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| 20/05/2008 | |||
| Questions internationales (1) Le double jeu du Hezbollah | |||
| (MFI) Le 10 mai dernier, le Hezbollah a pris le contrle de la majeure partie de Beyrouth, prouvant quen trois jours de combats, il pouvait se rendre matre du Liban. Un accord politique a ensuite t trouv avec la coalition gouvernementale. Portrait dun mouvement qui est la fois une milice arme au service de lIran et un groupe politique libanais incontournable, dfendant un islam radical et la cause des chiites. Un mouvement plus subtil quun groupe terroriste auquel certains veulent le rduire. | |||
| Dans quelles circonstances le Hezbollah a-t-il t cr ? Le Hezbollah est le produit de la marginalisation conomique des chiites libanais, de la rvolution islamique en Iran et de la lutte arme contre Isral. Historiquement, les chiites ont toujours t exclus du pouvoir conomique et politique au Liban, bien quils reprsentent le tiers de la population. Ils vivent dans les rgions dshrites de la Bekaa et du Liban-Sud ou dans les banlieues misreuses de Beyrouth. Larrive de rfugis palestiniens la fin des annes soixante ajoute leurs difficults, car ceux-ci vivent dans les mmes quartiers, souvent bombards. Mais cest loccasion dun premier veil politique aux problmes de la rgion. En 1974, limam Moussa Sadr personnage charismatique qui a suivi sa formation religieuse dans la ville sainte de Nadjaf, en Irak fonde le Mouvement des dshrits, qui dfend les droits des chiites et lutte contre le sous-dveloppement des rgions o ils vivent. Le Mouvement des dshrits est la premire organisation sociopolitique dont les chiites libanais se sont dots depuis lempire ottoman, au XIXe sicle. Mais secrtement, Moussa Sadr fonde aussi une milice arme Amal, lespoir en arabe entrane par les Palestiniens. La misre et les armes constituent donc le terreau du Hezbollah. La rvolution islamique qui, en 1979, porte layatollah Khomeiny au pouvoir Thran, va influencer certains membres dAmal. LIran chiite devient un modle, lintgrisme religieux une voie suivre. Linvasion isralienne du Liban en 1982 lopration Paix en Galile est le troisime lment qui favorise la naissance du Hezbollah. Des groupuscules arms opposs la position trop modre dAmal multiplient les attaques contre les troupes israliennes. Avec laide de lIran, ces groupes fusionnent pour former le Hezbollah en juin 1982. Celui-ci bnficie donc de lappui politique, logistique et financier de Thran. Des pasdarans les Gardiens de la Rvolution iranienne arment et entranent ses militants dans la plaine de la Bekaa. La cration du Hezbollah mle donc une problmatique territoriale la dfense du Liban et une problmatique religieuse, la dfense de lislam face lEtat hbreu. Hezbollah vient de larabe izbu-Allah, le parti de Dieu. Son emblme est vert sur fond jaune ; dans Hezbollah, la dernire lettre du mot Allah se transforme en un bras brandissant une mitraillette, et un verset du coran est imprim en rouge : Ceux qui suivent le Parti de Dieu seront victorieux. Comment le Hezbollah sest-il dvelopp ? Au dbut, le Hezbollah ne mne que des attaques contre larme isralienne et la force des Nations unies au Liban, la Finul. Il ne dfend aucun projet politique. Il multiplie aussi les enlvements dOccidentaux. Ce qui lui vaut dtre class sur la liste des organisations terroristes par les Etats-Unis, mais pas par lUnion europenne. Moins nombreux et moins bien quip que Tsahal, le Hezbollah va nanmoins marquer des points contre larme isralienne, par un harclement continu et le recours aux attentats-suicides. Un succs qui lui vaut une popularit croissante chez les chiites. Il ne faut pas oublier que le culte des martyrs est fondamental chez les chiites. Se sacrifier par amour de Dieu est plus important quune victoire militaire. Do les attentats-suicides. Les dirigeants font aussi rfrence la gurilla vietnamienne. Celle-ci a t capable de chasser les Amricains ; le Hezbollah doit tre capable de chasser les Israliens , explique Michel Touma, rdacteur en chef du quotidien libanais LOrient-Le Jour, et auteur dune tude sur le Parti de Dieu. Entre 1985 et 1989, le Hezbollah et Amal se livrent une guerre fratricide qui fera des milliers de morts. Cest en fait une lutte entre la Syrie (ct Amal) et lIran (ct Hezbollah) pour le contrle de la communaut chiite du Liban. Aucun parti nen sort vainqueur, mais le Hezbollah y gagne son autonomie et peut se prsenter comme un mouvement libanais part entire. Car le Parti de Dieu a compris que sa lutte contre lEtat hbreu ne suffira pas affirmer sa lgitimit. Ds la fin des annes quatre-vingt, il multiplie les actions caritatives en faveur des plus dmunis. Il ouvre des coles, fonde des orphelinats, cre des dispensaires, assure le ramassage des ordures et la distribution deau, finance la reconstruction des maisons dtruites par les bombardements. Depuis 2001, le