, lArme de dfense dIsral. Une institution trs respecte dans le pays, associe la construction de lEtat hbreu et aujourdhui sa dfense, dans un contexte rgional toujours tendu. Considre comme lune des plus puissantes du monde, elle a volu, passant dune arme du peuple une force la pointe de la technologie. Son influence politique est immense en Isral, mais elle est trs critique pour son attitude dans les Territoires occups. | |||
Dans quelle circonstance larme isralienne a-t-elle t cre ? Cest le 28 mai 1948 que David Ben Gourion Premier ministre dun Etat dIsral proclam 14 jours avant annonce la cration de lArme de dfense dIsral, Tsva Haganah Le Israel en hbreu, abrg en Tsahal. Prsente comme une arme du peuple la stratgie dfensive, Tsahal absorbe sa cration la Haganah, lIrgoun et le Lehi, trois groupes paramilitaires fonds par des Juifs de Palestine lorsque celle-ci tait sous mandat britannique ; des groupes qui pratiquaient volontiers le terrorisme contre les Anglais et les Palestiniens. Un acte de naissance qui en fait, pour les uns, une arme de la nation, instrument essentiel de la protection et de la construction de lEtat hbreu ; pour les autres, une arme offensive et xnophobe, dont la mission est de mener une purification ethnique au dtriment de la majorit palestinienne. Soixante ans aprs, le dbat nest pas clos. Quelle est la puissance de Tsahal en hommes et en matriel aujourdhui ? Larme isralienne est lune des plus modernes et des mieux entranes du monde. Elle bnficie dune aide financire et matrielle des Etats-Unis, mais aussi du complexe militaro-industriel isralien la pointe de la technologie. Le contexte gopolitique dans lequel elle volue elle a livr cinq guerres en 60 ans, sans compter ses missions permanentes de scurit territoriale lui impose dtre toujours en tat dalerte. Son budget est trs important : 9 % du PIB (contre 2,1 % du PIB en France). Isral dtient le record mondial des dpenses darmement par habitant : 1 429 dollars. Compose dun noyau de militaires dactive, Tsahal repose sur la conscription. Ds 18 ans, tout Isralien doit passer trois ans sous les drapeaux pour les hommes et 21 mois pour les femmes. Par la suite, chacun participe des entranements annuels jusqu lge de 50 ans. Tsahal peut en outre mobiliser 450 000 rservistes. Actuellement, Tsahal compte 180 000 engags et conscrits, dont 50 000 dans larme de lair, 120 000 dans larme de terre et 10 000 dans la Marine. Des chiffres levs si on les rapporte aux 7 millions dIsraliens. A ct des corps traditionnels, une trentaine dunits dlites, souvent rattaches aux services de renseignements, lutte contre le terrorisme et assure la protection des personnalits. Ses moyens matriels sont performants. Les terriens disposent de 4 000 chars de combat et 10 000 vhicules de transport, auxquels sajoutent une centaine de missiles stratgiques. Outre 70 navires, la Marine dispose de trois sous-marins lance-missiles Dolphin. Enfin, larme de lair compte 500 avions de combats, prs de 300 hlicoptres et de nombreux drones (des avions sans pilote). Larme de lair dispose galement de nombreux missiles. Comme lcrit Martin Van Creveld, auteur de Tsahal, histoire critique de la force isralienne de dfense : Cest la premire fois dans lHistoire quun si petit pays dispose dune force militaire aussi puissante. Peut-tre est-elle mme surdimensionne par rapport aux combats que nous avons livrer aujourdhui. Et larme nuclaire ? Cest un sujet tabou en Isral, mais aussi un secret de polichinelle. Officiellement, Tel-Aviv, qui nest pas signataire du Trait de non-prolifration, ne possde pas larme atomique. En ralit, les experts estiment que lEtat hbreu dtient 200 ttes nuclaires. Le 11 dcembre 2006, le Premier ministre, Ehoud Olmert, a commis une gaffe reste clbre. Sadressant des journalistes, il a cit Isral dans la liste des pays dots de larme nuclaire. Ses dmentis par la suite nont gure convaincu. Parmi les pays non-officiellement membres du club nuclaire, Isral est celui dont le programme est le plus avanc. Il a ralis des essais, miniaturis la bombe et dispose des vecteurs pour la transporter. Pourtant, en croire Joseph Cirincione, du Carnegie Endownment for Peace : Vue sa supriorit en matire darmes conventionnelles, Isral na gure besoin du nuclaire. Dans une rgion o toutes les frontires sont proches, la bombe atomique protge peu un pays, mais incite au contraire ses voisins sen doter galement. Tsahal est-elle toujours larme du peuple ? La question est sensible. Larme isralienne est une institution respecte dans le pays. Sa visibilit est forte pour au moins trois raisons : entre les engags, les appels et les rservistes, tous les Israliens ont un proche sous les drapeaux ; du fait des menaces contre le pays, les soldats sont prsents partout et quotidiennement en contact avec la population ; enfin, larme a une grande influence politique au point davoir donn trois Premiers ministres au pays. Isral est un Etat jeune, dont lexistence est conteste, dont les frontires peuvent voluer, qui a livr plusieurs guerres et vit dans un environnement hostile. Larme y a donc une importance particulire. Elle est associe la cration du pays, lenthousiasme de sa construction, sa dfense aujourdhui. Elle est indissociable de la survie mme dIsral. En ce sens, elle reste larme du peuple , estime le politologue Yoram Peri. Une analyse que ne partage pas Yaguil Levy, professeur de sociologie politique luniversit Ben Gourion : Aujourdhui, 28 % des appels chappent la conscription pourtant obligatoire, au premier rang desquels les haredim (les ultra-religieux), puis les inaptes souvent munis dun dossier mdical bidon. Le temps dune arme invincible et fraternelle est termin. Les Israliens ne veulent pas tre assimils un peuple en armes. Cela dautant que certains dsapprouvent la politique dans les Territoires occups et lattitude de larme lgard des Palestiniens. Chaque anne en effet, des objecteurs de conscience les refuzniks refusent de faire leur service militaire, ou au moins de servir dans les Territoires occups. Ils restent une minorit, mais leur simple existence suscite un dbat en Isral. Enfin, le terme d arme du peuple est contest dans la mesure o seuls les juifs peuvent y servir, pas les arabes israliens qui reprsentent pourtant 20 % de la population. Cela prouve que larme isralienne nest pas au service dun pays, mais dun groupe ethnique. Do son extrme violence lgard des Palestiniens , dnonce le journaliste Amnon Kapeliouk, dans Le Monde Diplomatique. Quel est le regard des officiers sur ce sujet ? Comme toutes les armes du monde, Tsahal se professionnalise et sappuie de plus en plus sur les technologies de pointe. La csure est plus marque en Isral du fait de la proximit entre les soldats et la population, du fait de la participation de larme la construction dun pays encore jeune. Mais la guerre technologique remplace le peuple en armes. Cette volution sest traduite par la nomination, en aot 2005, dun aviateur, le gnral Dan Halutz, comme chef dEtat-major des Armes, alors quauparavant le poste tait toujours confi un terrien . Cette nomination marque aussi la prpondrance de la rponse arienne dans la stratgie isralienne, notamment face la menace nuclaire iranienne. Les officiers soutiennent cette professionnalisation, souhaitant rduire les effectifs plthoriques (plus de 630 000 soldats entre les engags, les appels et les rservistes) et amliorer la formation des soldats. Comme lexpliquait dans Le Monde, juste avant sa mort en aot 2007, Zeev Schiff, lun des meilleurs experts militaires israliens : Depuis la premire Intifada, Tsahal vit une profonde mutation due, dune part la division de la socit entre le camp de la paix et un camp dfendant une ligne dure, dautre part une nouvelle politique favorisant la profondeur stratgique, donc donnant plus dimportance larme de lair et la Marine. Lchec de larme isralienne lors de la guerre contre le Hezbollah au Liban, en juillet 2006, remet en cause cette stratgie, et le chef dEtat-major des Armes est de nouveau issu de larme de terre. Certains se demandent mme si la modernisation de Tsahal ne la pas affaiblie. Quelles sont aujourdhui les missions de larme isralienne ? Sur son site Web, Tsahal dfinit ses objectifs : dfendre la souverainet et lintgrit territoriale dIsral ; lutter contre le terrorisme ; assurer lapplication des accords de paix ; garantir la scurit en Jude-Samarie et dans la bande de Gaza ; entretenir une capacit de dissuasion afin dempcher le dclenchement dhostilits. Si dfendre la souverainet nest gure discut, les autres buts sont davantage sujets dbat et alimentent les critiques contre Tsahal (voir article ci-aprs). La question palestinienne est videmment au cur du sujet ; elle interroge dj sur lintgrit territoriale dIsral. La notion de terrorisme est aussi gomtrie variable. O finit la rsistance, o commence le terrorisme ? Sur le site Palestine-Solidarit, la journaliste Silvia Cattori dnonce une arme qui viole les lois internationales en pratiquant la torture, en prenant en otage des familles entires sous prtexte quun de ses membres est recherch, en procdant des arrestations et des excutions extrajudiciaires, en bouclant des villages . Les Ong, comme Human Rights Watch ou Amnesty international, dnoncent lattitude de Tsahal dans les territoires occups, voquant mme des crimes de guerre et du terrorisme dEtat. Le nombre de victimes collatrales souvent des femmes et des enfants interroge sur la volont de garantir la scurit en Cisjordanie et Gaza. Mme Ephram Sneh, le ministre adjoint de la Dfense, sen est mu : Du chef dEtat-major au sergent un check-point, aucun militaire napplique les consignes dapaisement donns par le gouvernement aprs la confrence de paix dAnnapolis . Or, la multiplication des barrages cre une frustration qui, long terme, alimente le terrorisme. Une arme a-t-elle vocation faire des oprations de police, patrouilles