mouvement dirig par Hassan Nasrallah (voir portrait ci-aprs) a consacr 14 millions de dollars rien qu lducation. Largent a une forte odeur iranienne, mais les bnficiaires applaudissent. Ses actions caritatives qui lamnent souvent se substituer lEtat feraient aujourdhui du Hezbollah le premier employeur priv du Liban. Lorganisation reste dans la logique qui a prsid sa cration, savoir la dfense des droits sociaux et politiques des chiites, telle quincarne par le Mouvement des dshrits. Le Hezbollah nest donc pas quune milice arme ? Certainement pas. Au dbut des annes quatre-vingt-dix, le Hezbollah annonce quil entend contribuer la consolidation dun pouvoir pluri-confessionnel afin que toutes les communauts soient associes la gestion du Liban. Il approuve les accords de Taf (qui mettent fin la guerre civile au Liban) qui prvoient que le prsident de la Rpublique soit un sunnite, le Premier ministre un chrtien et le chef du Parlement un chiite. En consquence, il prsente des candidats aux lections lgislatives ds 1992, et compte 14 lus dans lactuelle lgislature. Le Parti de Dieu participait galement au gouvernement dunion nationale depuis juillet 2005 avec quatre ministres. Mais depuis la crise gouvernementale qui a vu la dmission des ministres chiites en novembre 2006, il campe dsormais dans lopposition. Son coup de force, le 10 mai dernier, qui la vu prendre le contrle, larme au poing, dune partie de Beyrouth, confirme ses ambitions politiques, mais interroge on le verra sur sa nature. Le Hezbollah ne peut pas tre rduit un rle de milice arme au service de lIran ; cest aussi un mouvement politique libanais avec son agenda propre, un acteur dsormais incontournable de la scne politique au pays du Cdre. Le mouvement dHassan Nasrallah joue sur les deux tableaux : groupe arm et groupe parlementaire. Ses victoires militaires en effet alimentent ses succs politiques. Son harclement continu, ses attentats rptition vont avoir raison de la dtermination de larme isralienne qui quitte le Liban en avril 2000, sans aucune contrepartie politique. Certes, aprs dix-huit ans doccupation. Suite cette victoire, le Hezbollah est reconnu comme force militaire lgitime ; au nom de la dfense du Liban contre Isral, il conserve lgalement son arsenal. En juillet 2006, le conflit qui oppose Tsahal au Hezbollah (aprs que ce dernier a enlev deux soldats israliens et tu huit autres au Sud-Liban) est loccasion de constater nouveau la force et la capacit de rsistance de la milice chiite. Certes, Tsahal va lourdement frapper le Liban et srieusement atteindre le Hezbollah, mais elle ne parviendra pas gagner la guerre. Elle ne parviendra pas non plus prvenir les tirs de milliers de roquettes contre le territoire isralien. Aprs 33 jours de combats la plus longue guerre mene par Isral Tsahal abandonne le terrain. Un coup dur pour lune des plus puissantes armes du monde. Il est vrai que le Parti de Dieu dispose dun arsenal impressionnant. Janes Defence Weekly, le magazine britannique spcialis dans les affaires militaires, estime que le Hezbollah dtient 15 000 roquettes Katioucha fournies par la Syrie et lIran, une trentaine de missiles Zelzal dune porte de 200 km et plusieurs drones. Sans compter des milliers de kalachnikovs, fusils dassaut et lance-grenades. Ces deux victoires contre les troupes israliennes valent au Hezbollah une immense popularit dans la rue arabe , mme dans les pays sunnites. Dans les manifestations Amman, Jeddah ou au Caire, le portrait dHassan Nasrallah est brandi tel celui dun hros librateur. On le compare Nasser. Le Parti de Dieu est vu comme le seul avoir russi dfier Isral. Son action dmontrerait que la lutte arme est plus efficace que des ngociations interminables qui ne dbouchent sur rien. Une popularit qui nest gure du got des dirigeants des pays sunnites, pour qui le Hezbollah nest que linstrument de Thran dans son projet de construire un arc de pouvoir chiite qui irait de lIran au Liban en passant par lIrak et la Syrie. Une menace pour la stabilit rgionale et pour leur propre leadership. La popularit du Hezbollah tient galement sa chane de tlvision, Al-Manar, dont le succs dpasse de loin les chiites et le Liban. Quelles sont les ides politiques dfendues par le Hezbollah ? Cest en 1985 que le Parti de Dieu dvoile son programme dans un livre crit par le trs radical Cheikh Nam Qassem, Lettre ouverte aux opprims du Liban et du monde entier. Le Hezbollah sy dit favorable ltablissement dun Etat islamique, mais il prcise que la ralisation dun tel projet doit se fonder sur le libre choix de la population et que personne ne saurait limposer. Si lislam reste le fondement de son action et de sa pense, le parti nentend pas tablir une Rpublique islamique au Liban. Au contraire, le Hezbollah dfend la formule libanaise comme un exemple russi de cohabitation entre diverses communauts et comme lantithse du projet isralien, fond ses yeux sur ldification dun Etat au service dune seule communaut. Dans cette Lettre ouverte, le Hezbollah apparat donc comme un mouvement pragmatique, malgr un socle idologique bas sur un islam radical. La division du monde entre opprimeurs et opprims est au centre de sa rhtorique conomique et sociale. Mais cette division ne se confond pas avec celle entre musulmans et non-musulmans. Il dfinit les opprims comme les dshrits au plan conomique, politique et culturel, quelle que soit leur religion. Il prne enfin un dveloppement humain intgral , dans lequel lconomie est au service de lhomme, et non linverse. La lecture du livre de Cheikh Nam Qassem donne donc du Hezbollah limage dun mouvement conservateur au plan religieux et socital, dmocratique politiquement et plutt de gauche au plan conomique. Pour le journaliste Michel Touma, la difficult est de savoir si le Hezbollah est un parti libanais, ou un parti communautaire, cest--dire dfendant la cause des chiites au-del des frontires. Pour moi, cest au dpart un parti islamiste directement li lIran. Sa cration relve plus de la logique communautaire que gographique. Mais sa lutte contre Isral se fait aussi au nom de la dfense du Liban, et dans son action quotidienne il ne prend pas toujours ses ordres Thran, mais en fonction de la situation politique Beyrouth. Son caractre libanais est donc incontestable. La crise politique au Liban ne met-elle pas mal les ides officiellement dfendues par le Hezbollah ? Cest lopinion de nombreux observateurs. Le Hezbollah a toujours assur que son arsenal tait uniquement dirig contre Isral, que jamais il nutiliserait ses armes contre ses adversaires politiques au Liban. Il a galement toujours assur que jamais il ne commettrait le sacrilge de sen prendre dautres musulmans. Or, entre le 8 et le 10 mai dernier, cest larme au poing quil prend le contrle de Beyrouth-Ouest, quartier majoritairement sunnite. Cest toujours larme au poing quil impose la fermeture des journaux et des tlvisions qui lui sont hostiles. Nous avons t humilis. Les militants du Hezbollah, qui ne sont souvent que des gamins incultes arms de mitraillettes, se sont comports comme des brutes. Jai assist des excutions sommaires, un de mes voisins a t emmen de force on ne sait o , tmoignait dans Le Monde une habitante sunnite de Beyrouth-Ouest. La fiction dun parti respectable, mesur, dmocratique, attach au caractre multiconfessionnel du Liban, a vol en clat. Pour le secrtaire gnral de lOnu, le Hezbollah sest rvl tre une infrastructure paramilitaire massive, menaant la paix et la scurit rgionales . Comme lexplique luniversitaire Sad Ferraka, cit par lhebdomadaire LExpress : Le Hezbollah nadmet la dmocratie que dans la limite de ses intrts. Il participe au gouvernement dunion nationale, mais lorsque celui-ci renvoie les troupes syriennes, il saisit un prtexte futile pour faire dmissionner ses ministres et bloquer le fonctionnement des institutions. Cest cause de lui que le pays na pas de prsident depuis six mois. Le Parti de Dieu nadmet pas les obligations quimpose la dmocratie. Lorsquune mesure le contrarie, il utilise la force pour obtenir son annulation. On peut se demander sil est normal que le Hezbollah dispose dune milice plus puissante que larme nationale libanaise, sil est normal quil ait dvelopp un vritable Etat dans lEtat, contrlant des pans entiers du territoire et disposant dun rseau de tlcommunication plus performant que celui de Lebanon Telecom, sil est normal que de nombreux fonctionnaires nobissent qu lui. Les vnements de la mi-mai ont t qualifis par le gouvernement libanais de coup dEtat arm contre la patrie, lunit nationale, le rgime dmocratique et le pluralisme . Mais le Parti de Dieu ne veut pas pousser trop loin son avantage pour ne pas tre accus de rveiller la guerre civile au Liban. Cest pourquoi il a conclu un accord de sortie de crise avec la coalition gouvernementale. Une coalition gouvernementale que le Hezbollah accuse dtre infode aux Etats-Unis. Comme le souligne dans Elaph le journaliste Bilal Khbeiz : Nous sommes au cur de la double nature du Hezbollah. Cest le bras arm de lIran dans la rgion. Il est financ et entran par Thran, et nadopte aucune dcision majeure sans le feu vert de la Rpublique islamique. Il reconnat lautorit absolue et supranationale du waly el fakih, le guide suprme. Ctait layatollah Khomeiny avant ; cest Khamenei aujourdhui. Sans un conflit sans fin avec Isral, sans un Liban otage des conflits du Proche-Orient, le Hezbollah na plus de raison dexister en tant que groupe arm. Son intrt nest pas un Liban pacifi. Mais cest aussi un mouvement politique libanais qui dfend la cause de la communaut chiite. Le Hezbollah devra un jour choisir entre ses deux natures. Je parie que la cause de lislam radical lemportera sur celle dun Liban en harmonie. | |||
| Jean Piel | |||
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