et contrles didentit, lessentiel de son activit ? Plusieurs experts le contestent, arguant du fait que ces oprations de police affaiblissent les troupes. Or aujourdhui, la plupart des units de Tsahal sont formes selon des standards de force de police, et non darme de mtier. Lorsquon parle de violents combats Gaza, il sagit dune confrontation de chars ultra-modernes contre des kalachnikovs tenues par des adolescents. Tsahal opre face une population souvent dsarme, et la plupart des soldats na aucune ide de ce quest une guerre , estime Martin Van Creveld. A en croire Yaguil Levy : Les officiers ne conoivent la dissuasion quen terme de rapport de force militaire, or ce sont eux qui dfinissent la stratgie, et non les hommes politiques. Amliorer la puissance de feu restera inoprant face un adversaire dont la motivation est politique. Lorsquon ne conoit la dissuasion quen termes militaires, on en vient dtruire lAutorit palestinienne et les infrastructures du Liban pour renforcer le Hamas et le Hezbollah. Est-ce bien le but de larme isralienne ? Tsahal veut-elle prparer la prochaine guerre ou faire en sorte que celle-ci nait pas lieu ? De la rponse dpendent la configuration et la stratgie future de Tsahal. Quelle est linfluence politique de larme isralienne ? Ehoud Barak, Itzhak Rabin, Ariel Sharon : trois gnraux devenus Premier ministre. En Isral, la carrire militaire constitue un excellent tremplin vers lambition politique. Nombreux sont les ministres et les parlementaires issus des rangs de Tsahal. Comme lcrit Yoram Peri : Isral est un pays en guerre depuis sa cration en 1948. Tous les Israliens servent au moins deux ans sous les drapeaux. Les officiers apparaissent donc comme de bons reprsentants de la population. Limpact sociopolitique de larme est primordial en Isral. Linstitution serait le meilleur ciment dune socit divise entre lacs et religieux, conservateurs et progressistes, yuppies et indigents. Si, comme on la vu, le caractre de nation en armes sest rod, le poids du militarisme sur les modes de pense, par contre, va croissant. Cest ce quexplique Yaguil Levy : Par sa docilit, la socit est responsable de la toute-puissance de larme. Certes, il existe des mouvements pacifistes. Mais les menaces aux frontires, les attentats changent toute perception. Nous navons pas de culture civile en Isral. La lgitimit de lemploi de la force et la certitude de son efficacit ont envahi la socit. Les Israliens font confiance larme sans se poser de questions. Les ides de rapports de force, de moyens de pression sont enracines dans les mentalits. . Un avis partag par Yoram Peri : Larme comble le vide cr par une classe politique faible. Celle-ci narrive pas rsoudre un problme aussi important que le conflit palestinien. LEtat-major propose donc des solutions toutes faites. Cela dautant plus facilement que Tsahal dispose de centres dtudes dans tous les domaines. Ayant rarement de solutions alternatives, les politiciens nont dautre choix que daccepter. Quelque part, ils sont prisonniers de larme . Que le conflit contre le Hezbollah, lt 2006, ait t dclench en deux jours seulement illustre linfluence des Etats-majors sur le personnel politique. Comme le racontait dans Le Monde un ancien colonel du Shin Bet, les services secrets israliens : Faute de directives politiques, cest la logique oprationnelle toujours offensive qui tient lieu de stratgie face aux Palestiniens. Lors des runions de cabinet du dimanche matin, le discours du chef dEtat-major simpose tous les membres du gouvernement car ces derniers ne disposent daucune autre source dinformation. Cette influence des gnraux est encore plus vive lorsque le Premier ministre nest pas un expert de la chose militaire, comme cest le cas aujourdhui avec Ehoud Olmert. Mais doit-on exiger dans une dmocratie que le chef du gouvernement soit issu des rangs de larme ? Pour le journaliste Amnon Kapeliouk, que la politique isralienne soit lotage des gnraux est dautant plus inquitant que les ultra-conservateurs et les religieux sont de plus en plus nombreux parmi les officiers. Ce poids de larme ne signifie nanmoins pas que le pouvoir politique obit au doigt et lil aux grads. Ainsi, en 2000, le Premier ministre Ehoud Barak a impos le retrait de Tsahal du Liban contre lavis du chef dEtat-major. De mme, Ariel Sharon a pass outre les protestations du commandant en chef des Armes lorsquil a dcid dvacuer la bande de Gaza. Mais il faut noter quEhoud Barak et Ariel Sharon sont danciens gnraux ; leur dcision a t plus facilement admise. Isral reste une dmocratie. Mme mcontents, les militaires ne vont pas fomenter un coup dEtat. Certes, ils nen ont gure besoin , rappelle Martin Van Creveld. Comme le disait avec un humour pince-sans-rire lancien ministre de la Dfense Mosh Dayan : Isral nest pas un pays dot dune arme, mais une arme dote dun pays. | |||
Jean Piel | |||
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